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Les obstacles à une défense européenne autonome face à la puissance de l'Otan

Après trois décennies de non alignement militaire, la Finlande rejoint l'Otan. Ici, un mât vide attend qu'on y hisse le drapeau finlandais. [AP/Keystone - Virginia Mayo]
Les obstacles (in)surmontables d'une défense européenne autonome / Tout un monde / 7 min. / le 8 juin 2023
Le concept d’autonomie stratégique, auquel aspire l’Union européenne, est-il réalisable? La guerre en Ukraine a montré les limites de cette ambition et rappelle l'importance de l'Otan, encore centrale lors de conflits sur sol européen.

Depuis plusieurs années, le président français Emmanuel Macron affirme vouloir construire une défense européenne autonome, indépendante des Etats-Unis. Mais est-ce un objectif réaliste? La question a été débattue les 6 et 7 juin, lors d’un colloque organisé par le Centre de compétence Dusan Sidjanski en études européennes de l’Université de Genève.

L'ambition est louable, relèvent les intervenants, mais c'est très loin encore d’être une réalité concrète. "Cela reste un mirage, dans le sens où c'est une belle image un peu utopique, qui s'éloigne plus on s'en approche", estime l'eurodéputé Arnaud Danjean dans l'émission Tout un monde.

Un objectif fondamental

L'eurodéputé Sandro Gozi souligne que l’autonomie européenne reste un objectif fondamental, mais difficile à atteindre: "la défense et la sécurité sont des questions clés pour exister en tant qu'Européens avec nos intérêts et nos valeurs".

La guerre en Ukraine a mis en évidence le fossé existant entre les ambitions européennes et la réalité. Afin de soutenir l'Ukraine et de se prémunir contre le risque d'une extension du conflit, les Etats font confiance à ce qui a fait ses preuves.

"On voit aujourd'hui à cause du conflit en Ukraine que les Européens restent ultra dépendants pour leur défense du parapluie transatlantique et de l'Otan", explique Arnaud Danjean. Selon lui, l'Otan est perçue par une majorité de pays européens "comme la seule clé de voûte solide d'une défense de l'Europe".

Pour le spécialiste des questions de défense, la puissance américaine représente "la seule garantie de sécurité qui vaille", l'Europe ne pouvant pas offrir des garanties de sécurité à la hauteur des attentes.

"On a envoyé quelques troupes en Estonie et en Roumanie, on a des équipements performants, mais il est clair qu'on ne peut pas construire quelque chose d'aussi performant que l'est l'Alliance atlantique pour ces pays-là", poursuit Arnaud Danjean.

>> Voir aussi le suivi de la guerre en Ukraine : La Russie affirme avoir repoussé plusieurs attaques ukrainiennes sur le front sud

Des progrès timides

Le conflit ukrainien a pourtant fait l'effet d'un électrochoc. La plupart des pays européens ont dopé leur budget militaire, mais le cadre de référence reste l'Otan.

"Il est vrai que ces dernières années on a connu un certain nombre de progrès en matière d'Europe de la défense", explique Arnaud Danjean, en donnant quelques exemples: "On a mis des moyens financiers collectifs pour essayer d'investir dans l'industrie et la recherche de défense, nos armées coopèrent davantage entre elles, on a mis des états-majors en place".

Toutefois, s'il y a eu selon lui objectivement des progrès, ils restent limités. Selon Nicole Gnesotto, vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, "ce réveil stratégique se fait dans le cadre de l'Otan", ce qui est "normal quand on voit la menace et la supériorité militaire américaine", estime-t-elle.

Nicole Gnesotto estime toutefois qu'il ne faut pas sous-estimer la légitimité d'une défense européenne. Celle-ci pourrait se révéler utile dans deux scénarios au moins, selon elle: premièrement, si un nouveau président américain, "un Trump ou pire", décidait que les Etats-Unis devaient se retirer de l'Otan ou encore en cas de conflit dans un pays du "Global South", où le drapeau de l'Otan n'est pas le bienvenu.

Une politique commune

Mais pour concevoir une Europe de la défense, il faut une vision politique commune, estime Nicole Gnesotto. "La défense européenne devrait être un instrument technique au service d'une politique étrangère commune", explique-t-elle.

Pour la vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, "il faut d'abord avoir une vision commune des crises et de la solution à apporter aux crises entre Européens avant de décider si on les régit par des moyens commerciaux, diplomatiques, humanitaires et/ou militaires".

Sandro Gozi pense également que l'Europe doit inverser son approche. "On ne peut pas dire: on commence à se défendre ensemble et ceci va déclencher une dimension politique". Il faut, selon lui, au contraire "se mettre d'accord sur la volonté de construire une union politique parmi les peuples et les États qui le veulent".

L'eurodéputé souligne tout de même qu'un Fonds européen pour la défense, doté de plusieurs milliards d’euros, existe désormais. "Impensable il y a seulement dix ans", souligne-t-il, ce fonds pourrait peut-être représenter une premier pas dans "un effet d'engrenage".

Sujet radio: Patrick Chaboudez

Adaptation web: Emilie Délétroz

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