Malgré des sondages maussades, Joe Biden croit en son étoile. Le président des États-Unis bénéficie d’une excellente conjoncture économique, qui profite aux classes populaires et aux classes moyennes, celles qu’il entend arracher à l’attraction de son prédécesseur populiste, Donald Trump. Le taux de chômage est au plus bas depuis un demi-siècle. Les bas salaires ont enregistré de fortes hausses. Le président démocrate s’enorgueillit d’une politique d’investissements publics massive qui englobe, depuis deux ans, les infrastructures, les technologies vertes et la high-tech.

Sa dernière grande loi a provoqué un choc jusqu’en Europe. Adoptée en août 2022, l’Inflation Reduction Act a le potentiel pour transformer les États-Unis en leader de la décarbonation de l’industrie. Combinant des crédits d’impôts pour les acheteurs de véhicules électriques, des subventions pour les fabricants d’équipements solaires et éoliens et des baisses d’impôts pour les entreprises s’engageant dans la transition énergétique, il incite même les industriels européens ou asiatiques à investir sur le territoire américain.

Ce plan crédité de 430 milliards de dollars (400 milliards d’euros) a d’ailleurs deux autres objectifs : relocaliser les emplois, le savoir-faire et les chaînes de valeurs aux États-Unis, et réduire la dépendance envers la Chine. Engagé dans une rivalité stratégique avec Pékin, Washington veut prendre une avance décisive dans les secteurs de très haute technologie qui structureront l’économie du XXIe siècle. Fort de cet élan, Joe Biden a appelé ses compatriotes à l’optimisme lors de son allocution ­devant le Congrès, mardi 7 février. Et il devrait ­annoncer bientôt sa candidature à l’élection présidentielle de novembre 2024 – il aura 81 ans.

Ce vétéran de la politique a finalement trompé son monde. Son mandat n’est pas une transition mais une rupture dans le pilotage économique de son pays. L’heure n’est plus au laisser-faire. L’État fédéral a été doté de fortes capacités d’impulsion budgétaire. L’hostilité vis-à-vis des capitaux et des technologies chinoises conduit Washington à altérer les règles du libre-échange qui faisaient consensus à l’échelle internationale depuis une trentaine d’années. Le tournant est tel qu’il impacte les stratégies développées au sein de l’Union européenne. Celle-ci se voulait le champion de la lutte contre le changement climatique. La voici prise de vitesse dans ses politiques de soutien aux entreprises, brusquement insuffisantes. Le Conseil européen réuni les 9 et 10 février devait prendre des mesures pour faciliter les investissements verts en Europe.

Mais ce n’est qu’un début. Alors que des montants colossaux sont nécessaires pour développer les secteurs de pointe, l’Union doit revisiter les règles qui corsètent le marché unique, notamment dans les domaines de la concurrence et des aides d’État. Elle aussi devra mobiliser des centaines de milliards d’euros pour accélérer la recherche et la production, au moins autant que les États-Unis et la Chine, laquelle a inventé un capitalisme d’État qui impose à ses concurrents de puissantes distorsions commerciales (1). Joe Biden aura donc été un redoutable stimulant pour les Européens. Comme dans le soutien à l’Ukraine, auquel son pays fournit environ 80 % des armements occidentaux. Reste à savoir si cela renforcera la dépendance ou l’autonomie de l’Europe. C’est à elle de décider.

(1) Lire Comment l’Europe répond à la rivalité sino-américaine, article d’Elvire Fabry pour l’Institut Jacques Delors