Interview

Géopolitique : «L’affaiblissement de l’idée de neutralité est une mauvaise nouvelle»

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
L’année 2022 a été marquée par la demande d’adhésion à l’Otan de la Suède et de la Finlande, qui ont rompu avec une longue tradition de neutralité. Une position qui s’est affaiblie en Europe, déplore le chercheur Cyrille Bret.
par Nelly Didelot
publié le 8 mars 2023 à 5h34

Depuis un an, l’échiquier stratégique européen se recompose sous l’effet de la guerre en Ukraine. L’une des conséquences les plus visibles est la remise en question de la neutralité stratégique adoptée jusque-là comme mesure de protection par plusieurs pays européens, explique Cyrille Bret, chercheur spécialiste de la Russie et de l’Europe orientale associé à l’institut Jacques Delors.

La notion de neutralité a-t-elle reculé en Europe depuis le début de la guerre ?

Le principal point de bascule a été la candidature de la Finlande et de la Suède à l’Otan. Respectivement, ces pays avaient une histoire de soixante-dix ans et de deux cents ans de neutralité qu’ils ont rompue en choisissant d’adhérer à une alliance militaire. C’est une vraie rupture stratégique, il ne faut pas la sous-estimer. Cela donne aussi la tonalité du débat sur les neutralités en Europe. Leur décision a eu un effet d’entraînement, d’autres pays neutres ont entamé leur réflexion.

Assiste-t-on à une évolution ou à un affaiblissement de la notion de neutralité ?

Il s’agit clairement d’un affaiblissement. Beaucoup de pays ont fait une lecture univoque du conflit en Ukraine, en estimant que c’est la non-appartenance du pays à l’Otan qui avait permis l’invasion russe, et que la non-participation à une alliance militaire était donc une faiblesse. Cela ne va pourtant pas de soi. Au cours du XXe siècle, des Etats ont souvent choisi la neutralité pour éviter d’être pris dans des engrenages guerriers. L’affaiblissement de l’idée de neutralité stratégique est à mes yeux une mauvaise nouvelle. La neutralité offre tout un gradient d’engagement dans les relations internationales, alors que l’idée d’alliance est binaire. Il faut aussi se rappeler que tous les Etats, en particulier les petits, n’ont pas les moyens de porter une politique engagée en matière diplomatique, économique ou militaire.

Y aura-t-il encore de la place pour la neutralité en Europe après la guerre ?

C’est une question dont nous n’avons pas encore la réponse. Le caractère de cette guerre, avec un agresseur clair et le piétinement des frontières inter­nationales, rend la neutralité très difficilement tenable aujourd’hui en Europe. On est plutôt face à des pôles qui se renforcent. Pourtant, il faut continuer à s’interroger. La neutralité est-elle une vulnérabilité ou une force ? Il me semble qu’il n’y a pas de réponse absolue.

Ce concept de neutralité ­recouvre-t-il des situations différentes ?

Tout à fait. Chaque neutralité est particulière et s’inscrit dans un contexte national. La Suisse bénéficie de la neutralité la plus solide et la plus complète depuis le traité de Paris de 1815, où toutes les puissances européennes ont garanti l’inviolabilité du territoire suisse en échange de sa neutralité perpétuelle. Pour le voisin autrichien par exemple, c’est différent. La neutralité a été imposée de l’extérieur après la Seconde Guerre mondiale. C’était une concession faite à Staline par les Occidentaux, qui a évité sa scission en deux zones d’influence puis en deux Etats comme cela a été le cas pour l’Allemagne. Il faut aussi distinguer neutralité militaire et neutralité diplomatique absolue. L’adoption de sanctions économiques, comme l’a fait la Suisse par exemple, ne rompt pas son statut de neutralité.

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