Surtout, éviter les mauvaises surprises : à l’aube de la rencontre du 16 juin entre Joe Biden et Vladimir Poutine, Moscou et Washington tempèrent et ne se font pas d’illusions. Pas d’attentes affichées d’un côté ni de l’autre, pas de conférence de presse souvent synonyme de questions gênantes et surtout pas de « reset », cette remise à plat sans lendemain des relations américano-russes tentée en son temps par l’administration Obama. Il faut d’abord pour Washington effacer le très mauvais souvenir du sommet d’Helsinki de 2018. Donald Trump avait alors, au côté de son homologue russe, refusé d’évoquer une interférence russe dans l’élection présidentielle de 2016.

« Premier pas de valse »

Reposer ensuite, sur les bords du lac Léman de Genève, les bases d’une relation dans laquelle les profonds désaccords tiennent de l’hypothèse de travail. « Nous avons observé cette dernière décennie une dérive vers une confrontation chaotique », assure dans une colonne Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs. « Aussi étrange que cela puisse paraître, la Russie et les États-Unis ont besoin d’une confrontation en bon ordre », continue-t-il. Une logique vraisemblablement partagée aussi bien à Moscou qu’à Washington.

→ ENQUÊTE. En Russie, le pouvoir vise l’ensemble de l’opposition

Les États-Unis, a ainsi expliqué Joe Biden au début de sa tournée européenne, veulent avec la Russie une relation « stable et prévisible », deux adjectifs répétés plusieurs fois par la porte-parole de la Maison-Blanche ainsi que le secrétaire d’État Antony Blinken. « C’est important que les deux présidents aient l’opportunité d’échanger leurs vues et de discuter de leurs positions respectives » a de son côté prudemment commenté fin mai le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov. « Mais ce serait une erreur de s’attendre à ce qu’on arrive à une compréhension mutuelle en une rencontre », a-t-il ajouté.

« Premiers pas de la valse »

« Ce sont les premiers pas de la valse », résume Cyrille Bret, chercheur associé à l’Institut Jacques Delors et spécialiste des relations internationales. Le début d’un dialogue à long terme avec, pour les États-Unis, l’objectif d’arriver dans les années à venir « à un statu quo de la part de la Russie dans la zone Otan, de la Baltique à la mer Noire, et à un renouvellement des traités de désarmement », estime Cyrille Bret.

→ À LIRE. Le Vatican dément une rencontre entre Joe Biden et le pape François

Pour Moscou, l’organisation même du sommet tient déjà du succès. « Voir un président américain s’asseoir au côté d’un président russe donne une image d’égalitarisme entre les deux pays, et l’idée que la Russie est une grande puissance » note Mark Galeotti, spécialiste de la Russie et des questions de sécurité internationale.

De nombreux dossiers

Une situation que les précédentes déclarations de Joe Biden – il avait parlé d’un Vladimir Poutine « sans âme » en 2014, évoqué la Russie comme la première menace envers les États-Unis durant la campagne présidentielle de 2020 et traité Vladimir Poutine de « tueur » pendant une interview – ne ferait rien pour gâcher, estime le chercheur : « Pour les Russes, cela renforce l’idée que Biden est là parce qu’il n’a pas le choix. » Que la Russie, en somme, est trop importante pour être ignorée.

Des cyberattaques à l’épineuse question du gazoduc russe Nord Stream 2, voulu par l’allié allemand mais critiqué par l’Ukraine, en passant par la répression en Biélorussie ou encore le retrait américain d’Afghanistan, suivi de très près à Moscou, les sujets de discussion entre les deux présidents ne manquent pas. Et quel que soit le sujet, « on ne peut pas avoir de discussions fructueuses sans ce premier contact un peu formel » pense Cyrille Bret.

Rare point d’accord, le dossier du contrôle des armements, qui a notamment vu en janvier les deux pays prolonger de cinq ans le traité « New Start » de réduction des armes stratégiques. Une décision que Vladimir Poutine a décrit lors d’une interview à la télévision russe, diffusée le 14 juin, comme une « expression du professionnalisme du président Biden ». Mais toujours sans illusions : si Vladimir Poutine a, dans une autre interview à la chaîne américaine NBC, approuvé le désir américain d’une relation « stable et prévisible », il a accusé dans la même foulée les États-Unis d’être responsable de l’absence de cette même stabilité dans l’arène internationale.

--------------

Washington-Moscou des hauts et des bas

Septembre 1959, Khrouchtchev-Eisenhower. Le secrétaire général du Parti communiste soviétique effectue sa première visite aux États-Unis.

3 au 4 juin 1961, Kennedy-Khrouchtchev.La Guerre froide, Mur de Berlin et crise des missiles à Cuba.

22-30 mai 1972, Brejnev-Nixon. La détente et la signature de traités limitant les armements stratégiques.

19 au 21 novembre 1985, Reagan-Gorbatchev. Trois crises – Afghanistan, Pologne et euromissiles de l’Otan – et un dialogue.

1er-2 février 1992, Bush-Eltsine. Les amis. La Russie a succédé à l’URSS.

1993-1999, Clinton-Eltsine. Huit sommets et des relations étroites.