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L’Europe de la santé se cherche encore
L’Europe de la santé se cherche encore
La pandémie de Covid a poussé le Vieux Continent à prendre des mesures pour garantir sa souveraineté sanitaire. Un processus complexe, qui n’en est qu’à ses balbutiements.
Ariane Tyché, correspondante à Bruxelles
\ 09h00
Ariane Tyché, correspondante à Bruxelles
Hasard du calendrier, début mars 2020, alors que le monde plongeait dans la crise du coronavirus, à Bruxelles, la Commission européenne esquissait une nouvelle stratégie industrielle, soulignant, en ce qui concerne la santé, que « l’accès aux médicaments et aux produits pharmaceutiques est […] primordial pour la sécurité et l’autonomie de l’Europe dans le monde ». Le Covid-19 a rendu obsolète bon nombre de dispositions de cette stratégie, au point qu’en 2021, l’exécutif européen a préféré en présenter une nouvelle mouture, « mise à jour » par la pandémie. Mais l’idée de garantir la souveraineté sanitaire a subsisté.
Bien décidée à lever le voile sur les « dépendances stratégiques » de l’Union européenne (UE), c’est-à-dire les produits pour lesquels l’approvisionnement du Vieux Continent dépend d’un tout petit nombre de fournisseurs, la Commission s’est alors lancée dans un travail de fourmi, consistant à recenser ces biens importés. Dans le domaine de la santé, il s’agit des principes actifs les plus critiques. Le temps a passé, les déclarations d’intention se sont multipliées, et la liste se fait toujours attendre.
Absence d’unanimité
Le concept d’« Union européenne de la santé », porté par la présidente de la Commission depuis novembre 2020 et qui repose sur l’idée d’améliorer la coopération entre les États, a, lui, fait son petit bout de chemin, avec le programme EU4Health pour fer de lance. Il court jusqu’en 2027 et vise notamment à renforcer le niveau de préparation de l’UE face aux menaces sanitaires. La nécessité de « poser les bases d’une Union européenne de la santé plus forte », selon les mots d’Ursula von der Leyen, s’est traduite par des propositions pour renforcer le rôle de l’Agence européenne des médicaments ou le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Rien de bien concret sur la production en Europe.
Très attendues, les propositions de la stratégie pharmaceutique de l'UE devraient être dévoilées fin mars.
En parallèle, une stratégie pharmaceutique est sur la table depuis fin 2020. Elle énonce enfin noir sur blanc l’ambition de « soutenir la compétitivité, l’innovation et la durabilité de l’industrie pharmaceutique de l’UE », et aussi de « renforcer les mécanismes de préparation et de réaction aux crises, disposer de chaînes d’approvisionnement diversifiées et sûres et remédier aux pénuries de médicaments ». Mais pour mettre en musique ces promesses, la Commission doit présenter des propositions législatives, car la stratégie n’a pas de valeur juridique en tant que telle. Ces propositions, très attendues, devraient être dévoilées fin mars. Stella Kyriakides, la commissaire à la Santé, a déjà expliqué que garantir la souveraineté sanitaire de l’UE, c’est en grande partie réussir à relocaliser l’industrie pharmaceutique en Europe.
Cette perspective pourrait plaire aux États membres, eux qui, dans des conclusions du Conseil de décembre 2020, invitaient la Commission à « étudier les possibilités de faciliter le maintien et le transfert dans l’UE de sites de fabrication de principes actifs de médicaments essentiels ». Mais il n’y a pas d’unanimité. « L’idée de relocaliser et de réindustrialiser n’est pas partagée par tous les pays, d’autant qu’il faudrait, en parallèle, mettre en place des incitations et autres financements pour encourager les industriels à produire en Europe », met en garde Isabelle Marchais, chercheuse associée à l’Institut Jacques Delors et spécialiste de la santé.
De son côté, le Parlement européen plaide également, dans une résolution de novembre 2021, pour une « industrie pharmaceutique européenne transparente, compétitive et innovante afin de répondre aux besoins de santé publique » et appelle la Commission à lancer des travaux en vue de « sécuriser et de moderniser les capacités existantes de fabrication de médicaments, de technologies et d’ingrédients pharmaceutiques actifs en Europe ». Le Parlement s’est d’ailleurs doté mi-février d’une sous-commission spécialement dédiée à la santé publique, rattachée à la commission Envi (environnement).
La relocalisation ne résoudra pas tout
Face à de tels appels du pied, difficile pour la Commission de faire l’autruche, d’autant qu’elle est elle-même bien consciente du problème, puisqu’elle notait, dès 2021, dans une étude consacrée aux pénuries, qu’« une grande partie des principes pharmaceutiques actifs (…) est produite dans des pays hors de l’UE », ce qui limite la surveillance et le contrôle de la production. Et pour cause, 40 % des produits finis médicaux commercialisés dans l’UE proviennent de pays tiers et entre 60 et 80 % des principes pharmaceutiques actifs sont fabriqués en Chine et en Inde.
« Mais relocaliser, c’est plus facile à dire qu’à faire. Cela signifie remettre des usines en marche ou les construire ex nihilo, cela ne se fait pas en un claquement de doigts », rappelle l’eurodéputée Véronique Trillet-Lenoir (Renew Europe), qui insiste sur le fait que le concept de souveraineté sanitaire ne doit pas être réduit à la relocalisation des activités industrielles. Il faut aussi, selon la cancérologue, faire des stocks de médicaments vitaux et avancer sur l’hypothèse d’introduire un prix unique en Europe pour les médicaments essentiels et critiques. Sa collègue Nathalie Colin-Oesterlé (Parti populaire européen) regrette pour sa part que « la question de la souveraineté industrielle de l’Europe supplante totalement celle de la souveraineté sanitaire ». C’est d’ailleurs au profit d’annonces en matière de compétitivité industrielle que la Commission a reporté au 29 mars la présentation de sa future législation pharmaceutique.
Une Union européenne de la santé oui, mais à quel prix ?
« Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans toutes les politiques et actions de l’Union », dispose l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui doit se lire comme la base juridique de la politique de santé de l’Union européenne. Pour autant, la santé reste avant tout une prérogative des États membres, et Bruxelles n’est là que pour épauler les capitales européennes, par exemple en tentant d’améliorer l’efficacité des différents systèmes de santé nationaux ou en renforçant la capacité des pays européens à réagir en cas de crise. En clair, le rôle de l’UE dans le cadre de la politique de santé se limite à compléter les politiques nationales. Les institutions, pourtant, ne lésinent pas sur les moyens : le programme EU4Health est doté d’un budget de 5,3 milliards d’euros pour la période 2021-2027, et d’autres fonds (comme les fonds de cohésion, ou Horizon Europe) financent aussi des projets en lien avec la santé, comme la lutte contre le cancer ou le diabète.
Vous lisez un article de L'Usine Nouvelle 3717 - Avril 2023
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