À Genève, au siège de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout le monde l’appelle « docteur ». Ngozi Okonjo-Iweala, 66 ans, va prendre la tête de cette institution aux 164 États membres qui poursuit, tant bien que mal, deux objectifs principaux : administrer un système mondial de règles commerciales et garantir le règlement des conflits entre ses membres.

Ce changement de tête s’opère dans une période difficile pour l’OMC, malmenée par quatre années de trumpisme tonitruant, impuissante dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine et pièce maîtresse d’un libre-échange de plus en plus contesté.

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La « docteur Ngozi » se définit comme « une femme d’action », « une réformatrice » qui dispose des « compétences nécessaires pour négocier avec les responsables politiques ». Ces termes choisis après l’annonce de sa candidature au poste de directrice générale témoignent en creux du travail et de la ténacité qu’elle a dû déployer tout au long de sa carrière.

Une femme d’expérience

Elle commence ses études au Nigeria, son pays de naissance, les poursuit à Harvard, aux États-Unis et les conclut par une thèse sur le développement agricole de son pays d’origine, soutenue devant le prestigieux Massachusets Institute of Technology. La voilà docteure, en économie.

À l’issue de ce parcours prestigieux, elle intègre la Banque mondiale en 1982 avant d’être nommée ministre des Finances du Nigeria en 2003. Première femme à occuper ce poste dans son pays, elle privatise à tour de bras, efface des milliards de dette et lutte contre la corruption.

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En 2006, Ngozi Okonjo-Iweala accède brièvement aux Affaires étrangères, avant d’être rappelée par la Banque mondiale où elle accède au poste de numéro 2. Elle récupère ensuite le portefeuille des Finances au Nigeria en 2011 et s’y consacre jusqu’en 2015, après avoir échoué à prendre la présidence de la Banque mondiale en 2012. Elle dirige ensuite le GAVI, l’alliance mondiale pour les vaccins et l’immunisation, jusqu’en 2020.

« Le profil nécessaire pour faire bouger les choses »

«Elle n’est pas spécialiste du commerce mais c’est une femme politique d’expérience », se réjouit Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Il en est convaincu : « Elle a le profil nécessaire pour faire bouger les choses. » Sa personnalité tranche avec celle de son prédécesseur, le Brésilien Roberto Azevêdo, « prototype du diplomate de l’OMC, idéal pour régler les petits problèmes du quotidien mais pas pour faire changer les choses ».

« Pour certains dossiers, la maîtrise fine du sujet s’impose, relève cependant Iana Dreyer, économiste spécialiste du commerce international. Il lui faudra bien s’entourer ». D’après elle, si Mme Okonjo-Iweala « dépoussière l’image de l’OMC », elle ne doit pas oublier que diriger cette organisation et être économiste, « ce n’est pas le même métier ».

Une organisation à réinventer

Le docteur Ngozi a du pain sur la planche. L’OMC s’essouffle car elle repose sur des règles archaïques, « définies il y a trente ans, à une époque ou Internet n’existait pas et où la Chine était un nain », diagnostique Sébastien Jean. L’OMC est coutumière des blocages, la faute au consensus comme mode de décision. En résultent nombre de statu quo dont certains pays, comme l’Inde ou la Chine, profitent.

La crise du Covid apporte au docteur Ngonzi un lot de défis supplémentaires à relever. Selon Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors, elle devra répondre à « un besoin de réengagement des États au sein de cette organisation, car la coopération commerciale est cruciale pour l’avenir », notamment en matière de normes environnementales et de régulation numérique. L’OMC devra prendre sa part pour garantir une pleine coopération internationale sur la distribution des vaccins contre le Covid-19, sans laisser pour compte les pays pauvres. « Le commerce doit faciliter cela, et non pas être un obstacle », estimait cet été la nouvelle directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala.