Pour Guillaume Klossa, la réaction européenne face à au risque de crise de liquidité et de solvabilité dépasse par son ampleur le niveau de la réponse américaine.

Parmi les mesures urgentes proposées par les 400 personnalités: faire de la santé publique et de la lutte contre les épidémies une compétence partagée de l'Union européenne.

afp.com/Kenzo TRIBOUILLARD

"Nous, citoyens européens, considérons le Covid-19 comme une menace qui nous affecte tous. Elle peut toucher un pays avant un autre, mais en fait, elle nous touchera tous. Cette maladie peut avoir sur notre vie quotidienne un impact presque comparable à celui d'un conflit armé.

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Nous, citoyens européens, sommes préoccupés, effrayés, par cette menace. Mais plus encore par la cacophonie, l'égoïsme, la vision à courte vue et autodestructrice de réponses nationales construites sans coordination ; par le manque de prévision de nos leaders nationaux, qui font semblant de ne pas comprendre que notre interdépendance requiert une réponse européenne unifiée. Cette réponse devrait être faite de mesures strictes pour contenir la pandémie, et devrait être dotée d'un plan concernant toute l'Europe pour, après le choc, faire redémarrer l'économie européenne.

Nous, citoyens européens, dénonçons cette Union européenne qui actuellement fonctionne comme une Res Publica incomplète. En conséquence, elle reste sous-équipée pour affronter ce défi. Elle ne dispose que de compétences et de pouvoirs restreints pour faire face à la pandémie. Nous nous réjouissons de l'opportune décision de la Commission de dégager 25 milliards d'euros et d'assouplir les règles budgétaires pour parer au danger. Il s'agit peut-être du maximum de ce qu'elle peut faire, mais ce n'est pas assez.

Nous croyons que l'UE vit un moment décisif pour son avenir

Nous demandons à la Commission et au Parlement européens de proposer, et aux gouvernements nationaux d'adopter (à commencer lors de la réunion de l'Eurogroupe du 16 mars, et celle du Conseil européen qui suivra ensuite) les mesures urgentes suivantes dont la mise en oeuvre est rendue possible en utilisant la clause passerelle du Traité de Lisbonne et les procédures simplifiées de révision du Traité :

1. Faire de la santé publique et de la lutte contre les épidémies une compétence partagée de l'Union, sujette à une procédure législative ordinaire, et doter la Commission de pouvoirs spéciaux pour coordonner la réponse à l'épidémie, comme devrait le faire un gouvernement digne de ce nom.

2. Élargir le champ d'application du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) pour financer le renforcement immédiat des systèmes de santé européens et nationaux de manière à gérer cette pandémie qui menace les vies des citoyens européens, et donc aussi la stabilité économique et financière de l'Union.

3. Abolir la clause d'équilibre budgétaire obligatoire au sein de l'Union et créer un actif européen sûr pour financer un plan à l'échelle européenne permettant de promouvoir la reprise économique et la cohésion sociale pendant et après la situation d'urgence.

4. Traiter les questions fiscales par des procédures législatives ordinaires et doter l'Union de compétences fiscales pour obtenir de nouvelles ressources propres - telles que la taxe carbone (et la tarification du carbone), la taxe sur le numérique, la taxe sur les transactions financières - de manière à financer le budget de l'Union (ou un instrument budgétaire spécifique à l'euro, si la décision ne peut être atteinte qu'au niveau de l'Eurozone).

5. Sur base du système actuel de financement budgétaire, approuver immédiatement le prochain Cadre financier pluriannuel, qui augmente le budget à 1,3 % du PIB européen, comme le demande le Parlement européen ; et, sur base de nouvelles recettes propres, envisager d'atteindre les 2% du PIB pour garantir la fourniture de biens publics cruciaux à l'échelle européenne notamment en matière de santé.

6. Faire de la conférence à venir consacrée au futur de l'Union une convention européenne de plein droit, pour rédiger un nouveau pacte constitutionnel liant les citoyens et les États-membres européens.

Nous, citoyens européens, nous croyons que l'Union européenne vit un moment décisif pour son avenir. La cohésion sociale de l'Union sera conditionnée par sa réponse à cette crise. Le moment est venu de prouver que l'Union constitue une communauté de valeurs au destin partagé, une planche de salut pour ses citoyens et ses États-membres face à un monde global turbulent, lourd de menaces politiques, économiques et sanitaires. Le moment est venu de poser ensemble des pas audacieux pour dépasser les peurs. C'est l'heure de l'unité des Européens, non des divisions nationales."

Parmi les signataires : Roberto Castaldi (philosophe, à l'origine du texte), Cynthia Fleury (philosophe, titulaire de la chaire Humanités et santé du CNAM), Ulrike Guérot (fondatrice du European democracy lab), Guillaume Klossa (écrivain et ancien sherpa du groupe de réflexion sur l'avenir de l'Europe), Pascal Lamy (ancien directeur général de l'Organisation Mondiale du Commerce), Enrico Letta (ancien président du Conseil italien, président de l'institut Jacques Delors), Dimitrij Rupel (ancien ministre des affaires étrangères de Slovénie), Saskia Sassen (sociologue), Roberto Saviano (écrivain), José Luis Zapatero (ancien président du Conseil espagnol)...

Liste complète des signataires sur cesue.eu

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