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Europe
Visegrad

Les pistes de Bruxelles pour stopper la vague populiste en Pologne et en Hongrie

Alors que Viktor Orban s'apprête à être reconduit à la tête de la Hongrie, lors des élections législatives du 8 avril, Bruxelles se demande comment freiner ses dérives populistes et autoritaires qui font de plus en plus d'émules. Comment enrayer "la poutinisation et l'erdoganisation de la famille européenne"? Faut-il réduire les aides de l'UE, limiter le droit de vote des récalcitrants, faire de la "diplomatie de l’hygiaphone", instaurer une Commission des Sages? Revue des solutions.

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Le Premier ministre hongrois Viktor Orban à Budapest, le 15 mars 2018

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban à Budapest, le 15 mars 2018

AFP/Archives - Attila KISBENEDEK

Demain, dimanche 8 avril, se déroulent des législatives sans suspens en Hongrie. Sauf coup de théâtre, elles reconduiront à la tête du pays le Fidesz, parti de droite dure, et son chef, le très autoritaire Viktor Orban, Premier ministre depuis 2010. Au cours des dernières années, ce souverainiste décomplexé a multiplié les provocations et coups de force. Flirtant avec le racisme et l’antisémitisme, s’attaquant à la presse, aux ONG et aux intellectuels, qu’il a mis au pas ou en prison, construisant un mur de barbelé «contre les migrants», il a battu en brèche le cœur des valeurs constitutives de l’Europe. Le 15 mars, jour de la fête nationale hongroise, il est allé plus loin dans un discours de campagne, fustigeant le rôle de l’Union européenne, développant la théorie complotiste du «grand remplacement» et de «l’invasion»: «Ils veulent nous prendre notre pays», a-t-il clamé, «Bruxelles ne nous protège pas, elle veut changer la population de l’Europe».

Une rhétorique que l’UE peut d’autant moins laisser passer que la dérive est contagieuse. Un autre pays de l’Est, la Pologne, a lui aussi porté brutalement atteinte aux piliers de la démocratie (justice, presse, libertés individuelles), depuis l’arrivée au pouvoir du parti eurosceptique Droit et Justice, en 2015.

"Pas de Poutinisation ou d'Erdoganisation"

Sur tout le Vieux Continent, la plupart des leaders et experts s’accordent à dire qu’il est urgent de réagir efficacement. Directeur adjoint de l’Europeum Institute à Prague et auteur d’une note sur les pays de Visegrad* pour l’Institut Jacques Delors, Martin Michelot pointe : «avec la dégradation de l’Etat de droit, en particulier en Pologne et en Hongrie, l’UE doit faire face à une situation nouvelle et inimaginable jusqu’ici, puisque les fondations de la gouvernance européenne se voient minées de l’intérieur». En écho, Enrico Letta, Président de l’Institut Delors, martèle qu’on ne saurait accepter «une Poutinisation ou une Erdoganisation au sein de la famille européenne».

Mais que faire concrètement ? Les textes européens prévoient des mesures fortes, dont l’impact est celui d’une bombe nucléaire. L’article 7 des traités permet en effet de priver un Etat membre de son droit de vote au Conseil européen et au Parlement. Mais la mesure est radicale et l’unanimité est requise. On imagine difficilement aujourd’hui que Varsovie vote contre Budapest et réciproquement.

Frapper au porte-monnaie

Doit-on, alors, frapper les récalcitrants au porte-monnaie, en réduisant leurs aides de Bruxelles ? Le commissaire allemand Günther Öttinger l’a évoqué et quelques leaders lui ont emboîté le pas. Après tout, comme le rappelle Martin Michelot, «la Pologne est le pays de l’Union qui touche le plus d’argent en valeur absolue (86 milliards d’euros issus des fonds de cohésion pour la période 2014-2020) ; la Hongrie le plus en valeur relative : 3% de son PIB». Autre moyen sonnant et trébuchant, dont l’impact serait encore plus rapide: fermer le robinet des aides agricoles, alloués sur une base annuelle.

Mais l’effet de telles mesures peut être dévastateur. A l’heure où le populisme se répand comme une traînée de poudre, on imagine aisément l’exploitation politique que pourraient en faire Varsovie, Budapest ou d’autres… Quelques voix se sont élevées en Europe pour proposer leur solution. Président du PPE, le groupe des conservateurs majoritaires au Parlement de Strasbourg, Joseph Daul a toujours insisté pour que Viktor Orban, qu’il surnomme avec un sens consommé de l’euphémisme «l’enfant terrible», reste dans le parti, où, dit-il, il peut «mieux le raisonner et le contrôler». Sitôt arrivé à l’Elysée, Emmanuel Macron a, lui, usé de la méthode musclée, en avertissant dans une interview : «l’Europe n’est pas un supermarché». Une posture, raillée par certains diplomates bruxellois sous le terme de «diplomatie de l’hygiaphone», qui selon eux «suscite de la mauvaise humeur mais ne résout rien».

Une commission des sages

Le nouveau chancelier autrichien, Sebastian Kurz, aspire quant à lui à être un «constructeur de pont» (Brückenbauer) entre Est et Ouest, entre les pays de Visegrad et les membres fondateur de l’UE. Partisan d’un parler vrai, allié dans son gouvernement au parti de la droite dure le FPÖ, il va prendre la présidence tournante de l’UE à partir du 1er juillet et se propose de jouer les bons offices. Mais saura-t-il tenir la dragée haute aux Orban et consorts, sachant que personne ne sait encore si le jeune leader sera capable d’utiliser son partenaire de coalition pour en faire un facilitateur, ou s’il se fera phagocyter ?

Ancien Premier ministre italien, Enrico Letta enjoint, pour sa part, les chefs d’Etat à «sortir le carton jaune, avant de brandir le carton rouge». Or, le carton jaune n’existe pas encore dans l’arsenal européen. C’est pourquoi l’ex-Président du conseil, qui veut «rendre la boîte à outil plus moderne et plus efficace», souhaite créer une sorte de commission des sages dont la voix porte. Une commission dont le rôle serait d’autant plus nécessaire, qu’Orban a maintenant des admirateurs puissants et bruyants dans l’Europe entière, de Marine Le Pen en France, à Geert Wilders aux Pays Bas et à l’AfD en Allemagne, en passant, en Italie, où Matteo Salvini, aux portes du pouvoir, déclare : «mes modèles, c’est Orban et Trump».

 

A lire :
- Policy Paper 221, Martin Michelot
- Policy Paper 222, Daniel Debomy
- "Pays de Visegrad : quelle réponse européenne aux défaillances de l'Etat de droit ?", Notre Europe, Institut Jacques Delors, 4 avril 2018
- "Un peu, beaucoup... modérément : les opinions publiques et l'UE dans les pays de Visegrad", Notre Europe, Institut Jacques Delors, 5 avril 2018

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