On ne compte pas les litres d’eau quand il s’agit d’éteindre l’incendie. Face à la propagation fulgurante du coronavirus et au coup de frein à l’activité entraîné par le confinement, les plans publics de soutien aux ménages et entreprises se (dé) mesurent en milliers de milliards, d’un bout à l’autre de la planète. Objectif, souligne Olivier Vigna chez HSBC : « Restaurer la confiance pour que la récession soit temporaire, essentiellement centrée sur le second semestre de 2020. »

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Les banques centrales en première ligne

La première réponse à ce qui s’annonce comme la pire crise depuis les années 1930 est venue des banques centrales. « Des dizaines d’entre elles, dans les pays émergents et avancés, ont annoncé des mesures renforcées », explique Olivier Vigna. Parmi elles, complète Nathalie Janson, chez Neoma Business School, « la Réserve américaine et la Banque centrale européenne ont réagi de manière beaucoup plus forte et immédiate que pendant la crise de 2008 ».

Aux États-Unis, 80 % des entreprises se financent sur les marchés, alors pas question de risquer que les liquidités viennent à manquer – il en va du soutien au secteur financier comme à l’économie réelle, étroitement liés. « La Fed a annoncé le rachat illimité d’actions et d’obligations, publiques et privées. Et peut désormais acheter des actifs risqués. Le but est d’éviter que des poches de marché, même circonscrites, s’effondrent », détaille Christopher Dembik, chez Saxo Bank.

En Europe, la grosse artillerie

En zone euro, la BCE a également sorti la grosse artillerie : elle rachètera 1 100 milliards d’euros d’actifs d’ici à décembre, et s’autorisera à acquérir autant d’obligations souveraines que nécessaire. L’enjeu est de maintenir les taux d’intérêt à un niveau très bas pour aider les États de la zone euro à se financer à moindre coût, en particulier l’Espagne et l’Italie très exposées au coronavirus.

Quant à la Chine, « la banque centrale n’a pas engagé de rachat d’actifs car elle a pu baisser ses taux d’intérêt, alors qu’aux États-Unis ou en zone euro les taux sont déjà au plancher, voire négatifs », explique Wei Yao, à la Société générale CIB. Comme en Europe en revanche, poursuit Hervé Goulletquer, à La Banque postale AM, « la Banque populaire de Chine veille au maintien du financement des entreprises, en abaissant les réserves obligatoires imposées aux banques commerciales ».

Le pacte de stabilité suspendu

Le soutien aux entreprises passe aussi directement par les budgets des États. En Europe, mesure hautement symbolique, « les règles du pacte de stabilité, habituellement si surveillées, ont été immédiatement suspendues ! », souligne Andreas Eisl, à l’Institut Jacques-Delors.

Outre les dépenses publiques supplémentaires dans le domaine sanitaire, de nombreuses mesures budgétaires visent à éviter les faillites. Chaque plan décline sensiblement les mêmes outils : report de la fiscalité (voire annulation dans certains cas) ; aides à la trésorerie via des prêts bancaires garantis par l’État, soutien aux entreprises exportatrices ou aux TPE-PME, aux travailleurs indépendants, création de fonds de solidarité… À des degrés divers selon les États. « Les pays du Nord de l’Europe, ayant plus de ressources, ont engagé de plus grosses enveloppes que l’Italie et l’Espagne - qui craignent peut-être aussi d’inquiéter les marchés en cas d’annonces trop importantes… », relève Andreas Eisl, de l’Institut Jacques-Delors.

130 milliards d’euros pour les PME chinoises

Aux États-Unis, les entreprises bénéficient d’un fonds de soutien (100 milliards de dollars, et 60 milliards pour les seules compagnies aériennes). De son côté, Pékin a débloqué l’équivalent de 130 milliards d’euros pour aider les PME, et va subventionner l’achat de véhicules propres en faveur du secteur auto. « À ce stade, la Chine est loin d’avoir fait autant que les États-Unis ou l’Europe, décrypte Wei Yao. Les autorités pensaient que le choc serait temporaire mais d’après les dernières données, les séquelles sont profondes dans l’économie domestique, à quoi va s’ajouter la chute du commerce international. »

Des mesures équivalentes dans les pays de l’OCDE

La relative faiblesse du système de protection sociale américain explique des dépenses de crise plus fortes qu’en Europe. « Tous les pays occidentaux ont adopté le même type de mesures de soutien à l’économie, même si dans les pays anglo-saxons, qui privilégient normalement la flexibilité, elles apparaissent révolutionnaires, confirme Andrea Garnero, économiste à la direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE. Dans les pays européens qui avaient déjà une longue tradition de protection sociale, les dispositifs ont été remarquablement étendus. »

Australie et Royaume-Uni découvrent le chômage partiel

Cet assouplissement concerne essentiellement le chômage partiel, qui permet à une entreprise qui connaît une baisse d’activité de faire prendre en charge une partie des salaires par l’État, afin d’éviter les licenciements. « Dans l’OCDE, neuf pays sur dix ont renforcé le chômage partiel, voire l’ont mis en place lorsqu’il n’existait pas, comme au Royaume-Uni et en Australie », détaille Andrea Garnero.

La Chine a promis un remboursement des cotisations chômage aux PME qui ne licencient pas pendant cette période, tandis que l’Italie a interdit purement et simplement la majorité des licenciements.

Des aides aux plus précaires

Les populations les plus fragiles ne sont pas oubliées. La France a assoupli cette semaine les règles de l’assurance-chômage et promis une aide financière aux familles les plus précaires, tandis que le Canada, par exemple, a mis en place un versement exceptionnel de 2 000 dollars canadiens par mois (environ 1 300 €) à tous ceux qui n’ont plus de revenus en raison de la crise sanitaire.

« Il est difficile de dire qu’un pays est plus généreux qu’un autre, même si effectivement certains ont pris peu de mesures de protection économique, comme le Brésil, tandis que d’autres ont déployé beaucoup d’amortisseurs, comme l’Allemagne », précise Yannick L’Horty, directeur de la fédération de recherche du CNRS « Travail, emploi et politiques publiques ».

La question de la mise en œuvre

« La question est moins celle des instruments pour amortir la crise, classiques et largement connus, que celle des moyens de leur mise en œuvre », relève Andrea Garnero. Aux États-Unis, l’annonce d’une aide directe de 1 200 dollars par habitant avait été accueillie avec soulagement fin mars. Trois semaines plus tard, les citoyens attendent toujours leurs chèques. Et pour les plus précaires, ceux qui gagnent trop peu pour les impôts et dont l’administration fiscale n’a donc pas les coordonnées, cette somme arriverait au plus tôt en septembre. Un peu tard pour une aide d’urgence…