Liz Truss en passe de devenir Première ministre au Royaume-Uni : est-ce une mauvaise nouvelle pour la France ?
Depuis le Brexit, les contentieux et crispations se multiplient entre la France et le Royaume-Uni. Et la probable arrivée de Liz Truss à Downing Street ne devrait pas permettre de renouer le dialogue.
Emmanuel Macron, ami ou ennemi ? À cette question d’un journaliste lors d’une réunion électorale, Liz Truss a répondu par une pirouette : « Le jury est toujours en train de délibérer », a-t-elle déclaré sous les rires du public. « Je le jugerai sur ses actes et pas sur ses mots. » Mardi, elle devrait, sauf surprise, devenir Première ministre du Royaume-Uni . Les sondages lui donnent une avance écrasante sur son rival, l’ex-Chancelier de l’Échiquier Rishi Sunak, dans le duel pour la succession du chef du gouvernement démissionnaire, Boris Johnson.
Avec cette sortie sur la France, faut-il craindre la probable nomination de Liz Truss au 10 Downing Street ? Vendredi dernier, Emmanuel Macron a réagi sans jamais citer le nom de la candidate : « Si on n’est pas capable, entre Français et Britanniques, de dire si on est ami ou ennemi – le terme n’est pas neutre – on va vers de sérieux problèmes. » Et d’ajouter : « Le peuple britannique, la nation qui est le Royaume-Uni est une nation amie, forte et alliée, quels que soient ses dirigeants, et parfois malgré et au-delà de ses dirigeants ou des petites erreurs qu’ils peuvent faire dans des propos d’estrade ».
Une relation dégradée
Entre Londres et Paris, l’Entente cordiale est rompue depuis le Brexit. Quotas de pêche, traversées illégales de migrants, contrôles à l’entrée de l’Eurotunnel… Les sujets de contentieux empoisonnent les relations, plus encore qu’avec le reste de l’Union européenne. Dernier en date : l’annonce du pacte AUKUS entre États-Unis, Royaume-Uni et Australie, en septembre 2021, qui a privé les Français d’un méga-contrat de sous-marins.
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S’ajoute un choc de personnalités entre Boris Johnson et Emmanuel Macron. « La confiance est au plus bas », confirme auprès du JDD Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors et spécialiste du Brexit. « Johnson et Truss entretiennent l’idée que la France cherche à punir les Britanniques, poursuit-elle, bien qu’il n’y ait jamais eu de matérialisation concrète de cette position. »
Peu d’optimisme
Dans ce contexte, les Européens sont peu enclins à l’optimisme. « Ils ne s’attendent pas à une réinitialisation de la relation, avance Elvire Fabry. Il est possible qu’elle se complique davantage. » Pour la chercheuse, la petite phrase de la candidate sur Emmanuel Macron est révélatrice : « Liz Truss se veut la réincarnation de Thatcher et entend renouer avec le libéralisme traditionnel du Parti conservateur. Elle voudra se montrer plus dure que Johnson et reprendre l’épée d’un affrontement très personnel. »
"Liz Truss a mené une campagne extrêmement populiste qui laisse supposer une attitude peu conciliante
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« Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle », renchérit Patrick Chevallereau, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris). « Liz Truss a mené une campagne extrêmement populiste, anti-Bruxelles, avec une francophobie latente, qui laisse supposer une attitude peu conciliante sur tous les sujets qui nous divisent », explique au JDD ce spécialiste des relations franco-britanniques
Le risque d’une guerre commerciale
À commencer par le protocole nord-irlandais. C’est LE sujet de crispations entre le Royaume-Uni et le continent. Au sein du gouvernement de Boris Johnson, Liz Truss a été l’architecte d’une proposition de loi qui consiste à supprimer l’essentiel de ce protocole sur les modalités de circulation post-Brexit à la frontière irlandaise. Légiférer sur ce sujet serait un casus belli pour Bruxelles, qui prépare déjà sa riposte judiciaire. « Il ne faut pas du tout exclure le scénario d’une guerre commerciale, prévient Elvire Fabry. Liz Truss menace d’activer l’article 16, qui permettrait de suspendre temporairement l’application de ce protocole, le temps que s’achèvent les débats parlementaires britanniques. Elle se rapproche de la ligne rouge. »
Rishi Sunak, à l’inverse, est perçu comme plus pragmatique et constructif. « Sous Johnson, lorsqu’il a été question d’activer l’article 16, il s’était montré plus prudent et critique », rappelle la chercheuse.
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Tous deux comptent abandonner certaines règlementations européennes. Une manière de stimuler la compétitivité, au risque de priver les entreprises britanniques de l’accès au marché européen. « L’un et l’autre promettent de tirer beaucoup plus parti du Brexit en commençant réellement à diverger des réglementations européennes, décrypte la chercheuse de l’Institut Jacques-Delors. Cela découragerait le développement des échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’UE, qui ont déjà beaucoup diminué. »
Un « faucon » en politique étrangère
La politique menée par Liz Truss risque aussi de pénaliser les Européens au-delà du continent. Face à la Russie ou à la Chine, la ministre des Affaires étrangères, qualifiée de « faucon » par la presse britannique, a adopté un ton offensif et s’est alignée avec les États-Unis, là où les Vingt-Sept tentent de porter une autre voix. « Cela peut avoir des conséquences sur la dynamique interne à l’UE », estime Patrick Chevallereau. Pour lui, sa nomination serait « une bonne chose pour Vladimir Poutine » : « Truss, c’est la continuation d’un soutien fort à l’Ukraine mais aussi l’assurance que les divisions occidentales vont perdurer. »
Entre militaires et diplomates français et britanniques, le dialogue continue, rassure-t-il. Mais ce vice-amiral craint que l’absence d’impulsion politique entre les deux pays n’affaiblisse la coopération sur les enjeux de défense. « Le Traité de Lancaster House par exemple, signé en 2010, est régulièrement renforcé lors de réunions politiques de haut niveau, précise-t-il. Mais depuis le Brexit et Boris Johnson, celles-ci sont au point mort. »
À l’épreuve du pouvoir
Liz Truss pourrait-elle modérer son discours une fois en poste ? « Soit ce qu’elle a dit relève d’une stratégie de campagne et dans ce cas on peut espérer une sorte de retour à la réalité qui l’amènera à rechercher des compromis, soit elle y croit vraiment et on va vers une accentuation du bras-de-fer », évalue Patrick Chevallereau. Sur le protocole nord-irlandais, les débats à la Chambre des Lords vont durer des mois, laissant le temps de trouver un arrangement. « Truss avait fait campagne contre le Brexit, poursuit-il. Peut-être est-elle quelqu’un qui tourne avec le vent ? Il faudrait être devin pour le dire. »
"L’échéance électorale les empêchera de baisser la garde sur un discours pro-Brexit très dur
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Pour sa part, Elvire Fabry ne croit pas en un changement de cap. « En tant que récente convertie au Brexit, elle a besoin de se montrer encore plus convaincue », argumente la chercheuse. D’autant que la bataille pour les élections – prévues au plus tard en janvier 2025 – est déjà lancée. « On peut s’attendre à ce qu’elle cherche à attiser le sentiment anti-Européen. »
Même fermeté attendue sur les traversées de la Manche, Truss comme Sunak portant une politique stricte sur l’immigration. Dans une interview au Sun, la favorite a indiqué qu’elle « veillerait à ce que nous le fournissions des fonds [à la police aux frontières française] que s’ils sont utilisés correctement ». « L’échéance électorale les empêchera de baisser la garde sur un discours pro-Brexit très dur, juge Elvire Fabry. Ils ont trop à perdre vis-à-vis d’un électorat pour lequel le refus de l’immigration était une motivation majeure. »
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