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Tribune

Opinion | Le Brexit va-t-il réussir ? Probablement pas

Boris Johnson a remporté une large victoire électorale, mais le projet de faire du Royaume-Uni un « Singapour-sur-Tamise » n'est pas aisé à réaliser. Parce que le Royaume-Uni seul a des capacités de négociations limitées à l'international. Et parce que cela impliquerait une baisse drastique des impôts qui est orthogonale avec le financement de dépenses publiques promises par Boris Johnson lui-même.

Boris Johnson, le Premier ministre du Royaume-Uni.
Boris Johnson, le Premier ministre du Royaume-Uni. (Matt Dunham/AP/Sipa)

Par Thierry Chopin (professeur de science politique à l’Université catholique de Lille, Espol)

Publié le 30 janv. 2020 à 06:00Mis à jour le 30 janv. 2020 à 11:23

Les Brexiters ont gagné la bataille du Brexit, mais le Brexit va-t-il réussir ? Trois raisons permettent d'en douter. Première raison, l'aveuglement des Brexiters qui rêvent d'un « Singapour-sur-Tamise ». Le poids économique et commercial de l'UE est beaucoup plus important que celui du Royaume-Uni pris isolément et l'UE est moins dépendante vis-à-vis du Royaume-Uni que l'inverse. Les négociations d'accords commerciaux avec les grandes puissances comme les Etats-Unis , la Chine et l'Inde seront permanentes, longues et très dures dans un contexte où le Royaume-Uni hors de l'UE négociera seul dans le cadre de rapports de forces beaucoup moins favorables qu'en tant qu'Etat membre de l'UE.

En outre, le commerce international d'un pays est ouvert avec d'autres à certaines conditions dans le cadre d'une logique de compensations demandées par les pays tiers : à titre d'exemple, la Chine et l'Inde ne donneront un accès plus favorable à leur marché au Royaume-Uni que si Londres assouplit sa politique de visas vis-à-vis des Chinois et des Indiens.

En outre, le scénario « Singapour-sur-Tamise » devrait conduire Londres à déployer des stratégies de concurrence fiscale très agressives contre ses anciens partenaires européens. Une telle stratégie non coopérative semble également méconnaître un certain nombre de réalités : la concurrence fiscale est déjà possible au sein de l'UE et tous les Etats membres sont en train de baisser leur taux d'impôt sur les sociétés. Les autres Etats membres de l'UE laisseront-ils faire en se « tournant les pouces » ? La réaction européenne face aux Etats-Unis dans le dossier de la taxation des Gafam montre que cela n'a rien d'évident.

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Stratégie de dérégulation

Deuxième raison : la comparaison avec des pays européens non-membres de l'UE prospères sur le plan économique doit être relativisée. La Suisse passe son temps à négocier avec l'UE des accords bilatéraux et la Norvège est membre de l'Espace économique européen.

Par ailleurs, la croissance du PIB de ces pays a été moins élevée que celle du Royaume-Uni (comme Etat membre), de l'UE et de la zone euro durant ces 20 dernières années. Les prévisions de croissance du Royaume-Uni sont d'ailleurs à la baisse en prévision de sa sortie de l'UE. La stratégie néolibérale de dérégulation financière conduite par Margaret Thatcher a pu fonctionner, mais dans le cadre de la CEE puis de l'UE, marché qui favorise les services financiers. La City est le centre financier pour l'euro (2e devise au monde) et restera un centre financier important ; mais le Royaume-Uni perdra le passeport financier permettant de servir la zone euro depuis le Royaume-Uni et la zone euro conditionnera l'accès à son marché des services financiers à l'équivalence de la réglementation britannique à celle de l'UE.

« Singapour-sur-Tamise »

Troisième raison : le narratif « Singapour-sur-Tamise » peut-il réellement apparaître comme un « modèle » pour le Royaume-Uni ? Singapour est gouverné par un régime autoritaire et clanique (autour de quelques familles) au sein duquel il n'y a pas de concurrence démocratique. Singapour n'est pas seulement une place financière de première importance et sa croissance a été surdéterminée par sa position géographique : la cité-Etat est un port d'importance mondiale avec des activités logistiques, de négoce et de raffinerie essentielles. Londres n'est pas Singapour et le Royaume-Uni n'est pas seulement Londres ; si cela avait été le cas, le Royaume-Uni serait resté au sein de l'UE.

Enfin, le scénario visant à faire de Londres un « Singapour-sur-Tamise » implique une baisse des impôts, ce qui pose la question du financement des dépenses publiques et notamment du système de protection sociale britannique (National Health Service). Le Brexit va-t-il réussir ? Probablement pas ou alors il fera de nombreux perdants dont ceux qui ont voté pour sortir de l'UE et qui seront alors très amers. La frustration, le ressentiment et la colère qui en découleront ne pourront alors qu'accroître la montée du populisme sous la double forme d'un populisme nationaliste et néolibéral, d'un côté, et d'un populisme de gauche, de l'autre. Il est évident que ni les Anglais, ni les Britanniques, ni les Européens n'auraient à gagner à la victoire d'un tel scénario.

Thierry Chopin, professeur à l'Université catholique de Lille (Espol), conseiller spécial à l'Institut Jacques Delors.

VIDEO. L'émouvant chant d'adieu aux Britanniques du parlement européen

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