L'UE veut mettre sur les rails la première taxe carbone aux frontières au monde
Via un « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières », la Commission européenne veut soumettre progressivement les importations les plus polluantes de l'UE aux mêmes règles que celles imposées à la production locale.
Par Muryel Jacque, Derek Perrotte
L'idée avait émergé en France à la fin des années 2000 mais aucun pays n'avait encore osé. La Commission européenne a présenté mercredi son grand projet de taxe carbone aux frontières. Plus exactement, un « mécanisme d'ajustement carbone aux frontières » dont elle veut faire un des outils phares de la lutte de l'Europe contre le réchauffement climatique .
Le principe est simple : imposer un prix du carbone sur certains produits importés fabriqués par des entreprises hors d'Europe, dans des pays aux normes environnementales plus souples. Une forme de droit de douane. « Un même prix pour la production nationale et les importations. Une première mondiale », s'est félicité le commissaire à l'Economie, Paolo Gentiloni.
170 millions de tonnes de CO2
Les secteurs du ciment, de l'acier et de fer, de l'aluminium, de l'engrais et de l'électricité - les plus émetteurs - seront ciblés. Ils représentent 170 millions de tonnes d'émissions importées, d'après le cabinet Icis. Ils se verront imposer progressivement l'achat de « certificats d'émissions », basés sur le prix du carbone qu'ils auraient dû acquitter si les biens avaient été produits dans l'UE. A partir de 2026, date d'entrée en vigueur du dispositif, les importateurs devront ainsi déclarer la quantité d'émissions contenues dans les biens reçus.
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L'objectif est triple. Primo, éviter les délocalisations de productions émettrices de gaz à effet de serre, appelées « fuites de carbone », qui menacent avec le durcissement de la législation. Secundo, générer des revenus : l'outil pourrait rapporter jusqu'à 10 milliards d'euros par an qui iront dans le budget de l'UE, notamment pour financer le plan de relance post-Covid. Tertio, l'Europe espère inciter ainsi les producteurs de pays tiers à réduire leurs émissions. « L'objectif de la Commission est très clair. Il s'agit de mettre en place ce mécanisme et que l'action internationale pour le climat avance tellement bien qu'on n'ait jamais besoin de l'activer », explique Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Jacques Delors Energy Centre.
OMC compatible
Mais certains secteurs tiquent . Les producteurs d'acier jugent que la taxe devrait s'ajouter aux permis d'émissions alloués gratuitement dans le cadre du marché européen du carbone, déjà pour les dissuader de délocaliser. La Commission prévoit au contraire l'extinction progressive, en dix ans, de ces quotas gratuits, qui n'auraient selon elle plus de raison d'être. Pierre Gattaz, le président de Business Europe, prévient que « le rythme de baisse, ainsi que certaines questions ouvertes sur l'efficacité du mécanisme, risquent de perturber les perspectives d'investissement ». A l'opposé, les ONG et des eurodéputés prônent une fin plus rapide des quotas gratuits.
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Le projet crispe aussi des partenaires commerciaux de l'UE comme la Turquie ou la Russie. Cette dernière a averti qu'il pourrait enfreindre les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Valdis Dombrovskis, le vice-président exécutif de la Commission, a promis en réponse que l'Europe tiendra « pleinement compte du prix du carbone payé dans d'autres pays et de l'efficacité des émissions des producteurs de pays tiers afin que ce mécanisme soit soigneusement équilibré et non discriminatoire ».
Muryel Jacque et Derek Perrotte (à Bruxelles)