La guerre en Ukraine a ravivé l’intérêt pour l’intégration des pays des Balkans : "L'Union européenne est au rendez-vous, mais un peu tard"
Certains, comme la Macédoine du Nord et le Monténégro, avancent à pas rapide ; d’autres stagnent comme la Serbie ou la Bosnie. La Commission propose cependant d’ouvrir les négociations d’adhésion avec cette dernière. Elle veut aussi lancer un plan de croissance pour stimuler les économies des pays candidats.
- Publié le 08-11-2023 à 21h39
- Mis à jour le 09-11-2023 à 13h35
Le processus d’élargissement de l’Union européenne (UE) aux pays des Balkans occidentaux progressait à pas si lents qu’il était en voie d’enlisement. L’Union se désolait de l’insuffisance de progrès accomplis par les pays candidats, ou candidats potentiels – la Macédoine du Nord, le Monténégro, l’Albanie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, et le cas particulier du Kosovo. Ces derniers étaient de leur côté gagnés par la lassitude et la frustration, en partie légitimes, en raison des atermoiements et réticences des Vingt-sept. Certains des pays des Balkans, la Serbie au premier chef, commençaient à diverger des critères requis pour l’adhésion.
La guerre déclenchée par la Russie en février 2022 en Ukraine, puis l’octroi par l’UE du statut de candidat à cette dernière ainsi qu’à la Moldavie, en juin 2022 a changé la donne. Et relancé, par ricochet, l’intérêt pour l’intégration des Balkans.
Une faveur pour la Bosnie
La Bosnie-Herzégovine en est l’un des principaux bénéficiaires. Elle avait obtenu le statut de candidat en décembre dernier, après six ans d’attente. Moins d’un an après, la Commission recommande aux Vingt-sept d’ouvrir avec elle les négociations d’adhésion.
Le pays a certes accompli des progrès en vue de répondre aux quatorze priorités qui lui avaient été fixées pour l’obtention du statut de candidat. La Commission cite la rapide entrée en fonction d’un nouveau gouvernement en janvier – alors que le pays est connu pour ses épisodes de paralysie institutionnelle – et des avancées dans le domaine de la lutte contre la criminalité organisée, le blanchiment d’argent et le terrorisme. Beaucoup reste à faire, cependant. De plus, la présidente Ursula von der Leyen a fait part des préoccupations de la Commission “de constater que plusieurs dispositions anticonstitutionnelles ont été adoptées par les représentants de la Republika Srpska (entité politique des Serbes de Bosnie)”.
“La Commission va loin en recommandant d’ouvrir les négociations d’adhésion, mais avec prudence, puisqu’elle fixe des conditions. Même si c’est assez dur d’évaluer cette conditionnalité, puisqu’on a vu qu’on était déjà passé outre pour l’octroi du statut de candidat”, fait observer Benjamin Couteau, chercheur à l’institut Jacques Delors, spécialiste de la politique d’élargissement aux pays des Balkans.
En permettant à Sarajevo de franchir malgré tout une étape, la Commission opte pour la stratégie de la carotte, espérant inciter la Bosnie à accélérer les réformes. “C’est une arme à double tranchant”, avertit Benjamin Couteau ? “Quelle va être l’incitation pour les autres pays candidats des Balkans à faire des réformes ? On ne cesse de ne répéter que le processus d’élargissement est fondé sur les mérites mais quels sont exactement les mérites de la Bosnie ? Ça brouille les pistes”.
Marché commun régional
La Commission propose de lancer un plan de croissance à destination des pays candidats des Balkans. L’objectif fixé par la présidente von der Leyen est de doubler le produit intérieur brut de ces pays dans un délai de dix ans. “Concentrons-nous pour une fois sur l’intégration de terrain”, a plaidé le commissaire européen à l’Élargissement Oliver Varhelyi. Ce plan s’appuie sur quatre piliers. Le premier est l’ouverture à ces pays de secteurs du marché unique européen dès le moment où ils respectent certains principes de celui-ci, dont les libertés de circulation (personnes, biens, services et capitaux). Ce serait la mise en œuvre pratique du concept d’intégration graduelle, différent de l’actuel modèle binaire “tout ou rien” qui distingue les États membres et les pays candidats.
À cette proposition s’ajoute celle créer un marché commun régional, afin de stimuler les économies de ces pays et favoriser leur intégration. “Nous allons demander à ces pays de se traiter entre eux comme nous allons les traiter”, a détaillé le commissaire Varhelyi.
Un plan de croissance de 6 milliards d’euros
Le troisième pilier est l’accélération des réformes fondamentales ; et l’augmentation des fonds de pré-adhésion de 6 milliards d’euros (dont 2 milliards de subsides) pour 2024-2027. Ce plan devra être validé par les Vingt-sept et le Parlement européen.
“Sera-ce suffisant ?”, interroge M. Couteau “Les besoins de la région en investissements de la région son énorme, à hauteur de 10 % de son PIB global, par an. La Serbie seule aurait besoin de 6 milliards par an. Ici, on parle de 6 milliards pour l’ensemble des pays pour trois ans”. Ce plan s’ajouterait au plan d’investissement, pendant régional du plan de relance européen post-Covid, doté de 9 milliards lancé en 2020. “L’UE est au rendez-vous. C’est bien, mais ce n’est pas assez et un peu tard. On ne sait pas vraiment si cet intérêt à la hâte peut produire des effets. C'est dommage qu'on ait eu besoin d'une guerre pour relancer ce processus d'élargissement et pour que l'Union européenne s'intéresse de nouveau à cette région”.
Trop tard ? "Il y a une conjoncture qui fait que certains pays, comme la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, sont plus loin de l'Union européenne que d'autres, mais ce n’est pas irréversible", estime Benjamin Couteau.