Non, la France ne préside pas le Conseil européen
Conseil de l’Union européenne, Conseil européen, Conseil de l’Europe… Les amalgames entre ces trois organes refont surface alors que, depuis le 1er janvier 2022, la France préside le premier d’entre eux. Simples erreurs sémantiques ou vraies stratégies politiques ?
- Publié le 10-01-2022 à 14h18
- Mis à jour le 11-01-2022 à 09h52
France Culture, Le Petit Bleu d'Agen, L'Écho… Tous ces médias ont un point commun : avoir attribué à la France la présidence du Conseil européen ou celle du Conseil de l'Europe. À tort, la France vient de prendre la tête d'un autre conseil depuis le 1er janvier dernier : celui de l'Union Européenne (UE).
Cette confusion n'est pas nouvelle : début novembre 2021, une journaliste française appelait à la démission de Charles Michel suite au dévoilement d'une campagne anti-discrimination organisée par le Conseil de l'Europe. Sauf que Charles Michel n'a rien à voir avec le Conseil de l'Europe. Il préside le Conseil européen.
Ces amalgames sont à ce point fréquents qu’ils interrogent : quelles sont les conséquences politiques de ces confusions, sinon délibérées, du moins maladroites ?
D’où viennent ces institutions et leurs noms respectifs ?
Le Conseil de l'Europe est né en 1949 au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L'idée derrière sa création était de "favoriser les échanges sur la paix, sur les droits de l'Homme dans un ensemble européen qui n'a rien à voir avec la communauté européenne qui deviendra plus tard l'Union européenne" explique Christine Verger, vice-présidente de l'Institut Jacques Delors. Lors des débats préliminaires à sa création, dix-sept pays étaient représentés et deux idéologies s'opposaient alors : "celle de la dimension européenne parlementaire et celle la dimension intergouvernementale. Le nom de Conseil résulte donc d'un compromis entre les différentes approches après la guerre" précise Christine Verger avant d'ajouter que "le mot conseil combine les deux". Aujourd'hui composé de 47 pays, les frontières du Conseil de l'Europe vont au-delà de celles de l'Union Européenne en incluant notamment la Russie ou la Turquie.
Deux ans après la création du Conseil de l'Europe, un autre Conseil voit le jour : le Conseil des ministres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (lointain ancêtre de l'UE). Selon Christine Verger, "son nom a été trouvé naturellement" en ce qu'il n'est rien d'autre que la description de son mandat : une réunion des ministres européens en lien avec l'ordre du jour (santé, finance, agriculture, …). Depuis le 1er janvier 2022 et pour six mois, c'est donc la France, ou plus précisément les ministres français, qui vont présider cet organe institutionnel exécutif et législatif, que l'on appelle aujourd'hui Conseil de l'Union européenne (sauf pour les questions touchant aux Affaires étrangères, présidées par le Haut représentant de l'UE). Le Conseil de l'UE partage son rôle de législateur avec le Parlement européen sur la grande majorité des politiques européennes.
Dernier du nom, le Conseil européen. Son appellation est un "hasard politique" selon Tania Racho, docteure en droit européen à Institut d'Études de Droit public de Paris-Saclay. Longtemps restées au format de sommets informels du nom de la ville de la rencontre, ces rencontres épisodiques entre chefs d'Etat européens ont pris le nom de "conseil" en 1974 sous l'impulsion du président français de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing. "Le sommet européen est mort, vive le conseil" aurait-il déclaré à l'issue du dernier sommet tenu à Paris. L'idée, derrière cette nouvelle dénomination, était "d'institutionnaliser" ces forums, que les personnalités se rencontrent en tête à tête au sein d'une nouvelle instance formelle" explique Christine Verger. Depuis le traité de Lisbonne en 2009, le Conseil européen est élevé au rang d'institution européenne. "Ce changement implique une certaine clarification de son rôle - beaucoup plus stratégique que celui du Conseil de l'UE, celui de donner à l'UE les impulsions nécessaires à son développement et définir les orientations générales" précise Chloé Brière, directrice du Centre de droit européen de l'Université libre de Bruxelles.
Le choix du terme "conseil" trouve donc, à chaque fois, une justification politique distincte. "Ces noms ont été adoptés à des moments différents, dans un contexte historique différent, avec un rôle des médias différent : on n'avait pas anticipé que ces noms puissent être confondus" explique Christine Verger. Il n'en demeure pas moins que ces confusions sont là et bien tenaces (Notamment ici ou là, ici ou là).
Le jeu de la confusion
À qui la faute ? "Il y a certes une responsabilité des élus, des journalistes et des chroniqueurs, qui ne prennent pas la peine de vérifier ces informations avant de parler, ou ont une connaissance trop lacunaire du fonctionnement de l'Europe" souligne Vincent Couronne, docteur en droit public (Paris 1 Panthéon-Sorbonne). On peut notamment citer le cas de la journaliste Nora Hamadi (Arte, France Culture), qui confondait Conseil européen et de l'UE dans un tweet du 31 décembre dernier. "Mais il y a surtout une responsabilité des chefs d'États et de gouvernements européens qui se satisfont très bien de cette confusion générale, qui permet de diluer la responsabilité de leurs actes au niveau européen" ajoute le co-fondateur des Surligneurs, collectif de legal-checking (vérification de la conformité au droit des propos tenus par les personnalités publiques).
Entretenir le flou est un outil politique, tant "l'UE est une ressource utilisée pour faire de politique intérieure" insiste Christian Lequesne, politologue au Centre de recherches internationales de Sciences Po. Lors de ses vœux au français, le 31 décembre dernier, Emmanuel Macron a déclaré "qu'à partir de minuit, la France prendra la présidence de l'Union européenne" en référence à la présidence du Conseil de l'UE. Une formulation simplifiée qui n'est pas anodine pour le spécialiste de la politique étrangère et européenne de l'Union européenne : "le fait de dire que la France préside l'UE donne l'impression à ceux qui l'écoutent que l'État français va avoir le leadership sur l'UE".
Certaines personnalités politiques eurosceptiques trouvent, par ailleurs, dans cette complexité sémantique un moyen de discréditer les institutions européennes : "cette bureaucratie à laquelle on n'y comprend rien" exemplifie Christine Verger. Elle ajoute que "la confusion profite plutôt à ceux qui ne sont pas pro-européens". A ce titre, Florian Philippot, ancien député européen d'extrême droite, fustigeait le 1er janvier la politique pro-européenne d'Emmanuel Macron, lequel fera "de sa « présidence » du Conseil européen un grand moment de propagande eurogaga".
Quoi qu'il en soit, ce flou "joue sur la crédibilité de la construction européenne, sur sa légitimé" pour Christian Lequesne. "A partir de ces confusions, on peut facilement affirmer que tout cela est trop compliqué pour le citoyen ordinaire" ajoute-t-il.
Transparence versus rationalisation
Comment, dès lors, communiquer plus simplement pour rapprocher les citoyens de ces institutions ?
Contacté par La Source, le service de communication du secrétariat général du Conseil (qui assiste tant le Conseil européen que le Conseil de l'Union européenne) dispose d'une stratégie de communication qui vise notamment à informer "de manière continue sur les activités des deux institutions, contribuant ainsi à éclaircir leurs rôles et leurs différences". Leur dernière action de communication ? Une vidéo postée le 4 janvier pour "tout savoir sur le Conseil européen et le Conseil de l'UE". Elle a déjà été vue près de 20 000 fois sur leur compte Twitter. Un compte Twitter commun au Conseil européen et au Conseil de l'UE, tout comme leur site internet. De quoi, une nouvelle fois, générer un flou ? "Les résultats de nos recherches n'indiquent pas de confusion quant à l'existence de deux institutions parmi les utilisateurs du site" . Selon les données du secrétariat général, le site internet commun aux deux conseils a vu son nombre de visiteurs croître de 40% sur les trois dernières années et a cumulé plus de 1.5 million de visiteurs le mois dernier.
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