Il y a dix ans, à Paris ou à Berlin comme dans les salles de trading américaines, personne n’aurait cru à un tel scénario. Jeudi 26 novembre, le taux auquel les obligations portugaises à dix ans s’échangent sur les marchés est, pour la première fois, passé sous la barre du 0 % – les investisseurs étaient prêts à payer pour en avoir. Cela n’a duré que quelques secondes, la plupart des Européens ne s’en sont pas aperçus, et c’est précisément en cela que l’événement est historique : alors qu’en raison de la pandémie, la zone euro traverse la pire crise économique depuis la seconde guerre mondiale, plus un seul spéculateur ne songe à parier sur son explosion.
En 2010, dans le sillage de la crise des subprimes, ils s’en donnaient pourtant à cœur joie contre le Portugal, la Grèce et l’Espagne, dont les taux d’emprunt s’envolèrent au-delà de 10, 15, voire 30 % pour Athènes. « La zone euro est infiniment plus solide aujourd’hui », souligne Jean Pisani-Ferry, professeur d’économie à Sciences Po. « L’euro est désormais plébiscité par 75 % des Européens », se félicite Yves Mersch, l’un des Luxembourgeois qui contribuèrent à sa construction. « Il reste néanmoins beaucoup à faire pour achever sa construction, ajoute Charles Wyplosz, de l’Institut des hautes études de Genève. La mauvaise gestion de la crise de 2010 nous a coûté très cher. »
Etonnante résilience
C’est peu dire. Créée il y a vingt et un ans seulement, la monnaie unique a déjà traversé deux crises majeures, frôlé la désintégration, relevé la tête au prix d’interminables sommets entre chefs d’Etat, déçu par ses vices de construction, mais surpris, aussi, par son étonnante résilience. Imaginaient-ils cela, les pères de l’euro ? Concevaient-ils la violence des chocs que subirait leur création, lorsqu’ils négocièrent le traité de Maastricht ?
Signé en février 1992, celui-ci officialisa la décision d’instaurer une monnaie unique entre les Etats membres. « A l’époque, l’Union soviétique et le mur de Berlin venaient de tomber, rappelle Michel Sapin, ministre de l’économie en 1992-1993. Pour François Mitterrand et Helmut Kohl, l’euro était un projet politique essentiel pour arrimer l’Allemagne à peine réunifiée à l’Europe, bâtie pour la paix. » « Il y avait un immense optimisme, la certitude que cette intégration européenne renforcerait l’Etat de droit et la démocratie », se souvient Vitor Gaspar, qui contribua aux négociations pour le Portugal, et travaille aujourd’hui au FMI.
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