La réforme du marché européen de l’électricité, et après ?

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L’objectif de cette réforme est avant tout de juguler les hausses de prix de l’électricité en période de crise et de favoriser l’investissement dans les moyens de production d’électricité bas-carbone, car pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’UE devra compter 85 % de bas-carbone dans son mix électrique en 2030 – 70 % de renouvelable. [Tobias Arhelger / Shutterstock]

L’UE est sur le point d’entériner la réforme de son marché de l’électricité. Accomplissement majeur de la mandature actuelle, elle n’est que la première pierre du futur système électrique européen. De nombreux ajustements devront être apportés pour assurer sa résilience après 2030. Et pourquoi pas une autre réforme ? Analyse.

Les eurodéputés ont adopté la réforme du marché européen de l’électricité jeudi dernier (11 avril), fruit du consensus européen trouvé en décembre. Elle doit encore être validée par les États membres pour être complètement entérinée. 

L’objectif de cette réforme est avant tout de juguler les hausses de prix de l’électricité en période de crise et de favoriser l’investissement dans les moyens de production d’électricité bas-carbone, car pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’UE devra compter 70 % d’énergie renouvelable dans son mix électrique en 2030 — 85 % de bas-carbone en tout.

Avec un tel mix, « le fonctionnement du marché [post-2030] sera plus erratique qu’aujourd’hui, car composé de sources intermittentes », comme l’éolien ou le solaire, explique à Euractiv Andreas Rüdinger, chercheur au think tank de la transition énergétique IDDRI.

Conséquence  ? Les besoins d’équilibrages du réseau seront très importants. « Le maître mot sera la “flexibilité” […] capable de donner un signal-prix de court terme volatil, tout en offrant une visibilité de long terme — 15 à 20 ans — aux consommateurs, notamment industriels », complète le chercheur.

La flexibilité consiste à assurer l’équilibre entre l’offre et la demande sur plusieurs horizons temporels (horaire, journalier, etc.). Ses capacités devront doubler d’ici à 2030, selon les estimations de l’UE. À cette fin, les acteurs et observateurs du secteur le savent bien : la réforme qui s’apprête à être entérinée n’est pas suffisante pour entraîner le changement de paradigme énergétique que suppose le mix à venir. Il faudra, en effet, aller beaucoup plus loin.

L’UE tient sa réforme du marché de l’électricité — le nucléaire existant y compris 

Au bout d’un marathon nocturne de dix heures et après des mois de tractations, le Parlement européen et les 27 Etats membres sont parvenus jeudi matin (14 décembre) à un accord sur la réforme du marché européen de l’électricité.

Les contrats, pour stimuler la production

La réforme a ouvert le champ à des contractualisations à plus long terme pour la production d’électricité capable de prémunir les producteurs et les consommateurs contre des variations trop importantes des prix, toutes sources bas-carbone confondues (contrats d’achat d’électricité PPA, contrat d’écarts compensatoires CfD).

Mais déjà, M. Rüdinger propose d’aller plus loin : « il faut ouvrir la voie à des “pools” de contrats mêlants directement nucléaire et renouvelables ». En d’autres termes, permettre que les consommateurs aient accès à de l’électricité agrégée issue de plusieurs contrats, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

« Une telle approche combinée permettrait de maximiser les effets de foisonnement entre différentes sources de production, réduisant d’autant les besoins d’équilibrages qui seraient associés à des contrats individuels basés sur la production d’une seule installation », explique le chercheur.

Pour Camille Defard, cheffe du centre Énergie de l’Institut Jacques Delors, il serait également opportun de « penser le soutien des renouvelables avec des schémas de subventions pan-européens, plutôt que seulement nationaux », dit-elle à Euractiv.

Pour d’autres, comme les industriels réunis au sein du groupe « Table ronde européenne pour l’industrie » (ERT), qui réunit notamment Engie, Eni, Iberdrola ou TotalEnergies, les gouvernements devraient plutôt créer des polices d’assurance soutenue par l’État en cas de variation des prix, plutôt que des contrats qui régulent eux-mêmes les prix et qui, selon eux, créer de la volatilité.

Outre les contrats, d’autres ajustements doivent permettre d’équilibrer le réseau en motivant la flexibilité : incitations à l’investissement, au maintien de capacités pilotables, au stockage, à la gestion de la demande (effacement), à la coordination des acteurs, etc.

L’industrie demande une réforme plus profonde du marché de l’électricité pour motiver l’investissement dans le réseau

Selon un rapport réalisé pour la Table ronde des industriels européens, l’UE sera confrontée à un déficit d’investissement dans les réseaux électriques de 800 milliards d’euros d’ici 2030. Le groupe appelle à une réorganisation profonde du marché pour résoudre ce problème.

Les mécanismes de capacité, pour rémunérer la disponibilité

Dans un système dominé par les énergies intermittentes, les énergies pilotables bas-carbone (nucléaire, hydraulique, biomasse, etc.), dont la production peut être anticipée, sont indispensables pour sécuriser le réseau.

Or, dans un tel système, elles ne pourront pas être rentables grâce à leur production. Il faudra donc développer des « mécanismes de capacité » afin de rémunérer les actifs pour leur disponibilité, plutôt que leur production effective.

Sauf que « dans le timing imparti par la réforme actuelle, il n’était pas possible d’adresser la rémunération de la capacité disponible », reconnaît auprès d’Euractiv l’expert en marché de l’énergie près le cabinet Colombus Consulting, Nicolas Goldberg.

La réforme s’y est bel et bien intéressée, mais seulement pour prolonger la dérogation permettant d’user des centrales fossiles les plus polluantes, faute d’actifs décarbonés suffisants.

En outre, il existe déjà plusieurs « mécanismes de capacité » ou « systèmes de réserve » (hors marché) en Europe, en France et en Allemagne notamment. Néanmoins, leurs fonctionnements divergeant n’incitent pas à permettre qu’ils fonctionnent l’un pour l’autre en cas de besoin. Dès lors, « il va falloir construire un mécanisme de capacité un peu plus harmonisé en Europe », préconise M. Goldberg.

Chute du prix du carbone : les acteurs du marché cherchent à rassurer

Bien que temporaire selon les experts, la chute brutale du prix du CO2 dans l’UE, met en péril la crédibilité du marché du carbone et constitue un obstacle à la décarbonisation de l’industrie de l’Union.

Le stockage, pour l’équilibre quotidien

Peut-on considérer que les actifs pilotables jouent un rôle de stockage de long terme, à la différence des systèmes de stockage sur des laps de temps plus courts, possiblement intrajournaliers, comme les batteries ?

La réforme actuelle préconise la mise en place d’un cadre propice au développement des moyens de stockage, mais elle « n’aborde pas complètement [la] question […] d’un déploiement robuste du stockage », note pour Euractiv l’association européenne pour le stockage d’énergie (EASE).

L’EASE souhaiterait voir émerger une stratégie européenne du stockage, capable d’établir des objectifs non contraignants et de stimuler la mise en place de mécanismes comme des enchères de capacités saisonnières.

« La Commission européenne pourrait s’y atteler de manière réaliste », défend l’association.

L’effacement, pour gérer la consommation

Les consommateurs devront aussi être mis à contribution, grâce à l’effacement de consommation.

Des marchés de l’effacement existent, tant pour les industriels que pour les ménages, mais ils doivent être plus harmonisés entre les États membres, plaident les acteurs du secteur, comme l’association européenne smartEN.

Elle plaide également pour que le secteur soit reconnu comme une industrie à part entière, capable d’être, pour cette raison, financé, doté d’objectifs et en capacité d’assurer la bonne rémunération des acteurs du système, industriels ou particuliers. Pour ces derniers, cela doit passer par des offres de contrats adéquates, des incitations au recours aux compteurs intelligents, etc.

Enfin, smartEN plaide aussi pour le déploiement d’un espace dédié au partage de données énergétiques.

Flexibiliser la demande, un enjeu clé de la réforme du marché européen de l’électricité

Le développement accru d’énergies décarbonées non pilotables dans l’UE va massifier les besoins de flexibilité du réseau électrique, notamment par la demande, vivier important d’optimisation, plaident les acteurs du marché.

Les réseaux, pour fluidifier les échanges

« Le sujet de la flexibilité ne doit pas venir obérer celui des investissements dans les réseaux », prévient l’Union française de l’électricité, association professionnelle du secteur de l’électricité en France, auprès d’Euractiv.

Dans le même sens, cela doit s’accompagner d’investissements pour fluidifier le réseau, éviter les congestions, permettre la bi-directionnalité, etc., alors que sur la trajectoire actuelle, l’UE pourrait être confrontée à un déficit d’investissement dans les réseaux électriques de plus de 800 milliards d’euros d’ici à 2030.

L’urgence semble partagée, puisque les États membres en ont discuté lors du Conseil « Énergie » de lundi et mardi (15 et 16 avril).

L’association européenne des électriciens, Eurelectric, en a fait grand cas en envoyant une lettre aux ministres de l’Énergie des Vingt-Sept le 10 avril leur demandant, notamment, d’étudier la possibilité d’outils de financement nationaux, mais aussi européens, en particulier pour les gestionnaires de réseau de distribution.

« L’équilibrage du réseau va se faire de plus en plus grâce à des solutions décentralisées », explique la chercheuse Camille Défard à Euractiv.

Tout comme l’ERT, Eurelectric préconise la rationalisation des octrois de permis et la sécurisation de l’accès aux produits essentiels pour le système électrique.

Enfin, les interconnexions vont devoir être maximisées et la réservation de capacités rallongée — elle est aujourd’hui d’un an. Davantage d’interconnexions obligera, en outre, les États membres à travailler davantage ensemble.

Même chose pour les marchés d’échanges de court terme : il faudrait, selon le think tank spécialisé Bruegel, créer des institutions de marché partagées avec des règles identiques dans tous les pays mis en commun, comme le marché spot NordPool.

Réseau électrique : l’UE opte pour une stratégie risquée d'investissements

L’Union européenne envisage de réaliser d’importants investissements dans son infrastructure énergétique, ce qui pourrait déplacer le risque financier de l’industrie vers les consommateurs et entraîner la présence de pylônes superflus ou peu utilisés.

Une nouvelle réforme  ?

En somme, la flexibilité passe surtout par la coordination transfrontalière des systèmes. En ce domaine, le travail ne fait que commencer.

« Il faudrait que la prochaine Commission européenne travaille à des pistes de réformes, par exemple au travers d’un livre blanc, d’études ou communications, pour alimenter ce débat, préparer le terrain pour la réforme qu’il va falloir faire », s’essaye Mme Defard. Une éventualité qu’envisage aussi M. Rüdinger : « il faut déjà préparer la deuxième réforme ».

Plus prudent, le PDG de l’énergéticien d’État finlandais Fortum, Markus Rauramo, interrogé sur la question jeudi dernier (11 avril) par Euractiv, consent qu’il « faut adapter le marché » au-delà de la réforme actuelle, notamment pour assurer une rémunération profitable aux mécanismes de capacités bas-carbone.

En ce sens, « modifier à nouveau les règles à court terme ne fera que créer de l’incertitude et de la confusion. Il est temps de se concentrer sur la mise en œuvre et d’observer comment les nouvelles règles fonctionnent lorsqu’elles sont appliquées », déclare à Euractiv le secrétaire général d’Eurelectric, Kristian Ruby. Mais « compte tenu de l’ampleur des investissements nécessaires et de l’environnement économique difficile, nous pourrions être amenés à développer des outils supplémentaires de réduction des risques », conclut-il.

Énergie : l’UE adopte de nouvelles règles pour protéger les consommateurs contre les manipulations du marché

Le Conseil de l’UE a officiellement adopté une nouvelle loi visant à protéger les consommateurs d’énergie contre les manipulations du marché de gros en renforcant la surveillance de celui-ci et garantissant une concurrence ouverte et équitable en matière d’électricité dans l’Union.

[Édité par Anne-Sophie Gayet]

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