EclairageAvec cette courte trêve, Poutine relance sa « politique intérieure »

Guerre en Ukraine : Avec cette courte trêve, Vladimir Poutine relance sa « politique intérieure »

EclairageVladimir Poutine a ordonné un cessez-le-feu unilatéral en Ukraine, qui a démarré ce vendredi et doit s’achever samedi à minuit. Une parenthèse de trente-six heures pour célébrer Noël orthodoxe, dénoncée comme une « hypocrisie » par Kiev
Un homme passe devant une maison en flammes à Kherson, après un bombardement russe vendredi 6 janvier, veille de Noël orthodoxe.
Un homme passe devant une maison en flammes à Kherson, après un bombardement russe vendredi 6 janvier, veille de Noël orthodoxe.  - LIBKOS/AP/SIPA / SIPA
Octave Odola

Octave Odola

L'essentiel

  • Répondant à l’appel du patriarche orthodoxe Kirill, Vladimir Poutine a décrété jeudi une trêve après dix mois de combat en Russie. Le cessez-le-feu d’une durée de trente-six heures, qui s’achève samedi à minuit, doit officiellement permettre aux soldats de fêter Noël orthodoxe.
  • Cette trêve est dénoncée par Kiev et ses alliés européens comme une manœuvre supplémentaire de Moscou. Quelques heures après le cessez-le-feu, des tirs côté ukrainien et côté russe ont été entendus.
  • Pour Cyrille Bret, chercheur à l’Institut Delors et Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Iris, la trêve décidée par le président russe rêvet un caractère politique. Elle serait un message politique à destination de sa population et de son armée, après les évènements de Makiïvka.

A l’écouter, un signe de Dieu, ou du moins de son représentant sur terre, aurait motivé sa décision. Après dix mois d’un conflit meurtrier, Vladimir Poutine a ordonné jeudi un cessez-le-feu en Ukraine « compte tenu de l’appel de Sa Sainteté le patriarche Kirill ». Cette trêve décidée par Moscou, officiellement pour permettre aux soldats de fêter Noël orthodoxe, est censée courir de ce vendredi à la mi-journée jusqu’à samedi, à minuit.

Même si la ligne directe entre Dieu et le président russe est cryptée, difficile d’imaginer dans cette prise de décision un simple motif spirituel. « C’est un coup politique tenté par Poutine vis-à-vis de sa propre opinion et des orthodoxes du monde entier. Il n’avait pas déclaré de trêve le 25 décembre, pour le Noël catholique. Là, il veut imposer le calendrier orthodoxe, avec l’idée qu’il prime sur la civilisation catholique de l’Occident », analyse Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur du livre La Russie, un nouvel échiquier.

Après Makiïvka, « du répit » donné aux soldats

Plus qu’une éventuelle détente avec Kiev, ce temps mort permet au président russe de faire passer un message à son peuple et son armée. « C’est uniquement une décision de politique intérieure. Après les morts de Makiïvka, il était important pour les autorités de donner un peu de répit aux soldats, pour leur permettre de passer les fêtes en famille. Le pouvoir veut rassurer, montrer qu’il prend en compte les demandes et les besoins de l’armée », commente Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors, pour qui ce cessez-le-feu ne marque pas un « tournant » dans les relations bilatérales Ukraine-Russie.

Cette parenthèse de trente-six heures décidée par Moscou a d’ailleurs été immédiatement dénoncée comme une « hypocrisie » et une « provocation » par Kiev et ses alliés. Le cessez-le-feu « ne fera rien pour avancer les perspectives de paix » a tancé le Royaume-Uni. L’Allemagne a estimé qu’il n’apportera « ni liberté ni sécurité » en Ukraine, tandis que la diplomatie européenne juge cet acte russe « pas crédible ».

Une trêve trop courte « pour avoir une incidence »

Même militairement, la fenêtre d’un jour et demi ne paraît pas suffisante pour que Vladimir Poutine cherche « à se donner de l’air » comme l’estime le président américain Joe Biden. « Militairement, la trêve annoncée est trop courte pour avoir une incidence. En trente-six heures, la Russie peut essayer d’acheminer les ressources entre les différents fronts et de déplacer quelques troupes. Cela peut aussi permettre de redistribuer les cartes dans la hiérarchie militaire », rebondit Cyrille Bret.


Quelques heures à peine après son entrée en vigueur, la trêve a déjà été rompue. Les duels d’artillerie se sont poursuivis à Bakhmout, où des journalistes de l’AFP ont entendu des tirs côté ukrainien et côté russe. Des combats incessants qui n’ont rien d’étonnant, selon Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France à Moscou. « Une fois le geste politique accompli, les affaires reprennent. Un cessez-le-feu unilatéral, ça n’a pas vocation à durer très longtemps. Il faut être deux pour faire une trêve. »

Loin des scènes de fraternité entre soldats adverses lors de trêves sur les précédents conflits, les troupes russes et ukrainiennes continuent de s’échanger des obus. « Les trêves sont des parenthèses qu’il ne faut pas idéaliser », expliquait il y a quelques semaines à 20 Minutes Odile Roynette, professeure d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne. Son analyse n’a jamais semblé aussi d’actualité.

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