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Tribune

Opinion | Retrouver l'esprit de 1989

Trente ans après la chute du mur de Berlin, le consensus démocrate-libéral de 1989 s'est évaporé. Ce modèle est parfois jugé impuissant et les populistes gagnent du terrain, observent Thierry Chopin et Lukas Macek. Pour redonner espoir et retrouver la confiance, il faudrait bâtir un projet économique et politique commun à l'Europe.

Berlin célébrait ce 9 novembre le trentième anniversaire de la chute du mur.
Berlin célébrait ce 9 novembre le trentième anniversaire de la chute du mur. (Tobias Schwarz/AFP)

Par Thierry Chopin (professeur de science politique à l’Université catholique de Lille, Espol), Lukas Macek (directeur du campus centre et est-européen de Sciences Po à Dijon)

Publié le 12 nov. 2019 à 15:30Mis à jour le 12 nov. 2019 à 16:51

1989. Pour notre génération, à l'Ouest comme à l'Est, cette date symbolise l'échec du totalitarisme et la promesse d'un avenir libre et démocratique pour tous les Européens. L'Union européenne a réussi une de ses plus belles réalisations, en fédérant l'Europe autour des valeurs de liberté. Célébrer la chute du mur de Berlin, c'est aussi rappeler cet exploit de la construction européenne. Toutefois, l'illusion d'une « fin de l'histoire » s'est dissipée et les valeurs de 1989 sont aujourd'hui fortement fragilisées.

Les Européens doivent répondre aux défis qui plongent leurs racines dans la difficulté des élites de ces 30 dernières années à apporter des réponses aux problèmes essentiels de nos sociétés. D'autres dates sont venues marquer les esprits de manière profondément négative : le 11 septembre 2001, la chute de Lehman Brothers en 2008 ou encore l'année 2015, annus horribilis de l'Union européenne ébranlée par les attentats islamistes, la crise grecque et la crise migratoire, précédée par celle de l'annexion de la Crimée et suivie par celle du Brexit.

Le souvenir de 1989 nous rappelle que l'histoire, même si elle est tragique, peut connaître aussi des tournants heureux et admirables. Certes, le défi qui nous est lancé par l'islamisme radical, l'autoritarisme conservateur russe ou le totalitarisme high tech chinois ont de quoi impressionner. Mais notre modèle peut trouver à nouveau des ressources pour l'emporter.

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Tableau sombre

Il faudra retrouver la confiance en soi et de rétablir un consensus interne élémentaire. Car ces 30 dernières années ont vu le vaste consensus démocrate-libéral de 1989 largement gaspillé. A l'Est, au narratif du « retour à la famille européenne » de Havel s'est substitué le narratif nationaliste et « illibéral » d'Orban, avec la hantise de rester des « Européens de seconde zone ». A l'Ouest, les élites n'ont pas su assumer et accompagner l'adaptation des sociétés à la nouvelle donne post-Guerre froide, à l'intégration de l'Europe centrale et orientale et à la mondialisation.

Partout, les populismes progressent et se radicalisent, à gauche comme à droite, avec une cible commune : les valeurs des démocraties libérales et l'Union européenne, leur incarnation emblématique. Mais le tableau n'est pas que noir. Plusieurs élections ou mobilisations de la société civile montrent, à l'Ouest comme à l'Est, que les héritiers de 1989 n'ont pas dit leur dernier mot.

Certes, il faut réaffirmer et défendre les principes fondateurs des démocraties libérales. Mais il faut aussi avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître les insuffisances et les échecs de leur mise en oeuvre depuis 1989 - à commencer par les excès des dernières décennies qui ont permis d'associer l'idée du capitalisme libéral à l'image de l'avidité décomplexée… Il faut répondre aux malaises qui alimentent la vague antilibérale actuelle.

Renouveler nos systèmes politiques

Face au sentiment que la démocratie libérale est un régime impuissant et l'UE un espace ouvert à tous les vents, il faut renouveler nos systèmes politiques, sans renoncer à la démocratie représentative, seule capable d'organiser une délibération constructive et raisonnable. Mais aussi résoudre la question des frontières de l'UE et de leur protection sans trahir nos valeurs humanistes.

Face aux effets de la dernière crise économique, il faut reconnaître l'importance et la légitimité de la lutte contre l'insécurité économique et de la solidarité. Face aux divers malaises que traversent maintes sociétés nationales, il faut prendre en compte l'importance de l'identité et de l'appartenance à une communauté politique. Face à ceux qui se sentent ignorés voire méprisés par les « élites », ces dernières doivent entendre leur exaspération, se montrer exemplaires, plus compréhensives et respectueuses à l'égard des résistances aux évolutions sociétales controversées ou encore rendre le monde politique plus ouvert et inclusif.

A défaut, on ouvre la voie aux forces radicales, portées par le ressentiment et la colère. Or, le problème du libéralisme politique est qu'il cherche à substituer la rationalité des intérêts aux passions politiques qui font aujourd'hui leur grand retour. Les démocrates libéraux doivent définir un projet politique de long terme pour l'Europe qui, sans renoncer à la rationalité, doit aussi parler aux coeurs. Là encore, 1989 inspire : une incroyable charge émotionnelle positive a été libérée par des révolutions profondément modérées, pacifiques et anti-utopistes. Réaffirmons l'idée que la véritable force est celle de la modération. Et que la plus haute passion politique, c'est la liberté, indissociable de l'impératif de responsabilité.

Fiers d'être Européens

Ce projet doit être celui de (re) construire, face aux modèles anti-libéraux, un modèle politique et économique proprement européen, conciliant liberté, solidarité, ouverture à l'autre et tolérance, dans un équilibre spécifique entre libertés fondamentales, Etat de droit et aspiration à la sécurité. Et il doit faire appel à une émotion positive : la fierté. Soyons fiers d'être dépositaires d'une immense culture, d'avoir triomphé en 1918, en 1945 et en 1989, d'avoir fait de l'Europe un lieu où la qualité de vie est sans précédent. Néanmoins, pour rendre ce discours audible, il faut remédier aux contradictions les plus criantes de notre système et redonner au modèle européen l'exemplarité et l'attractivité du modèle occidental en 1989.

La réponse ne peut être qu'européenne. Au-delà de son influence pacificatrice et modératrice, elle procure la taille critique pour peser dans un monde dont l'évolution rend toujours plus perceptible la spécificité européenne. Or, pour la défendre et la promouvoir, l'Europe doit s'assumer et s'affirmer comme une communauté politique sûre de sa légitimité, consciente de ses valeurs et de ses intérêts et confiante dans ses moyens d'agir. Le défi est immense, mais la génération éveillée à la citoyenneté par l'euphorie de 1989 doit le relever.

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Thierry Chopin, professeur de science politique à l'Université catholique de Lille (ESPOL), conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors. Lukas Macek, directeur du campus centre et est-européen de Sciences Po à Dijon.

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