La Hongrie continue à bloquer l’embargo sur le pétrole russe : "M. Orban manipule probablement un problème légitime pour obtenir des concessions de l’UE"
Selon l’expert Thomas Pellerin-Carlin, des considérations politiques poussent Viktor Orban à s’opposer à la Commission.
- Publié le 10-05-2022 à 21h59
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a eu beau faire le voyage jusqu'à Budapest lundi, la Hongrie continue de s'opposer à un embargo sur le pétrole russe, dont elle n'est pas pressée de se passer. Tout au plus, la discussion avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban a-t-elle permis de "clarifier certaines questions liées à la sécurité énergétique", a précisé Mme von der Leyen, avouant cependant que "plus de travail était nécessaire" pour obtenir le feu vert hongrois à cette mesure destinée à épuiser les caisses de la Russie et donc ses ressources pour faire la guerre en Ukraine.
Pour rappel, la Russie dépend fortement des revenus du commerce du pétrole et du gaz, qui représentaient en 2021 45 % du budget fédéral russe, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Si les Vingt-Sept ne sont pas prêts à se passer du gaz russe, la Commission a proposé, la semaine dernière, de s’attaquer aux produits pétroliers russes, qui rapportent à Moscou 700 millions de dollars par jour. Cette proposition, qui consiste à bannir le pétrole brut russe d’ici six mois et les produits raffinés d’ici fin 2022, a provoqué une levée de boucliers de la Slovaquie, de la Bulgarie, de la République tchèque et de la Hongrie, qui ont exigé des dérogations vu leur forte dépendance énergétique à Moscou.
Un délai de cinq ans pour Orban ?
La Commission envisagerait de donner à la Hongrie et à la Slovaquie jusqu'à la fin de 2024, et à la République tchèque jusqu'à juin 2024, pour cesser leurs importations de pétrole russe. Mais la Hongrie persiste et signe : elle aurait besoin d'au moins cinq ans pour s'en passer. Sinon, ce serait comme "une bombe atomique lâchée sur l'économie hongroise", insiste le chef de la diplomatie hongroise Peter Szijjarto.
Si elle ne peut envisager de rallonger autant le délai hongrois, la Commission marche sur des œufs et se garde d'accabler Budapest, qui importe environ 60 % de son pétrole de la Russie. Mme von der Leyen s'est rendue dans la capitale hongroise pour "chercher conjointement des solutions afin de répondre aux inquiétudes légitimes de la Hongrie quant à son approvisionnement en pétrole", a prudemment souligné mardi Eric Mamer, porte-parole de l'exécutif européen, mettant en avant la situation géographique de ce pays enclavé.
Après avoir passé le week-end à chercher une voie de consensus, les ambassadeurs des Vingt-Sept se retrouvent à nouveau mercredi pour tenter de faire avancer ce dossier miné. Alors que le président français Emmanuel Macron s'est entretenu mardi avec Viktor Orban, le secrétaire d'État français aux Affaires européennes, Clément Beaune, a estimé qu'un accord était possible "dans la semaine" .
Si la Hongrie est le plus farouche opposant à cet embargo, elle n’est pas le pays de l’UE le plus dépendant de l’or noir russe. De quoi soulever des interrogations sur ce blocage de Viktor Orban, qui n’a jamais caché, du moins avant cette crise, ses affinités avec Moscou. Selon l’AIE, en 2021, la Slovaquie a obtenu 96 % de ses importations de pétrole de la Russie. Ce chiffre s’élève à 83 % pour la Lituanie, 80 % pour la Finlande, 60 % pour la Bulgarie et environ 50 % pour la République tchèque.
Alors certes, la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie souffrent d'une dépendance particulière, en raison de leur approvisionnement via l'oléoduc russe Droujba, précise Thomas Pellerin-Carlin, de l'Institut Jacques Delors. "Pour ces trois pays, il sera très compliqué de trouver une alternative au pétrole russe à court terme."
Une question politique
Mais, en dépit de ces difficultés techniques réelles, cet expert estime que ce sont des considérations politiques qui poussent Viktor Orban à s'opposer à la proposition de la Commission. "La Commission a proposé que la mise en place de l'embargo soit retardée d'une année pour la Slovaquie et la Hongrie. Cela aurait laissé dix-huit mois à ces deux pays pour s'adapter. En réclamant un délai de cinq ans, M. Orban manipule probablement un problème légitime pour obtenir des concessions de l'UE sur d'autres sujets."
"Les difficultés dont la Hongrie fait état sont réelles. Règlons-les. Si on vient avec des solutions, on verra alors s'il s'agit d'autre chose", souligne aussi une source européenne. M. Pellerin-Carlin rappelle que la Hongrie et la Slovaquie, à elles deux, représentent moins de 3 % de la consommation européenne de pétrole. "Il est possible d'aider ces deux pays à passer le cap, explique-t-il. À court terme, il serait envisageable de leur livrer de l'essence et du diesel via des camions-citernes. Et d'ici dix-huit mois, il ne me paraît pas impossible d'approvisionner les raffineries slovaques et hongroises avec du pétrole issu d'autres pays que la Russie." Il sera néanmoins nécessaire de réaliser des investissements permettant à ces raffineries de fonctionner avec d'autres types de pétrole que celui venant de Russie.