French President Emmanuel Macron (L) waves to photographers as he arrives for a meeting with his Russian counterpart in Moscow on February 7, 2022, for talks in an effort to find common ground on Ukraine and NATO, at the start of a week of intense diplomacy over fears Russia is preparing an invasion of its pro-Western neighbour. (Photo by Thibault Camus / POOL / AFP)

Emmanuel Macron lors de son arrivée à Moscou avant son entretien avec Vladimir Poutine, le 7 février 2022.

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Dans L'Europe : changer ou périr (paru chez Tallandier le 6 janvier), Nicole Gnesotto raconte les défis que doit relever l'Union européenne du 21ème siècle : risque climatique, Chine conquérante et autoritaire, Amérique versatile, démocratie en péril... Il est l'heure, selon la vice-présidente de l'Institut Jacques Delors, de faire place à une Europe puissance, une Europe politique capable de peser de tout son poids sur la marche du monde plutôt que d'en subir les crises et les changements.

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Alors que s'est ouverte pour six mois la présidence française du Conseil de l'UE et que les présages se font chaque jour plus sombres à la frontière ukrainienne, cette experte analyse pour L'Express les tentatives diplomatiques de la France et son rôle dans le grand jeu européen.

L'Express : Vladimir Poutine avait fait le choix de snober l'Union européenne dans la crise ukrainienne, ne s'adressant d'abord qu'à Joe Biden. La présence d'Emmanuel Macron à Moscou signifie-t-elle que l'Europe est de retour à la table des discussions ?

Nicole Gnesotto : Le dialogue entre Moscou et l'Union européenne n'existe plus vraiment depuis la crise en Crimée, en 2014. La France s'est beaucoup inquiétée du fait que Poutine court-circuitait l'Europe dans cette crise ukrainienne et ne parle qu'au maître de l'Occident, les Etats-Unis. Mais nos partenaires européens, tellement inquiets d'entendre tous les jours que l'Amérique ne s'intéresse qu'à l'Asie, sont en réalité très rassurés de l'investissement personnel de Joe Biden dans ce dossier.

La crise ukrainienne constitue une occasion à ne pas rater pour la France et pour Emmanuel Macron, en tant que président du Conseil de l'UE. L'Europe ne peut pas rester absente de cette crise car sa propre sécurité est en jeu et nous avons beaucoup de chance que la France assure la présidence de l'UE dans un tel moment : la France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et c'est une puissance nucléaire. La Russie respecte ces deux aspects.

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De plus, la France et l'Allemagne étaient les deux pays les plus réticents à placer l'Ukraine et la Géorgie sur la liste des futurs candidats à l'OTAN, en 2008, et avaient obtenu gain de cause. Poutine s'en souvient. Et puis, c'est Emmanuel Macron qui, en 2019 à Brégançon, avait parlé de la nécessité de repenser "une architecture de sécurité et de confiance" avec la Russie. À l'époque, tout le monde, y compris les États-Unis, l'avait renvoyé à ses études. Mais aujourd'hui cela semble être la seule solution autre que la guerre. En tant que président de l'Union, Emmanuel Macron a une chance de remettre l'Europe au coeur des discussions.

Quand Emmanuel Macron se rend à Moscou puis à Kiev, y va-t-il en tant que président français ou porte-parole de l'Europe ?

Forcément, les deux. C'est ce qui est intéressant : il transforme une ambiguïté en atout. Poutine le reçoit davantage comme président français puisque pour lui, l'Union européenne ne représente presque rien. Quand il avait reçu le haut représentant de l'UE, Josep Borrell, en février 2021 à Moscou, pour tenter de reprendre un dialogue stratégique, il l'avait insulté. Emmanuel Macron a raison de jouer sur cette ambiguïté stratégique : elle est positive, elle est constructive et tant mieux si Poutine s'y laisse prendre.

Que peut espérer obtenir Emmanuel Macron dans ce contexte ?

Il espère un signe de désescalade. Cela ne signifie pas que Poutine va enlever toutes ses troupes de la frontière ukrainienne, mais il peut y avoir désescalade des deux côtés. Ces derniers jours, les deux camps multiplient à la fois des initiatives militaires - les Américains envoient 3000 hommes en Europe, la France place des troupes en Roumanie - et une très grande agitation diplomatique. On montre ses forces pour mieux négocier, c'est la diplomatie par excellence. L'idée n'est pas d'obtenir un résultat concret dès aujourd'hui, après un tête à tête "d'homme à homme" comme ils le disent. Les Russes ne bougeront pas d'un centimètre si les Américains ne bougent pas du même centimètre.

L'Europe montre-t-elle un visage uni dans cette crise ukrainienne ?

Les Européens sont divisés à propos de la Russie, et ce depuis longtemps. La division n'a jamais été aussi forte que depuis la prise de la Crimée, mais les Européens apprécient différemment la Russie parce qu'il y a une différence d'histoire. Des pays ont été occupés pendant cinquante ans par l'Armée rouge, ils savent de quoi ils parlent quand ils parlent de menace russe. Alors que d'autres pays, comme le Portugal ou la France, n'ont pas été occupés ou en guerre avec la Russie depuis au moins le 18ème siècle.

Quand il est allé au Parlement européen pour faire son discours de présidence de l'UE [le 19 janvier], Emmanuel Macron a proposé un nouvel ordre de sécurité en Europe et une démarche, qui était d'en parler avec les Américains, puis de la proposer aux Russes. Tout l'objectif de cette présidence française va être d'obtenir une convergence des Européens sur cette idée qu'il faut d'une façon ou d'une autre repenser l'architecture européenne de sécurité : nous ne pouvons maintenir, au 21e siècle, une stratégie de pur affrontement avec la Russie.

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Jusqu'à l'affaire de Crimée, nous avions créé un accord de partenariat et de coopération avec la Russie, divisé en quatre espaces de coopération : économique, stratégique, culturelle et technologique. Nous avions une stratégie globale vis-à-vis de la Russie qui nous réussissait. Nous pourrions tout à fait reprendre ce modèle, à condition bien sûr que les Russes cessent de menacer l'Ukraine et leurs voisins. Mais ce n'est pas impossible. La France et l'Allemagne partagent la même ligne sur cette affaire. Il ne s'agit pas de régler la question ukrainienne mais, dans les cinq prochaines années, de remettre à zéro la question de la place de la Russie en Europe. La Russie est-elle condamnée à être une menace systématique sur le continent européen ou peut-on tenter d'infléchir son évolution pour qu'elle devienne peut-être un adversaire, mais aussi un partenaire fiable ?

Après le mandat de Donald Trump, le retrait d'Afghanistan et l'affaire des sous-marins australiens, on pensait la relation transatlantique abîmée pour longtemps. Mais Vladimir Poutine n'est-il pas en train de redonner à l'OTAN un rôle primordial avec cette crise ukrainienne ?

Quand une crise fait intervenir l'Armée rouge et met en jeu le coeur de l'Europe, le réflexe atlantiste des Européens revient au galop. D'une certaine façon, Poutine redonne de la vitalité à cette OTAN qu'il déteste tellement. L'Alliance atlantique se trouvait dans un état un peu moribond, surtout après le camouflet que lui a infligé Joe Biden en se retirant d'Afghanistan en un mois, alors que 14 000 soldats sous commandement de l'OTAN étaient sur place et ont appris la nouvelle dans la presse. L'OTAN était vraiment en très mauvaise posture et tout d'un coup, Poutine, par la crise ukrainienne, lui redonne une légitimité, une crédibilité, une vitalité alors qu'il est le premier à dénoncer sa politique impérialiste.

Mais s'il y a une guerre avec la Russie, il est évident que les Américains et les Européens seront du même côté. L'Europe n'a donc pas d'autonomie militaire à construire face à la Russie mais elle doit employer son autonomie pour sa réflexion stratégique. Dans 90% des crises du monde, l'Europe aura à peu près la même politique que les Américains, car nos intérêts convergent. Mais dans 10% des cas nos analyses divergeront et nos intérêts ne seront pas les mêmes. Là, l'Europe doit être intelligente et penser à sa propre sécurité européenne.

L'Europe peut-elle faire entendre une voix singulière dans la crise ukrainienne ?

Le rôle des Européens doit être de dire "ni OTAN, ni agression". Ni OTAN parce que la géopolitique existe et qu'un pays doit suivre la géopolitique de sa géographie : l'Ukraine ne peut pas entrer dans l'OTAN parce qu'elle ne se trouve pas à l'ouest du Portugal, mais à l'ouest de Moscou. Ni agression : la Russie doit arrêter d'intimider ses voisins et reconnaître à la fois la souveraineté et l'intégrité de l'Ukraine. Il s'agit d'une formule de compromis que les Européens pourraient reprendre à leur compte.

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