Des migrants dans le camp de Kara Tepe en mars 2021 à Mytilène, sur l'île grecque de Lesbos

Des migrants dans le camp de Kara Tepe, en mars 2021, à Mytilène, sur l'île grecque de Lesbos.

afp.com/ARIS MESSINIS

Au plus fort de la crise des réfugiés, le 31 août 2015, Angela Merkel prononce trois mots appelés à marquer l'histoire de son pays : "Wir schaffen das" ("Nous y arriverons"). Convaincue que l'Allemagne peut relever le défi de l'intégration, la fille de pasteur protestant encourage ses concitoyens à les accueillir à bras ouverts - 890 000 demandeurs d'asile, essentiellement syriens, s'installent outre-Rhin cette année-là. Six ans plus tard, le ton a changé à Berlin, alors que l'effondrement du gouvernement afghan laisse craindre une nouvelle crise migratoire. "Nous ne devons pas répéter l'erreur que nous avons faite dans le passé en ne donnant pas assez de moyens au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et en laissant les gens quitter la Jordanie et le Liban à destination de l'Europe", explique désormais la chancelière allemande, qui plaide pour une prise en charge des réfugiés "dans le voisinage de l'Afghanistan".

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Depuis la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août, les chefs d'Etat européens, à l'image d'Angela Merkel, refusent une arrivée massive de réfugiés afghans. "Les dirigeants des Vingt-Sept sont marqués par la crise de 2015, mais ils sont surtout convaincus de se trouver face à des opinions publiques traumatisées par l'immigration, pointe Jérôme Vignon, conseiller migrations à l'Institut Jacques-Delors. Ils ne sont plus du tout disposés à s'organiser pour l'accueil des réfugiés, comme l'Europe avait pu le faire pour les boat people vietnamiens à la fin des années 1970." En France comme en Allemagne (où les législatives de l'après-Merkel auront lieu le 26 septembre), les campagnes électorales durcissent encore le discours vis-à-vis de l'immigration.

Redoutant une crise migratoire, les chancelleries européennes veulent reproduire les solutions trouvées en 2016, quand l'Europe a promis 6 milliards d'euros à la Turquie pour qu'elle garde les migrants syriens sur son sol. Cette fois, les Européens comptent sur l'Iran et le Pakistan, où se concentrent déjà 90 % des réfugiés afghans. "Les Afghans fuiront dans les pays proches de chez eux, principalement pour des raisons économiques, estime Matthieu Tardis, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). La solution est humanitaire, l'Europe va devoir aider les pays qui accueillent ces réfugiés, mais cela sera compliqué pour l'Iran, avec qui les relations diplomatiques sont difficiles, et le Pakistan, où la France est directement menacée depuis l'affaire des caricatures..."

Des Européens incapables de s'entendre sur l'asile

Si l'aide humanitaire fait consensus à Bruxelles, la question de l'asile aux réfugiés afghans promet déjà de diviser les Vingt-Sept, incapables de s'entendre sur un pacte migratoire proposé en 2019 par la Commission européenne. "La crise afghane risque d'empêcher toute avancée et de cristalliser les divisions qui existent déjà entre les pays du Nord, comme l'Allemagne et la Suède, qui ont déjà beaucoup accueilli, ceux du Sud, comme la Grèce, l'Italie et l'Espagne, qui restent la porte d'entrée des migrants et des demandeurs d'asile, et ceux qui ne veulent pas accueillir du tout, à l'Est, comme la Hongrie et la Pologne", indique Camille Le Coz, chercheuse à l'institut Migration Policy.

Migrants près de la frontière entre Turquie et Grèce près de Pazarkule le 7 mars 2020

Migrants près de la frontière entre Turquie et Grèce près de Pazarkule, le 7 mars 2020.

© / afp.com/Ozan KOSE

"A Vingt-Sept, on n'y arrivera pas, il faut que la France et l'Allemagne forgent une proposition et entraînent d'autres pays", tranche Gerald Knaus, directeur du groupe de réflexion European Stability Initiative. Encore faudra-t-il une "harmonisation des critères de protection" entre partenaires continentaux, comme l'a rappelé Emmanuel Macron dans son allocution du 16 août. D'après l'Elysée, depuis le début de l'année, le taux d'acceptation des dossiers d'asile pour des migrants afghans atteint près de 90 %, contre 63 % pour l'ensemble de l'UE.

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Les Européens se sont d'ailleurs gardés de dire s'ils allaient être plus conciliants avec les Afghans se trouvant sur leur sol et ne disposant pas encore d'un titre de séjour - environ 44 000 demandes d'asile sont en cours de traitement, dont 10 300 en France. Faut-il aussi réexaminer la situation des déboutés ? L'Autriche du très conservateur chancelier Sebastian Kurz propose plutôt la mise en place de "centres de rétention" dans les pays voisins de l'Afghanistan, pour y détenir les Afghans expulsés d'Europe, maintenant que les renvois par avion sur Kaboul ne sont plus possibles. "C'est totalement irréaliste, juge Gerald Knaus. L'Iran n'accepte déjà pas les retours forcés de citoyens iraniens..."

<b>"Il n'y aura pas d'arrivée massive en Europe comme en 2015"</b>

Face aux images de détresse venues d'Afghanistan, l'Europe se prépare à affronter "des flux migratoires irréguliers importants", comme l'a expliqué Emmanuel Macron, dans une formule qui a fait polémique. En réalité, les dirigeants avancent à l'aveugle sur cette question migratoire. "Des déplacements massifs de population avaient déjà lieu au sein même de l'Afghanistan avant l'arrivée des talibans à Kaboul, avec au moins 250 000 personnes sur les routes, mais il est impossible de prévoir l'ampleur de l'exode afghan", prévient Matthieu Tardis, de l'Ifri. Au sein de Frontex, l'agence de surveillance des frontières européennes, la prudence reste de mise, comme l'explique son porte-parole, Piotr Switalski : "La pression migratoire pourrait augmenter fortement dans les mois qui viennent, car il est tout à fait possible que les migrants afghans cherchent de nouvelles routes à l'est pour pénétrer l'Union européenne."

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La situation a pourtant changé depuis 2015, avec une surveillance accrue des frontières et, souvent, des refoulements, comme à celle séparant la Grèce de la Turquie. "Il n'y aura pas d'arrivée massive en Europe comme en 2015, car il n'y a plus de frontières ouvertes", avance Gerald Knaus. D'autant que la Turquie érige un mur de béton à sa frontière avec l'Iran et refuse d'accueillir des réfugiés afghans. Le président Erdogan, qui juge les migrants syriens responsables de ses mauvais sondages, dialogue déjà avec les talibans et n'ouvrira pas ses portes. Aucun obstacle ne sera épargné à ceux qui fuient le régime islamiste.

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