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Interview

Klervi Kerneïs : « La directive va accélérer la convergence des salaires en Europe »

La directive sur les salaires minimums adéquats, qui fait l'objet d'un accord entre Parlement et gouvernements, va favoriser la convergence des salaires dans l'Union européenne, estime la chercheuse associée à l'Institut Jacques-Delors, qui y voit une étape importante vers une Europe sociale plus tangible.

Klervi Kerneïs est une spécialiste des questions sociales et de l'emploi au niveau européen.
Klervi Kerneïs est une spécialiste des questions sociales et de l'emploi au niveau européen. (DR)

Par Catherine Chatignoux

Publié le 7 juin 2022 à 19:34Mis à jour le 8 juin 2022 à 06:14

Quelle est l'importance de cette directive sur les « salaires minimaux adéquats » ? On a l'impression que le texte est un compromis sans grande portée concrète...

Je pense au contraire que c'est un accord qui fera date en Europe. Les salaires sont exclus du champ des compétences européennes, il était donc impossible juridiquement d'imposer un SMIC européen, sans compter que cela n'aurait pas non plus eu de sens sur le plan économique, vu les disparités des salaires minimums dans les Etats, pour ceux qui en ont. Ce que la directive va permettre en revanche, c'est de protéger les travailleurs européens, d'accélérer la convergence des salaires et de lutter contre le dumping salarial. C'est un pas important et une étape nouvelle vers l'Europe sociale.

Concrètement, à quoi seront tenus les Etats membres ?

Les gouvernements vont être obligés d'évaluer les salaires et de les revaloriser au moins tous les deux ans en tenant compte du pouvoir d'achat, de la situation socio-économique du pays donc de l'inflation et des tendances de la productivité. Ils sont aussi invités à se conformer à des valeurs de référence comme par exemple viser pour les salaires minimums l'objectif de 50 % du salaire moyen ou de 60 % du salaire médian. Cela devrait accroître la convergence des salaires qui est déjà largement amorcée. Depuis quinze ans, le SMIC roumain a augmenté de plus de 500 % contre environ 30 % en France. L'idée est de donner un coup de pouce à ce processus de rapprochement. La directive met aussi l'accent sur l'importance du rôle des partenaires sociaux.

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De quelle façon ?

D'abord, cela concernera tous les pays, qu'ils fonctionnent avec des conventions collectives ou avec un salaire minimum légal. De façon générale, il s'agit de renforcer le modèle nordique où les partenaires sociaux sont très impliqués et qui fonctionne bien. Car les pays qui affichent un taux élevé de couverture des négociations collectives, ont en général des salaires plus élevés et moins d'inégalités salariales. Si les Etats offrent moins de 80 % de couverture, ils devront mettre en place un plan d'action avec des mesures concrètes pour atteindre cet objectif. La Pologne, la Hongrie, l'Estonie et la Lituanie sont dans ce cas.

Ce nouveau cadre législatif ne va-t-il pas contribuer à alimenter la hausse des salaires au moment où l'inflation s'emballe ?

La directive a été mise sur la table avant cet épisode inflationniste. Il s'agissait plutôt dans l'esprit de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui l'a proposée il y a deux ans, de lutter contre la pauvreté au travail. Celle-ci a augmenté de 8,1 % à 9,6 % entre 2005 et 2018 et la pandémie avait mis le projecteur sur les secteurs à bas salaires.

Quels sont les points qui ont été les plus débattus dans cette négociation ?

Parmi les Etats membres, le Danemark et la Suède ont longtemps bloqué. Ils avaient peur que les nouvelles règles portent atteinte à leur modèle social. La Suède a fini par soutenir l'approche du conseil mais elle est en train de faire demi-tour. Elle pourrait voter contre la directive le 16 juin prochain quand les ministres du Travail adopteront formellement l'accord. Sans que cela bloque le texte puisqu'il est approuvé à la majorité qualifiée. Le plus problématique a été de définir les critères à prendre en compte pour faire évoluer le salaire minimum. Le Parlement voulait supprimer le critère de productivité, il a été finalement rétabli sous la pression des Etats membres. Ensuite, les Etats ne voulaient pas que les valeurs de référence comme le salaire médian figurent dans le texte, le Parlement a eu gain de cause, même si cela reste indicatif. Enfin, les Etats ne souhaitaient pas que soit fixé un objectif contraignant sur le taux de couverture des conventions collectives, et au final, l'objectif de 80 % figure bien dans la directive.

Catherine Chatignoux

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