La campagne américaine vue d'Europe

Le débat du 29 septembre 2020 ©AFP
Le débat du 29 septembre 2020 ©AFP
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Après le premier débat de la présidentielle américaine, quelles conséquences de l’élection pour l’Europe ?

Pour Enrico Letta, l’ancien président du Conseil italien (2013-2014) et Européen convaincu, peu d’événements dans le monde auront eu des conséquences aussi directes pour notre continent et l’état de sa démocratie que l’élection de Donald Trump. Il s’en explique aujourd’hui dans l’hebdomadaire Le 1.

Opposition délibérée à l’interaction européenne, dévalorisation du multilatéralisme, affaiblissement de l’Alliance atlantique, catalyse des tensions internes et du populisme au sein du continent : voilà, en résumé, l’effet Trump sur l’Europe.

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Et voilà pourquoi les élections américaines nous concernent tant. Comme le rappelle Laurence Nardon, de l’Ifri, « dès la campagne de 2016, le candidat Trump avait clairement exposé sa vision des relations internationales » dans un monde « à l’état de nature », au sens de Hobbes, « un monde de violence et de rapports de force dans lequel la diplomatie et la coopération internationales sont inefficaces, voire contraires à l’intérêt des Etats-Unis ». Retrait de l’accord de Paris sur le climat, puis de l’accord sur le nucléaire iranien, guerre commerciale avec l’Europe, le bilan est éloquent. Et si Joe Biden est élu en novembre prochain, « il ne faut pas s’attendre à ce qu’il revienne en arrière sur chaque sujet de politique étrangère américaine », selon la politiste. Reste que le candidat démocrate souhaite « le retour d’une Amérique qui donne l’exemple en matière de démocratie ». La nouvelle administration respecterait l’amitié transatlantique et reviendrait « dès le premier jour » dans l’accord de Paris.

La différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second à la prochaine génération. James Freeman Clarke

Et « Trump ne veut pas gouverner. Il veut le pouvoir », résume le journaliste et essayiste américain George Packer.

Alors que dans tous les autres pays développés l’État assumait une ligne de conduite pour lutter contre le virus, proposait un plan sanitaire – avec plus ou moins de succès et de confiance –, les Etats-Unis se sont distingués par l’incapacité de leur gouvernement à donner la moindre règle de conduite.

Pour l’auteur de L’Amérique défaite : portraits intimes d’une nation en crise (rééd. Points, 2018), « Trump a sorti l’Amérique de son exceptionnalisme, de cette idée que la démocratie américaine était unique et résiliente ». Il est un symptôme de son affaiblissement, en montrant « avec quelle facilité on pouvait la détruire. La Constitution, si belle et si endurante soit-elle, n’est jamais plus forte que ceux qui s’en servent ».

La démocratie en Amérique

De la fin de la démocratie en Amérique, c’est le titre provocateur qu’a choisi Philosophie magazine pour son dossier sur la campagne américaine, un dossier où Tocqueville est très présent.

Dans les temps démocratiques les jouissances sont plus vives que dans les siècles d’aristocratie, et surtout le nombre de ceux qui les goûtent est infiniment plus grand ; mais, d’une autre part, il faut reconnaître que les espérances et les désirs y sont souvent déçus, les âmes plus émues et plus inquiètes, et les soucis plus cuisants.

On ne saurait mieux décrire le malaise que pointe Michael J. Sandel dans son diagnostic sur la crise de la démocratie en Amérique : « la tyrannie du mérite est à l’origine de la révolte populiste ». L’une des grandes figures de la pensée politique américaine dénonce la méritocratie, « qui permet aux gagnants de considérer que leur position est un dû et renvoie aux perdants l’idée qu’ils sont responsables de leur destin ». Et il plaide pour « une politique du bien commun centrée sur la dignité du travail ». On l’a vu pendant la crise sanitaire avec « les premiers de corvée » : éboueurs, pompiers, caissières, livreurs, personnels soignants, devenus indispensables, « ne jouissent pas de l’estime sociale qu’ils méritent ».

Une politique du bien commun considère qu’on ne doit pas accepter le verdict du marché pour dire ce que vaut un métier.

Pas d’autorité politique sans autorité morale

Le bien commun est pourtant une idée ancienne. Pour l’historien de la Renaissance James Hankins, les humanistes se sont employés à éduquer les gouvernants aux valeurs morales pour, à travers eux, réformer le monde. 

« Pétrarque lui-même, afin de se défendre des critiques virulentes qui le visaient depuis qu’il était entré en 1353 sous le patronage de l’archevêque de Milan, argue ainsi qu’il est possible d’éduquer aux vertus non seulement le prince, mais même le tyran, et de contribuer par là au bien commun » souligne Julien Le Mauff, qui rend compte pour le site La vie des idées de l’ouvrage non traduit de James Hankins sur les vertus politiques (Virtue Politics. Soulcraft and Statecraft in Renaissance Italy, Cambridge). Une correction d’envergure apportée à l’idée répandue selon laquelle l’histoire de la pensée politique n’aurait été que celle de l’avènement de l’État moderne. La leçon des humanistes : pas d’autorité politique sans autorité morale.

Par Jacques Munier

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