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Europe

UE : quelles vont être les six dossiers les plus chauds des nouveaux eurodéputés ?

Le scrutin du 26 mai change les équilibres au Parlement de Strasbourg. Face aux souverainistes, le camp des europhiles va devoir compter avec la percée des Verts et des libéraux. Et tourner la page Brexit.

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LES EURODÉPUTÉS APPROUVENT LA PROCÉDURE DE L'UE CONTRE LA POLOGNE

Brexit, présidence de la Commission, avenir d'Angela Merkel, place de l'extrême-droite et de LREM... Les dossiers ne manquent pas pour les nouveaux eurodéputés.

STRINGER

Affaiblissement des deux grands partis, victoire modérée des populistes, percée des Verts (spectaculaire en Allemagne et aux Pays-Bas), poussée des centristes, en passe de devenir un groupe charnière. Les élections qui se sont déroulées du 23 au 26 mai sur tout le continent, Royaume-Uni compris, ont donné des tendances comparables à celles observées en France. Moins monolithique, le nouveau Parlement que les 370 millions d’électeurs européens se sont choisi devrait connaître, non pas la révolution dont les extrêmes rêvaient, mais une évolution. « Le double vote en faveur des libéraux et des Verts paraît témoigner d’un désir de nouveauté politique », analyse le professeur de sciences politiques à l’Université catholique de Lille Thierry Chopin, pour qui se dessine « une forme de politisation de l’Europe ». Car, appuie l’expert, « le débat ne portera finalement pas sur la désintégration de l’Europe, mais sur l’Europe que l’on souhaite (sur les questions d’environnement, de rapport à l’immigration, de valeurs, etc.). » Décryptage des enjeux d’une mandature de cinq ans qui s’ouvrira le 2 juillet.

1. Quelle majorité pour diriger le Parlement européen ?

C’est une première en quarante ans. Alors que depuis 1979, l’hémicycle était gouverné au centre (centre droit sur les questions économiques, centre gauche sur les questions sociétales), par une alliance entre conservateurs (du Parti populaire européen, PPE) et sociaux-démocrates, dimanche 26 mai, le duopole est mort. Affaiblis, les deux grands partis ont ramassé 43,8 % des voix, un score insuffisant pour former une majorité.

Face à un résultat que le chef économiste d’ING, Julien Manceaux, qualifie de « glissement historique », il va falloir trouver des forces d’appoint, en s’appuyant sur trois partis, avec les centristes (qui ont obtenu 14 % des suffrages), voire sur quatre, (avec les Verts qui frisent la barre des 10 %). Une configuration optimale, selon Thierry Chopin. « Le soutien des libéraux sera nécessaire pour bâtir une coalition. Mais après leur percée, il serait important que les Verts en fassent aussi partie. Arithmétiquement cela ne s’impose pas ; mais le vote a souligné combien les enjeux écologiques sont devenus incontournables. »

2. Quel président pour la Commission européenne ?

Qui pour remplacer Jean-Claude Juncker ? L’élection du Parlement ayant acté un nouvel équilibre politique, s’ouvre désormais une série de nominations pour les « top jobs » de Bruxelles, à commencer par le plus crucial d’entre eux : celui de patron du Berlaymont, le siège de la Commission. Très politique, la question agite la bulle bruxelloise depuis des mois.

Deux visions s’opposent. Celle de la plupart des chefs d’Etat et de gouvernement, à commencer par Emmanuel Macron et les premiers ministres luxembourgeois et néerlandais, Xavier Bettel et Mark Rutte, qui veulent garder la main sur cette nomination stratégique. A l’inverse, les élus du Parlement réclament que s’applique le principe dit du « Spitzenkandidat » (tête de liste en allemand), selon lequel le Berlaymont revient au chef du parti arrivé en tête, en l’occurrence Manfred Weber, le président du PPE qui a recueilli presque 24 % des votes. L’Allemand argue de sa légitimité démocratique, même si son score est décevant et qu’il a des faiblesses. Il n’a jamais exercé de fonction gouvernementale, a longtemps soutenu le très autoritaire Premier ministre hongrois Viktor Orban. « Il est peu charismatique et pas très aimé », abonde le journaliste irlandais Brian Maguire, un des correspondants les plus influents à Bruxelles.

Dans les jours qui viennent le Bavarois va tenter de constituer une majorité, s’appuyant sur le précédent de 2014, où Jean-Claude Juncker, chef des conservateurs, a pris les rênes de la Commission. « Ce n’était pas tant le spitzenkandidat que nous avons désigné, s’agace un diplomate français, que l’ancien Premier ministre du Luxembourg, incollable sur les arcanes de Bruxelles. »

Les capitales ont déjà leurs poulains. Parmi les favoris soutenus par Paris : la Danoise libérale Margrethe Vestager, commissaire à la Concurrence qui a infligé des amendes record aux Gafa, et le Français conservateur Michel Barnier, dont le travail de négociateur du Brexit a fait l’unanimité. L’équation est d’autant plus délicate que cette nomination lance un grand mercato, par lequel seront désignés d’ici à la fin 2019 le président du Parlement et celui de la Banque centrale européenne (BCE). Il est de tradition que les capitales respectent des équilibres entre petits et grands pays et entre zones géographiques (Nord-Sud, Est-Ouest). Désormais, il y a aussi une forte pression pour nommer une femme : la Commission et la BCE n’ont été dirigées que par des hommes. En 2014, il a fallu trois sommets et trois mois pour décider des principaux postes. Cette fois-ci, les 27 veulent aller vite. Une gageure ! Le premier tour de table organisé lors d’un dîner informel à Bruxelles le mardi 28 mai a souligné l’étendue des divergences.

3. Quel pouvoir de nuisance pour l’extrême droite ?

Grand vainqueur dans son pays, l’Italien Matteo Salvini n’a pas réalisé au Parlement de Strasbourg le raz de marée qu’il annonçait. La droite populiste a certes progressé, confirmant une tendance de fond depuis quinze ans. Dans le prochain hémicycle, elle occupera un quart des sièges, mais ne sera pas, comme elle le proclamait, une force motrice capable de « réformer l’Europe de l’intérieur ». Sa percée va bien sûr lui donner davantage de pouvoir, de moyens, de temps de parole. Professeur au Centre d’histoire de Sciences-Po, Sylvain Kahn estime que « les populistes de droite et eurosceptiques pourraient présider plusieurs commissions ou encore rédiger plusieurs rapports parlementaires. Ils pourront aussi influencer l’ordre du jour du Parlement et mettre sur la table des projets de résolution. » Pour Julien Manceaux, chef économiste d’ING, ils pourraient par ailleurs « ralentir le processus d’intégration européenne ». Pour autant, ils n’ont pas suffisamment de poids pour infléchir les décisions majeures du Parlement. Leur pouvoir de nuisance risque de rester d’autant plus limité qu’il n’est pas certain qu’ils réussissent à s’unir. Pas sûr que Salvini puisse européaniser son parti (La Ligue) et constituer ce qu’il appelle « la ligue de la ligue ». Car jusqu’ici les souverainistes européens ont été éclatés en trois groupes, irréconciliables pour des problèmes d’ego et sur beaucoup d’enjeux majeurs, comme la relation avec la Russie, les questions de sécurité ou de choix budgétaires. Autre inconnue : qu’adviendra-t-il des 56 sièges raflés par l’eurosceptique britannique Nigel Farage, une fois le Brexit effectif ?

4. La stratégie du coucou de LREM va-t-elle fonctionner ?

Arrivés troisième, les centristes européens vont devenir, comme le souhaitait Renaissance, une « force charnière » du Parlement, ce que les Anglo-Saxons appellent le « swing party » (le parti pivot). Sans doute l’implication d’Emmanuel Macron dans les dernières semaines de la campagne a-t-elle été décisive. Julien Manceaux, d’ING, observe « si dans son pays son image s’est ternie, en Europe, il reste une figure très écoutée, capable d’exercer un rôle central ». Mi-mai, un meeting électoral à Strasbourg a rallié autour du projet présidentiel des poids lourds du continent, comme les libéraux de Ciudadanos en Espagne ou encore les sociaux-démocrates du Portugal ou ceux d’Italie, par la voix de l’ancien président du conseil Matteo Renzi.

Consciente que pour compter dans l’hémicycle de Strasbourg, il faut adhérer à un parti, La République en marche a fait le choix de rejoindre le groupe Alde (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe). Mais cette stratégie du coucou a un prix. Faire disparaître le mot « libéral » de l’intitulé de la formation. « Ce n’est pas une coquetterie, décrypte le site européen Euractiv. En France, mais aussi dans les pays du Sud où le nouveau groupe espère recruter sur la gauche de l’échiquier politique, le libéralisme a mauvaise presse, le terme ayant avant tout une connotation économique. » En compensation, il faudra offrir un poste au président de l’Alde, le très madré et ambitieux Guy Verhofstadt. L’ancien Premier ministre belge réclame rien de moins que le perchoir du Parlement européen.

5. Quid du Brexit ?

Theresa May vient d’annoncer qu’elle quittait le pouvoir le 7 juin. Que va-t-il se passer, une fois son successeur désigné ? Après avoir souligné le courage de l’actuelle locataire de Downing Street, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a assuré qu’il « respecterait et établirait des relations de travail avec le nouveau Premier ministre britannique tout autant qu’avec Theresa May ». Pas question néanmoins pour Bruxelles de revenir sur le traité de divorce signé avec Londres en novembre 2018, mais rejeté trois fois par Westminster. De son côté, Emmanuel Macron appelle les Britanniques à « une clarification rapide » sur le Brexit.

Donné favori comme prochain chef du gouvernement, le Brexiter et ancien ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson souhaite non seulement renégocier l’épineuse question de la frontière entre les deux Irlande, mais il se dit prêt à aller jusqu’à un Brexit sans accord, ce qui impliquerait une sortie de l’Union douanière. « Un scénario catastrophe », pour Enrico Letta, ancien président du conseil italien et président de l’Institut Jacques- Delors, qui espère « que la raison va l’emporter. Car, dit-il, si Theresa May a toujours été respectueuse de l’Europe, Johnson, lui, est le modèle du populiste qui détruit sans assumer sa responsabilité. Un cauchemar ». Quel que soit le nom du Premier ministre, Bruxelles a donné aux parlementaires britanniques jusqu’au 31 octobre pour trouver un compromis. Après, c’est le saut dans le vide, ce que les éditorialistes outre-Manche appellent déjà l’« Halloween Brexit ».

6. Angela Merkel sera-t-elle le joker de l’Europe ?

Les élections du 26 mai ont confirmé que l’heure de l’après-Merkel a sonné. Son parti, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), est certes arrivé en tête, mais avec un score historiquement bas (28 %), relançant les rumeurs de départ anticipé de la chancelière. Affaiblie depuis les législatives de la mi-2017, elle a déjà cédé il y a cinq mois les commandes de la CDU à sa dauphine Annegret Kramp-Karrenbauer. Un remaniement ministériel est annoncé pour les prochains jours. Suivront, cet automne, dans trois Länder de l’ex-RDA, des élections régionales cruciales. Les sondages prédisent l’effondrement des partis traditionnels au profit des populistes. En cas de déroute de la droite modérée, Merkel pourrait bien tirer sa révérence, après quatorze ans de règne. Elle a certes assuré vouloir prendre sa retraite sitôt partie du pouvoir, mais son côté fille de pasteur pourrait l’emporter, face aux dangers qui menacent l’Europe.

A Bruxelles, de plus en plus de monde l’imagine prendre les rênes de l’Union. Le 18 mai, elle déclarait au quotidien Süddeutsche Zeitung « Nous sommes confrontés à des courants qui veulent détruire nos valeurs. Nous devons y faire face avec détermination. » Beaucoup d’éditorialistes outre-Rhin ont lu dans cette déclaration une volonté de s’engager. L’ex-président du conseil italien Enrico Letta approuve : « Elle seule est capable de parler à égalité avec les grands fauves de la scène internationale », les Trump, Poutine et autres Xi.

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