« La construction européenne, c’est un miracle démocratique qui a mis fin à des millénaires de guerre civile. » Ce soir du lundi 6 décembre, le très europhile Institut Jacques-Delors fête son 25e anniversaire à l’Odéon-Théâtre de l’Europe, à Paris. Sur scène, Emmanuel Macron répète ses gammes proeuropéennes devant un public acquis à sa cause. Comme un air de répétition générale, à trois jours de la conférence de presse que doit donner le chef de l’État à l’Élysée, jeudi 9 décembre, pour présenter la présidence française de l’Union européenne (PFUE).

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Développant les trois termes de la devise choisie par la France pour ce semestre à la tête de l’institution : « Relance, puissance, appartenance », Emmanuel Macron déplore « le sentiment d’appartenance qui s’est étiolé », et fustige « la facilité qui fait que dès que ça devient difficile, c’est la faute de l’Europe ». Il parle de lui : « Je suis patriote et européen. J’aime la nation française, son histoire, mais je n’ai pas besoin de détester la nation voisine pour aimer la mienne. » Et il attaque ses opposants : « Soyez nationalistes, et vous ne serez pas vaccinés, ou imparfaitement. Vous aurez peut-être quelques amis russes pour vous vacciner avec du Spoutnik V, qui n’est pas homologué par l’OMS. Bon courage ! »

La répétition générale, on l’aura compris, a un air de campagne. Comment pourrait-il en être autrement, alors que la PFUE, qui commencera le 1er janvier pour six mois, va se superposer avec les élections présidentielle et législatives d’avril et juin ?

Aucun report envisagé

Ce calendrier a été fixé avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. C’était à l’été 2016, à la suite du Brexit qui a décalé l’ordre de cette présidence tournante. Mais l’Élysée reconnaît qu’un report de la PFUE, qui aurait été possible, n’a jamais été envisagé par le chef de l’État. « La convergence entre la PFUE et la campagne est une formidable opportunité pour le président de se positionner en leader européen, s’enthousiasme l’eurodéputé LREM Véronique Trillet-Lenoir. C’est l’occasion de montrer à l’Europe ce qu’elle peut attendre de la France, et inversement. »

Un enthousiasme que ne partagent guère les oppositions, ni même certains milieux europhiles, qui se désolent que la présidence française se trouve tronquée par les élections. En effet, les échéances électorales d’avril et juin, précédées d’une période de réserve, vont réduire le temps effectif de la PFUE à moins de trois mois. « Emmanuel Macron a fait le choix d’une présidence rétrécie, biaisée et coupée en deux par l’élection présidentielle », a taclé le candidat écologiste Yannick Jadot mercredi 8 décembre. « Il y a un risque de discontinuité : même si le président est réélu, les chances que les ministres restent en place sont quasi nulles», confirme Yves Bertoncini, consultant en affaires européennes et président de la branche française du Mouvement européen. « Il y a même un sujet d’assiduité : ils vont être en campagne, les verra-t-on à Bruxelles ? » Il souligne aussi que « l’intérêt de la PFUE, ce n’est pas seulement de faire aboutir des projets législatifs, mais aussi de donner de la place à l’Europe dans le débat public. Là, ce sera totalement parasité par la campagne. »

Mettre la PFUE au service de sa campagne

Emmanuel Macron entend bien mettre la PFUE au service de sa campagne. En mettant à l’agenda une « taxe carbone » aux frontières ou un salaire minimum européen, il voudra consolider son bilan écologique et social. D’autres projets sur la régulation des géants du numérique ou la « rénovation » de l’espace Schengen serviront le discours du président sur la « souveraineté européenne ». En organisant un sommet Europe-Afrique, mi-février, il cherche à asseoir sa stature internationale. Mais la PFUE occupera également le terrain français : en trois mois, pas moins de 18 réunions de ministres européens sont prévues dans différentes villes, comme Montpellier, Angers ou Dijon.

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Sur la forme, surtout, la PFUE va permettre à Emmanuel Macron de se positionner plus que jamais comme le candidat proeuropéen. Il se dit même qu’il pourrait prononcer ses vœux, le 31 décembre, depuis Strasbourg. Ces derniers temps, c’est sous l’angle européen que le président répond indirectement à ses concurrents. « La difficulté aujourd’hui, c’est qu’on perd la conscience de la force d’âme de nos pères qui ont fondé l’Europe, déclarait le président à La Croix dans l’avion qui l’amenait à Rome, le 25 novembre. Si on oublie ce qu’on a fait, on reviendra aux guerres civiles. Toutes les prémisses sont présentes en Europe aujourd’hui. Partout en Europe, l’extrême droite monte, et on voit le retour au nationalisme et à des passés fantasmés. »

Opinion publique française très eurosceptique

Clé de son succès en 2017, ce positionnement proeuropéen a aussi assuré au camp macroniste sa seule bonne performance lors d’une élection intermédiaire, aux européennes de 2019. Mais en jouant cette carte, Emmanuel Macron s’exposera aux critiques de son bilan. En France comme en Europe, on lui reproche notamment d’avoir fait cavalier seul en matière diplomatique, dans l’affaire des sous-marins australiens, en recevant Vladimir Poutine à Brégançon à l’été 2019, ou encore en affirmant, quelques mois plus tard, que l’Otan était en état de « mort cérébrale » dans une interview au magazine britannique The Economist.

Surtout, pour rassembler au-delà de sa base naturellement proeuropéenne, Emmanuel Macron devra tenir compte d’une opinion publique française très eurosceptique. Comme pour l’anticiper, il saupoudre ses propos de quelques critiques. Le 2 décembre, pendant l’hommage à Valéry Giscard d’Estaing au Parlement européen, il critiquait les conseils européens conclus par « des communiqués préparés, déjà écrits et sans doute trop longs », invitant à en retrouver la « ferveur inaugurale ». Et à l’Odéon, il distribuait bons et mauvais points : « L’Europe de la santé qu’on invente en pleine crise, c’est la belle Europe. Mais l’Europe qui vient expliquer aux gens ce que la culture devrait être, ce qu’il faut dire ou ne pas dire, ce n’est pas une Europe à laquelle j’adhère totalement, c’est un peu n’importe quoi », critiquait-il, faisant référence aux recommandations d’une commissaire européenne qui suggérait de ne plus employer le mot « Noël » par souci d’inclusivité. Un nouvel exercice d’équilibriste pour celui qui sera « en même temps » président du Conseil de l’Union européenne, président de la République et candidat à sa réélection.

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La « PFUE », un calendrier chargé

1er janvier. Début de la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE). Elle durera jusqu’au 30 juin.

6 au 7 janvier. Réception du collège des commissaires européens par Emmanuel Macron, à Paris.

19 janvier. Discours d’Emmanuel Macron aux eurodéputés, au Parlement européen à Strasbourg.

17 au 18 février. Sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles.

6 au 7 mars. Conseil ministériel européen sur le développement, à Montpellier.

17 au 18 mars. Conseil ministériel européen sur la culture, à Angers.

24 au 25 mars. Sommet sur la défense, à Bruxelles.

Mai. Point d’étape sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe, à Strasbourg.