Europe

La réforme des retraites a-t-elle vraiment été imposée par Bruxelles ?

9 min

Pour toucher les fonds du plan de relance européen adopté après la crise sanitaire, la France s’est engagée auprès de Bruxelles à conduire des réformes. Celle des retraites en fait-elle partie ? Décryptage.

La réforme des retraites défendue par la majorité présidentielle est-elle poussée en coulisses par l’Union européenne ? L’idée revient fréquemment dans le débat depuis quelques mois, à tel point que le bureau français de la Commission européenne a jugé nécessaire de répondre à cette accusation. Sans surprise, sa conclusion est sans appel : « Non, la Commission européenne n’impose pas à la France sa réforme des retraites ! ».

Ce n’est évidemment pas aussi simple. Afin de comprendre ce qui se joue entre Paris et Bruxelles à ce sujet, il est utile de se pencher sur les « recommandations pays » adressée chaque année par la Commission aux Etats membres… 

La réforme des retraites défendue par la majorité présidentielle est-elle poussée en coulisses par l’Union européenne ? L’idée revient fréquemment dans le débat depuis quelques mois, à tel point que le bureau français de la Commission européenne a jugé nécessaire de répondre à cette accusation. Sans surprise, sa conclusion est sans appel : « Non, la Commission européenne n’impose pas à la France sa réforme des retraites ! ».

Ce n’est évidemment pas aussi simple. Afin de comprendre ce qui se joue entre Paris et Bruxelles à ce sujet, il est utile de se pencher sur les « recommandations pays » adressée chaque année par la Commission aux Etats membres.

Ces dernières sont émises dans le cadre de la procédure du « Semestre européen » qui est censé assurer la solidité des finances publiques de chaque Etat, et garantir la convergence des politiques économiques, budgétaires et sociales sur le continent européen.

Pressions ou négociations ?

« A pas moins de huit reprises depuis 2011, l’Union européenne a demandé à la France de réformer son système de retraites », liste Manon Aubry, députée européenne et co-présidente du groupe de gauche.

La pression semble évidente. Sauf que ces recommandations ne sont pas imposées purement et simplement par la Commission. Elles sont négociées entre l’exécutif bruxellois et les capitales européennes. L’Union européenne n’a imposé des réformes des retraites que dans très peu de cas, rappelle Bruno Palier, auteur de Réformer les retraites (Les Presses de Sciences Po, 2021) : en Grèce, au Portugal et en Hongrie, par le biais de Memorandums of understanding.

« Le gouvernement français, à travers l’Union européenne, se fait ses propres recommandations » – Aurore Lalucq

Concrètement, chaque année au printemps, les Etats membres envoient à la Commission un « programme de stabilité » qui détaille les priorités qu’ils se sont fixées pour maîtriser la trajectoire des finances publiques pour les cinq ans à venir.

C’est sur cette base que la Commission formule des recommandations, publiées après leur adoption par le Conseil de l’UE, composé de l’ensemble des Etats membres. « Le gouvernement français, à travers l’Union européenne, se fait ses propres recommandations », résume ainsi l’économiste et eurodéputée Aurore Lalucq (groupe des sociaux-démocrates).

« Dans les recommandations faites à la France pour les années pré-Macron, en 2016 et 2017, le sujet des retraites n’est pas évoqué. Or, la Commission n’a pas soudainement découvert ce sujet en 2018. Elle s’est simplement empressée, à ce moment-là, de soutenir l’agenda macronien », explique Amandine Crespy, professeure à l’Université libre de Bruxelles, spécialiste de la gouvernance socio-économique de l‘UE.

Emmanuel Macron a même été plus royaliste que le roi puisque dans les recommandations faites à la France depuis 2018, il n’est nullement question du report de l’âge légal.

« En 2019, la Commission a même explicitement écrit, et c’est assez rare pour être souligné, que la part des dépenses de retraites dans le PIB français était à priori stable jusqu’au moins 2070 », décrit Andreas Eisl, chercheur en politique économique européenne à l’Institut Jacques Delors.

Malgré quelques légers déséquilibres à court terme, cette projection a été récemment confirmée par le Conseil d’orientation des retraites (COR).

Cette même année, la seule recommandation explicitement formulée par Bruxelles consiste à « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite, en vue de renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes ».

Visés également par le gouvernement, les régimes spéciaux sont depuis longtemps dans le viseur de la Commission qui voit dans leur suppression une manière de rendre le système plus équitable mais aussi de faire des économies – même si, en fait, ces dernières seraient sans doute symboliques.

Par ailleurs, ces recommandations sont très peu contraignantes. Entre 2011 et 2018, seules 9 % d’entre elles ont été intégralement mises en œuvre en Europe, a calculé la Cour des comptes européenne. Preuve qu’un Etat peut décider, s’il le souhaite, de ne pas les appliquer.

Il n’est pas si facile, toutefois, de faire totalement fi de la voix de Bruxelles, dont l’influence s’exerce aussi de manière plus subtile.

« La version finale des recommandations fait toujours apparaitre une forme de consensus. Mais elles sont le résultat de mois de négociations dont on ignore les termes, ce qui laisse place à toutes formes d’arrangements ou de chantages », regrette Marie-Noëlle Lienemann, députée européenne (socialiste) à plusieurs reprises entre les années 1980 et 2000.

Un plan de relance européen sous conditions

Surtout, la crise sanitaire a marqué une évolution majeure dans la gouvernance économique européenne qui renforce le pouvoir de contrainte de la Commission. Face à la pandémie de Covid-19, l’Union européenne a mis pour la première fois sur pied un programme d’endettement commun. Les 750 milliards d’euros empruntés à cette occasion sont en cours de distribution, et fléchés en priorité vers les pays les plus affectés par la crise.

« On est ainsi passé de l’approche du bâton à celle de la carotte, explique Amandine Crespy. Pour donner des gages aux pays du nord qui étaient opposés à cette idée, des conditions en termes de réformes, inspirées du semestre européen, ont été attachées à l’octroi des fonds »

Concrètement, les « plans de relance et de résilience » des différentes capitales fixent des objectifs détaillés et, en cas de non réalisation, la Commission peut bloquer les déboursements censés intervenir à échéance régulière jusque 2026.

Pour obtenir sa part du plan de relance, la France s’est engagée notamment sur la réforme de l’assurance chômage, entrée en application entre 2019 et 2021. Mais pas sur la réforme des retraites.

« Interprété positivement, ce changement signifie que les Etats membres sont désormais récompensés pour leurs actions », constate David Bokhorst, chercheur à l’Institut universitaire européen. Interprété négativement, il « accroit dès lors les possibilités de contrôle pour les institutions de l’UE y compris sur les questions politiquement sensibles des réformes de l’Etat providence ».

En Belgique par exemple, le gouvernement s’est engagé dans son plan « non seulement à proposer la réforme des retraites, mais aussi à faire adopter l’ensemble de la réforme par le Parlement dans un délai de deux ans et demi », décrit le chercheur. En raison de désaccords entre les partis composant l’exécutif, ce dernier a reporté la demande de versement de son deuxième chèque.

« Le parti socialiste souhaite relever les petites pensions de retraite ce qui nécessite, pour avoir l’aval de la Commission, de dégager des recettes supplémentaires, détaille Amandine Crespy. Les libéraux, de leur côté, se servent de l’argumentaire de la Commission pour imposer leur agenda de réduction des dépenses ».

Pour obtenir sa part du gâteau (40 milliards d’euros) la France s’est, elle, engagée notamment sur la réforme de l’assurance chômage, entrée en application entre 2019 et 2021. Mais pas sur la réforme des retraites.

« La Commission européenne ne pourrait donc pas suspendre ses versements si la France ne réformait pas son système des retraites », explique Vincent Courronne, docteur en droit européen et chercheur à l’Université Paris-Saclay.

L’autre pression du pacte de stabilité

Le fait que la réforme des retraites ne soit pas gravée dans le marbre du plan de relance français ne signifie pas pour autant que Bruxelles n’ait pas sa part de responsabilité sur le sujet. Le cadre budgétaire européen impose en effet aux Etats une pression permanente pour réduire leur déficit public et leur dette. Le pacte de stabilité a certes été suspendu à l’occasion de la crise sanitaire, mais une nouvelle mouture est en discussion pour prendre le relai dès l’année prochaine.

« Le système des retraites et de santé, qui représentent des postes budgétaires importants, sont des leviers privilégiés pour atteindre ces objectifs », explique Andreas Eisl. Une réforme des retraites devient ainsi un simple levier d’ajustement budgétaire, comme les dernières recommandations adressées à la France en attestent.

« La Commission préfère atteindre l’équilibre budgétaire en diminuant les dépenses plutôt qu’en augmentant les recettes » – Marie-Noëlle Lienemann

Tant que l’équilibre budgétaire est respecté, on pourrait imaginer qu’un pays puisse réformer ses retraites en augmentant, par exemple, le niveau de cotisations plutôt qu’en réhaussant l’âge de départ sans que cela ne suscite l’ire de Bruxelles.

Mais là encore, ça coince, car « la Commission préfère atteindre l’équilibre budgétaire en diminuant les dépenses plutôt qu’en augmentant les recettes », résume Marie-Noëlle Lienemann. Et la nouvelle version des règles budgétaires devrait accentuer encore cette tendance, comme expliquait récemment dans nos colonnes Jérome Creel, économiste à l’OFCE.

Alors, la faute à qui ? Il y a en réalité deux coupables. D’un côté, l’Union européenne, ses dogmes budgétaires et l’idéologie néolibérale qu’elle promeut, qui la pousse à défendre des systèmes plus individuels basés notamment sur le développement de la capitalisation.

De l’autre, l’exécutif français qui, plutôt que de chercher à faire entendre une autre voix, endosse totalement cette vision qui va dans le sens de son agenda national. Les deux, « à la manière d’un orchestre, jouent une partition différente mais pour jouer la même symphonie », conclut Manon Aubry.

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Commentaires (7)
CLAIRE DEBROCHE 15/03/2023
La Commission a toutefois donné son feu vert au plan de réforme des retraites espagnol qui prévoit pourtant une hausse des cotisations.
Frederik DUYM 12/03/2023
En tant que libéral viscéral et ambitionnant la tête de l UE, Macron n'a pas la facilité qu'ont bien d'autres dirigeants de charger l UE de tous les maux, quoique. VDL termine en 2024. Macron va t'il partir avant terme ou va t'il faire un deal pour remplacer VDL a mi-chemin au bout de son quinquennat en 2027 ?
BERNARD HOURDEL 12/03/2023
Le financement de la dette par les marchés financiers et l'intégration à l'euro avec des États européens attachés à la même idéologie du libre-échange non régulé et de la concurrence libre et faussée. Comment en sort-on? Quelles propositions faire, acceptables avec quel alliés? Sortir de l'euro et sauter dans le vide? Pour le coup on va lutter contre le réchauffement en ne consommant plus ce que nous ne produisons pas!!
Pascal SOLAL 12/03/2023
C'est le point de vue que je défends depuis des années: l'UE n'impose rien aux États, car, à la tête de la commission et de chaque État, on trouve des gens qui appartiennent à la même classe sociale: la bourgeoisie.
ALICE 10/03/2023
Dans ce cas il ne faudra pas jouer les candides lors des prochaines élections et le score encore plus élevé des partis anti-europeens. A force de souffler sur les braises… les pompiers pyromanes à la manœuvre !
Gourou51 07/03/2023
De toute façon Macron se rêve en futur Président de la Commission Européenne alors il ne va pas se fâcher avec ces instances bien au contraire !
VERSON THIERRY 08/03/2023
je n'y avais pas pensé, mais c'est effectivement une éventualité qui lui permettrait de continuer à servir ses sponsors.
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