La Croix : Faut-il attendre un effet « Pandora papers » sur les élections législatives tchèques, alors que l’affaire vise le premier ministre, Andrej Babis, candidat à sa réélection et bénéficiaire d’un montage financier off-shore pour l’achat d’une résidence de luxe dans le sud de la France ?

Lukáš Macek : Ce n’est pas le genre de scandale qui rebat les cartes. Les faits remontent à 2009, avant son entrée en politique. Au vu des antécédents, du fait que ce genre d’accusation n’est pas une première, je m’attends à un effet marginal. Selon les derniers sondages, il pourrait à nouveau remporter l’élection, avec un score autour de 27 % des voix, et garder le pouvoir. Jusqu’à présent, les diverses accusations n’ont jamais abouti faute de preuves tangibles.

La justice n’a pas permis de vérifier les soupçons de collaboration avec la police secrète StB, pendant l’ère communiste. Ni ceux de fraude aux fonds européens d’un montant de 2 millions d’euros, destinés à financer la construction en 2007 de sa ferme « Nid de Cigogne », à 60 km de Prague.

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Même chose concernant les accusations de position dominante dans les médias qu’il contrôle. Il existe aujourd’hui dans la population un noyau incompressible de 25 à 30 % de sympathisants prêts à épouser la thèse selon laquelle Andrej Babiš est victime d’une persécution, même s’il devient très difficile de prétendre qu’il est personnellement visé, étant donné la dimension fleuve et internationale des « Pandora papers ».

Quelles sont les chances de l’opposition ?

L. M. : Les deux coalitions de l’opposition non-radicale n’ont pas un réservoir de voix exceptionnel. Il y a d’un côté Spolu (« Ensemble »). Il regroupe trois partis qui se réclament de la droite (Parti civique démocrate, TOP09 et Parti chrétien-démocrate), et pourrait rassembler autour de 21 % des voix. De l’autre, il y a la coalition du Parti pirate et du Mouvement des maires et indépendants, sensible à l’écologie, pro-européen, qui devrait collecter autour de 17 %.

Même si ces deux listes obtiennent une majorité sur le papier avec, admettons, 101 sièges sur 200, leur solidité interne restera un enjeu, et Andrej Babiš fera tout pour les faire exploser. Avec si peu d’avance, il suffirait que deux députés changent « miraculeusement » de camp pour que le gouvernement soit renversé.

Cependant, un nouveau venu sur la scène politique tchèque demeure imprévisible. Il s’agit d’un ancien officier supérieur de l’unité de la police contre le crime organisé, Robert Šlachta, qui a créé le mouvement Přísaha (« Serment »). Il a terminé sa campagne en chassant sur le terrain de l’extrême droite, avec notamment un durcissement de son discours contre l’Union européenne. Il pourrait emporter entre 5 et 6 % des voix, mais il est très difficile de dire de quel côté il se rangera après les élections. Il devrait en principe se ranger auprès des deux coalitions de l’opposition, mais certains présentent son parti comme une « équipe B » qui ne dit pas son nom, pour Andrej Babis, pour capter un peu de la colère anti-corruption qui s’exprime dans le pays.

Andrej Babis peut-il être inquiété une fois élu ?

L. M. : Quel que soit le résultat, Andrej Babis sera élu député, il sera donc protégé par son immunité parlementaire, à moins que cette dernière ne soit levée par la Chambre des députés. Elle l’a déjà été deux fois par le passé. Les chances que cela arrive une troisième fois sont plus grandes si les accusations émanent des autorités tchèques, notamment si des éléments à charge tendent à montrer qu’il y a eu blanchiment d’argent ou évasion fiscale.

S’il parvient à réunir une majorité, il pourra s’opposer à cette levée, mais cela pourrait lui coûter cher politiquement, d’autant qu’Andrej Babis est attaché à au fait de demeurer fréquentable sur un plan européen. Il aime se positionner en homme d’État respecté.

Il risque de traîner cette affaire comme un chewing-gum sous sa chaussure. Cela pourrait même le gêner dans les négociations post-électorales, alors que son parti, l’ANO (« Oui » en tchèque), a été créé par lui et pour lui. Il lui serait très difficile de former un gouvernement Babis sans Babis. Et l’homme d’affaires n’a pas nécessairement de numéro 2 sous le coude pour téléguider l’exécutif à distance.