Les émissions liées à l'activité humaine ont fait grimper les niveaux de CO2 de plus de 40% en un siècle et demi.

Le Conseil européen a revu à la hausse ses ambitions : les émissions de CO2 doivent désormais décroître "d'au moins 55%" d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

afp.com/SCOTT OLSON

Si la France n'est plus depuis bien longtemps l'autoproclamé "phare de l'humanité", ses idées parviennent encore à rayonner. Poussé par le président Jacques Chirac, puis porté par ses successeurs, le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières européennes semble enfin sur le point d'aboutir. Il doit être voté ce mercredi au Parlement européen, et devrait être formalisé par la Commission en juin pour une application au 1er janvier 2023.

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L'objectif de ce nouvel outil ? Imposer les produits issus de pays tiers à la hauteur de leur empreinte carbone afin, notamment, de rétablir une concurrence équitable. L'Europe, en bon élève de la lutte contre le réchauffement climatique, impose en effet des normes environnementales élevées à ses industriels. Ce qui a un coût. Le problème, c'est que nos entreprises se font chahuter par des concurrents beaucoup moins scrupuleux en la matière. Un déséquilibre d'autant plus insupportable qu'il pousse à la "fuite carbone" : certains fabricants du Vieux Continent finissant par délocaliser dans les pays peu regardants sur les émissions polluantes, afin de regagner en compétitivité. "En rééquilibrant le jeu de la concurrence, ce mécanisme peut être un puissant levier de réindustrialisation", s'enthousiasme l'eurodéputé EELV Yannick Jadot, rapporteur au Parlement pour l'ajustement carbone aux frontières.

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Un instrument qui a également vocation à aider les Vingt-Sept à atteindre leurs objectifs climatiques, alors que "30% de la production domestique de CO2 est issue de produits importés", souligne un rapport récent de l'Institut Jacques-Delors. D'autant que le Conseil européen a revu à la hausse ses ambitions en décembre dernier : les émissions de CO2 doivent désormais décroître "d'au moins 55%" d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, contre un précédent objectif de baisse de 40%.

Un revenu pour éponger une partie du plan de relance

Le mécanisme d'ajustement carbone doit, enfin, permettre de dégager une ressource propre qui aiderait l'Union européenne à éponger une partie des 750 milliards d'euros du plan de relance. Les recettes espérées ? "Entre 5 et 14 milliards d'euros par an, précise Yannick Jadot. La fourchette est large, car cela dépendra du champ d'application et de la conception finale du mécanisme."

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Le rapport du Parlement préconise d'inclure le secteur énergétique et les secteurs à forte intensité énergétique comme ceux du ciment, de l'acier, de l'aluminium, du raffinage du pétrole ou encore des produits chimiques qui représentent 94% des émissions industrielles de l'UE. Reste à définir comment ce nouveau mécano devra s'assembler. Une taxe pourrait apparaître comme le chemin le plus aisé. Mais la majorité des eurodéputés y sont rétifs. "Une taxe à la consommation serait difficilement acceptable pour nos concitoyens, pointe Valérie Hayer, eurodéputée LREM coordinatrice de la commission des budgets.

Par ailleurs, il faut l'unanimité pour créer une nouvelle taxe, alors qu'une simple majorité qualifiée suffirait pour calquer le mécanisme sur le système d'échange de quotas d'émission de CO2 (ETS)". Un mécanisme dit du pollueur-payeur qui a l'avantage d'être connu des entreprises, et qu'il "suffirait" d'étendre aux industriels des pays tiers. A condition toutefois, souligne le rapport de l'Institut Jacques-Delors, de mettre fin aux quotas gratuits - qui devaient éviter les "fuites de carbone" (la délocalisation des émissions) et n'auraient plus lieu d'être - et de mettre en place "un prix plancher de la tonne de CO2", aujourd'hui bien trop bas pour être réellement incitatif.

Une inévitable inflation

Mais avant de peaufiner les contours de ce nouvel outil, il faudra d'abord s'assurer qu'il est bien dans les clous aux yeux de l'Organisation mondiale du commerce. "Il n'y aura pas de discrimination entre les fabricants européens et étrangers, il n'y a aucune raison qu'il soit retoqué", assure Yannick Jadot.

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Du côté des industriels, on s'inquiète de son impact sur la compétitivité des entreprises européennes qui importent tout ou partie de leurs produits (dans le textile, l'aéronautique, l'automobile...) et pourraient voir ceux-ci renchérir. "Les industriels sont pour la mise en place d'un tel outil, mais il faudrait prévoir un mécanisme de compensation pour ne pas pénaliser les exportateurs à l'international", souligne Vincent Moulin-Wright, directeur général de France Industrie. Enfin, certains décideurs craignent des mesures de rétorsion émanant des États-Unis et des pays asiatiques.

Seule certitude, quels que soient les rouages du mécano final, ce dernier fera inévitablement grimper les prix sur le marché intérieur. Un point dont les politiques rechignent à parler, mais sur lequel il faudra tôt ou tard se pencher.

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