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Analyse

Migrations: la fermeture des frontières, seul consensus européen

L’année 2021 a été marquée par un chantage inédit de la Biélorussie qui a organisé l’arrivée de demandeurs d’asile aux frontières de l’UE. La réponse coordonnée des 27 a eu raison de la tentative de déstabilisation. Mais si le consensus sur la fermeture des frontières est total, les divisions entre les 27 bloquent toujours l’adoption du pacte migratoire de Bruxelles et tout projet politique d’envergure.

Pris en étau entre la Biélorussie et la Pologne, des migrants  coincés dans un camp de fortune à la frontière entre les deux pays, le 10 novembre 2021 (Image d'illustration).
Pris en étau entre la Biélorussie et la Pologne, des migrants coincés dans un camp de fortune à la frontière entre les deux pays, le 10 novembre 2021 (Image d'illustration). AP - Ramil Nasibulin
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La réponse apportée par l’Union européenne à la manœuvre biélorusse a montré combien l’unité des 27 États membres peut être efficace. Elle l’a été sur le plan extérieur en imposant des sanctions à la Biélorussie, en exerçant des pressions diplomatiques concertées sur les compagnies aériennes nationales et les pays d’où partaient les vols organisés par Minsk.

« Il y a très peu d’exemples dans l’histoire où les États européens, de concert avec les institutions européennes, ont eu une position diplomatique ferme et efficace qui donne lieu à des mesures », souligne Yves Pascouau, consultant et chercheur associé à l’Institut Jacques Delors. Au plan intérieur, un consensus temporaire a prévalu, mais au prix d’entorses aux principes de l’UE. Interdiction d’accès des organismes humanitaires et des journalistes à la zone frontalière, refoulements, privation d’assistance vitale n’ont pas suscité de condamnation au sein des 27. 

 À écouter aussi : À la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, des migrants otages d'un bras de fer diplomatique

Réformer l’espace Schengen

La réponse de la Commission européenne, incluse dans le projet de réforme de l’espace Schengen de libre circulation, va d’ailleurs davantage « vers une réduction que vers un renforcement des droits que l’on peut accorder à des personnes instrumentalisées, massées et parfois coincées à cette frontière », remarque Yves Pascouau. S’il est adopté, le texte présenté sera une avancée sur le plan sanitaire : l’UE pourrait avoir tiré les leçons de la cacophonie qui a suivi le début de la pandémie de Covid-19. Les règles d’entrée de citoyens étrangers à l’Union européenne pourraient ainsi devenir les mêmes pour tous. 

En ce qui concerne la question migratoire, cette réforme pose question : la Commission remet sur la table une ancienne proposition qui autoriserait des patrouilles volantes de contrôle dans les zones frontalières : « Qui opérerait ces patrouilles ? La commission dit clairement que ce seraient les autorités de police mais pas uniquement. Donc qui sont les autres autorités qui seront amenées à exercer des contrôles volants ? Deuxième problème, la Commission prévoit pour des personnes en situation irrégulière dont les patrouilles considèrent qu’elles viennent directement d’un autre État membre. Il pourrait y avoir un accord de réadmission automatique, qui n’existe pas aujourd’hui. » 

À cela s’ajoute le rallongement des délais d’enregistrement des demandes d’asile à 4 semaines au lieu de 10 jours maximum.

Un contrôle efficace, un discours en décalage

Contrairement à ce qu’avancent certains responsables politiques, les mécanismes de fermeture des frontières extérieures fonctionnent. En 2020, le nombre de franchissements irréguliers des frontières, 125 100, était le plus bas en 7 ans. Quant aux demandes d'asile, elles ont baissé de 26% début 2021 par rapport à 2019. La Commission, comme Frontex, remarquent toutefois une hausse des entrées ou tentatives d’entrée dans l’Union européenne en 2021 par rapport à 2020, sachant que l’an dernier la pandémie a réduit les mouvements de population.

« C’est une vue de l’esprit de considérer que les actions et mesures en place depuis 2015 n’ont pas produit d’effet ! s’insurge Yves Pascouau. Bien au contraire. Les effets sont là, mais malgré tout, les responsables politiques continuent au niveau européen à avoir le même discours que si l’on était encore dans la situation de 2015-2016, c'est-à-dire avec un million d’arrivées sur le territoire. C’est en cela qu’il y a un véritable problème. »

Consensus mortifère

Le naufrage qui a fait au moins 27 morts dans la Manche le 24 novembre dernier, alors que les migrants avaient appelé les secours en France et au Royaume-Uni, a suscité des réactions indignées. Il illustre parfaitement les conséquences d’une politique du « chacun pour soi ».

Steve Valdez-Symonds, directeur Migrations d'Amnesty international à Londres dénonce la lâcheté du Royaume-Uni et de la France : « C’est quand même extraordinaire que deux des plus riches pays au monde se livrent à cette bataille politique néfaste et stérile, en jouant avec le destin d’un très petit nombre de personnes qui, non seulement ont droit à une protection, mais en ont un besoin urgent. Et cela, alors que partout ailleurs dans le monde, le Royaume-Uni et la France attendent de pays bien plus pauvres et bien moins stables qu’ils assument une responsabilité grande en matière d’accueil, en partie dans l’espoir que moins de gens viennent demander l’asile chez eux. »

Ce qui s’est passé à Calais, comme ce qui se passe en Méditerranée ou aux frontières terrestres orientales de la Lituanie à la Grèce « démontre que les politiques de fermetures telles qu’on les prône aujourd’hui sont des politiques mortifères »« Plus on ferme un accès plus on facilite l’éclosion de filières mafieuses », poursuit Yves Pascouau.

Un groupe d'une quarantaine de migrants embarque dans un bateau pour traverser la Manche, à Wimereux, non loin de Calais, le 24 novembre 2021 (Image d'illustration).
Un groupe d'une quarantaine de migrants embarque dans un bateau pour traverser la Manche, à Wimereux, non loin de Calais, le 24 novembre 2021 (Image d'illustration). REUTERS - GONZALO FUENTES

La présence de migrants sur la côte d’Opale ou la côte belge, qui survivent dans des conditions inhumaines avec l’espoir de rejoindre le Royaume-Uni, concerne l’Union européenne toute entière. Parmi eux, de nombreux demandeurs d’asile ont vécu en règle dans d’autres pays européens, mais ont vu le renouvellement de leur protection refusée, ou craignent d’être renvoyés dans un pays tiers et cherchent à quitter l’Union européenne. La réforme du règlement de Dublin, qu’espèrent les pays de première arrivée censés « garder » les migrants dans leurs frontières, n’est pas à l’ordre du jour.

Sur la question du partage de l’accueil, l’absence de consensus européen est un facteur de déséquilibre et de recul pour la convention de Genève sur les réfugiés, estime Steve Valdez-Symonds : « On voit de plus en plus de pays qui tentent de se soustraire à leurs obligations : c’est injuste et cela ne peut que conduire de plus en plus de pays ou de communautés à ressentir une forme d’abandon, de pression et à se retrouver dans l’incapacité à assumer la responsabilité de l’accueil à la place de leurs voisins – ou à refuser de le faire. »

Changer de paradigme ?

La question migratoire reste « un point névralgique » de la coopération européenne, poursuit Yves Pascouau, qui rappelle que dans les douze dernières années, sur les cinq grandes crises que l’UE a traversées – crise financière, terrorisme, migration, Brexit, crise sanitaire –, la crise migratoire est la seule qui divise durablement les États. 

Yves Pascouau appelle l’UE à changer de paradigme : « La question que doivent se poser les États est de savoir s’ils veulent s’enferrer dans un politique de contrôle sans limites ou s’ils peuvent se dire que cette politique de contrôle a peut-être atteint ses limites et qu’il faut l’assortir d’autres pratiques, notamment celle qui reste un "gros mot" au sein des 27 : des voies légales d’immigration. »  

 À lire aussi : Merkel, l'heure du bilan: à Cologne, la concrétisation d'une politique migratoire assumée

L’Allemagne, qui accueille déjà plus du double de réfugiés que la moyenne de l'UE (1,5% de sa population contre 0,6% pour l’ensemble des 27), va faciliter la naturalisation et l'installation d'étrangers. Berlin dit avoir besoin de 400 000 immigrants pour des raisons économiques et démographiques. Si tous les pays ne font pas le même constat, beaucoup pourraient s’en inspirer. À l’instar de certains conseillers politiques français, Yves Pascouau rappelle que sur le long terme les migrations ne se stoppent pas, elles s’organisent.

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