Autrefois taboue, la sobriété fait de plus en plus partie du débat public quand il s'agit d'évoquer les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. La notion a ainsi émergé dans tous les grands rapports publiés depuis un an et commence même à être reprise par certains politiques. Mais d'importants obstacles restent à lever pour qu'elle puisse pleinement être actionnée. 

La sobriété est partout. Depuis un an, que ce soit l’AIE, Agence internationale de l’énergie, RTE, le gestionnaire du réseau d’électricité, l’Ademe, agence de la Transition écologique, ou plus récemment le Giec, le Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat, tous ont consacré un scénario ou un chapitre à ce sujet jusqu’alors tabou. Et tous tombent d’accord sur le fait que, pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, la sobriété est un levier d’action important, au même titre que les énergies décarbonées ou que l’efficacité énergétique avec laquelle il ne faut pas la confondre.
Le dernier rapport du Giec estime ainsi que la sobriété peut réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 40 à 70 % d’ici 2050 tandis que le scénario sobriété de RTE chiffre le gain à 90 térawattheures à cet horizon. Comment ? En réduisant nos consommations, nos déplacements, en optant pour la marche, le vélo ou les transports en commun, en relocalisant nos achats, en ajustant la température ou encore en adoptant un régime alimentaire moins carné. Il s’agit de discuter de tous les enjeux liés aux comportements et aux modes de vie afin de sortir la question de l’énergie du seul débat technique du mode de production.

"Pas de levée de boucliers sur la sobriété"


Le scénario "Génération frugale" de l’Ademe propose ainsi de réduire de 30 % la surface moyenne des maisons individuelles neuves, de diviser par trois notre consommation de viande ou encore de baisser de 26 % les kilomètres parcourus. Celui de RTE propose de passer d’un jour (scénario de référence) à deux jours et demi de télétravail par semaine quand celui de Négawatt, précurseur sur le sujet depuis vingt ans, évoque par exemple la réduction de 40 % de nos achats de vêtements neufs.
"Il faut dépasser des résistances fortes basées sur des décennies consuméristes", prévient Yves Marignac*, porte-parole de l’association Négawatt. Selon RTE, "pour certains groupes, la sobriété est la première des réponses à la crise environnementale, tandis que d’autres en rejettent le principe même au nom des libertés individuelles et du maintien d’une forme subjective de confort". Sarah Thiriot*, sociologue à l’Ademe, confirme qu’"il n’existe pas de forte levée de boucliers de la part des citoyens sur la sobriété". "Aucun scénario ne suscite ni une pleine adhésion ni un refus catégorique", assure-t-elle.
Parmi les changements jugés faisables par les citoyens interrogés par l’Ademe, il y a la baisse de la consommation d’énergie chez soi, produire ses propres légumes, acheter local ou manger moins de protéines animales. A contrario, parmi ceux qui ont été jugés peu faisables, il y a le partage de pièces ou d’espaces communs, la mise en place de quotas CO2, ou encore la réduction d’aliments venant d’autres pays comme le chocolat ou le café.

"Parler des pertes"


"Il faut mettre sur la table la question de ce que l’on va perdre concrètement. Baisser la température, c’est moins de confort. Se déplacer à pied ou à vélo, cela demande un effort. Manger moins de viande, cela peut aussi être une perte de plaisir. Est-ce que ces pertes sont graves ? Comment peuvent-elle être compensées ? Il faut sortir de l’hypocrisie et arrêter de faire comme si ça ne posait aucun problème pour discuter de ces sujets", pointe Daniel Boy, directeur de recherche émérite à Science Po.
Une autre limite à la sobriété est la question de la justice sociale. En effet, comment demander de réduire la température dans les habitations quand certains ménages les plus modestes ne parviennent même pas à se chauffer. "La sobriété impose de mettre en place des plafonds mais il faut aussi prévoir des planchers", plaide Yves Marignac. "Cela nécessite une action collective et structurée car la sobriété n’est pas qu’une affaire de consommateurs", conclut-il.
Enfin, d’un point de vue économique, l’Ademe déconstruit un préjugé tenace. Elle assure que "la sobriété n’est pas synonyme de décroissance", et que "le choix d’un scénario plutôt qu’un autre relève plus de priorités politiques que de considérations macroéconomiques". "Loin des caricatures, la sobriété énergétique recouvre des moyens très divers, qui n’impactent pas forcément le confort et sont compatibles avec une réindustrialisation du pays", conclut Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l’Institut Jacques Delors.

Concepcion Alvarez @conce1
* Propos recueillis lors du webinaire "Totem ou tabou : comment débattre des leviers de sobriété ?" organisé par l’Iddri, à revoir ici.

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