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Nucléaire et gaz : des énergies durables, vraiment ?

Publié le 07 Sep 2022 à 09H00 Modifié le 7 septembre 2022
Nucléaire et gaz : des énergies durables, vraiment ?

Quelle place doit-on donner au gaz et au nucléaire dans la transition énergétique ? L'Union européenne a récemment décidé d'attribuer un label “vert” à ces deux sources d'énergie afin de faciliter leur financement. Une décision qui est loin de faire l'unanimité…

Science & Vie : Quelles sont les conséquences concrètes de cette intégration du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte européenne ?

Anna Creti : La taxonomie est une liste des activités qui pourront bénéficier d’aides à l’investissement au titre de la transition énergétique. Il s’agit d’orienter les investisseurs privés et institutionnels vers leur développement. Concrètement, un énergéticien qui souhaite construire une centrale à gaz ou nucléaire aura la possibilité d’obtenir, auprès des banques, des financements bien plus importants que si le gaz et le nucléaire ne figuraient pas dans la taxonomie.

Thomas Pellerin-Carlin : Cela permet par exemple d’accéder plus facilement à des prêts à des taux d’intérêt bien plus bas, ce qui réduit le coût du projet. Toutefois, pas un seul centime d’argent européen n’ira en plus ou en moins dans un projet sous prétexte qu’il se trouve dans la taxonomie. Il s’agit juste d’un label “vert”.

“L’intégration du gaz dans la taxonomie verte de l’UE relève d’un choix non pas scientifique mais purement politique” – THOMAS PELLERIN-CARLIN

 

Directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors, spécialiste de la politique européenne de l’énergie. DR – ABACA – NICOLAS FAGOT. THOMAS PELLERIN-CARLIN

S&V : Sur quels critères le nucléaire et le gaz ont-ils été inclus dans cette taxonomie ?

T. P.-C. : Pour l’intégrer, il faut remplir deux critères. Le premier est de jouer un rôle positif pour l’environnement, par exemple en participant à l’atténuation du changement climatique. Le second, c’est de ne pas commettre de dommage significatif sur les autres enjeux environnementaux comme la biodiversité ou la qualité de l’eau et des sols. La Commission européenne a retenu un seuil : une unité de production électrique doit émettre moins de 100 g de CO2 par kilowattheure produit pour figurer dans la taxonomie. Le nucléaire a pu l’intégrer car il coche clairement cette case. De plus, si l’on exclut un très improbable scénario d’accident majeur, il n’est pas à l’origine de dommages significatifs sur l’environnement.

A. C. : Pour ce qui est du gaz, l’Europe l’a intégré en tant qu’énergie de transition. Il pourrait ainsi venir remplacer des moyens de production bien plus polluants tels que les centrales à charbon. Il serait aussi en mesure de pallier les baisses de production des énergies renouvelables intermittentes – solaire, éolien – et jouer un rôle dans les futurs procédés de stockage de ces énergies. Reste que si les centrales à gaz construites à partir de 2030 devront émettre moins de 100 g de CO2 par kilowattheure produit – ce que l’UE a exigé -, celles qui auront obtenu leur permis de construire avant cette date pourront bénéficier d’un seuil d’émissions plus élevé [ jusqu’à 270 g de CO2/kWh, ndlr].

“Le problème se situe en réalité dans toute une série d’incohérences ancrées dans l’histoire de notre dépendance à l’énergie” – ANNA CRETI

 

Professeure d’économie à l’université de Paris Dauphine-PSL (chaires Économie du gaz naturel et Économie du climat). DR – ABACA – NICOLAS FAGOT. ANNA CRETI

S&V : Selon vous, le Parlement européen a-t-il pris la bonne décision ?

T. P.-C. : Dans un contexte de réchauffement climatique, l’intégration du nucléaire dans la taxonomie est une décision logique, malgré des craintes légitimes concernant les déchets et les risques d’accident. On ne peut pas en dire autant du gaz, qui est doublement mauvais pour le climat. D’une part, brûler du gaz pour produire de la chaleur ou de l’électricité rejette du CO2, mais il faut aussi tenir compte des fuites de méthane qui se produisent au cours de l’extraction, et tout au long du transport par gazoduc ou par bateau sous forme de gaz naturel liquéfié. Or le méthane est un puissant gaz à effet de serre qui accélère le réchauffement climatique. L’intégration du gaz dans la taxonomie relève d’un choix non pas scientifique mais purement politique, afin de faciliter le financement d’un certain nombre de projets gaziers. C’est une décision dangereuse pour le climat et catastrophique pour la crédibilité de la taxonomie européenne.

A. C. : Certaines ONG ont posé des recours juridiques afin de contester cette décision. Il y a donc encore une petite marge d’incertitude sur la possibilité de faire machine arrière. Je pense toutefois que ce ne serait ni utile ni efficace de le faire. La taxonomie a ses défauts, certes, mais ce n’est pas non plus l’instrument qui va nous plonger encore davantage dans une économie largement dominée par les énergies fossiles. Le problème se situe en réalité dans toute une série d’incohérences qui sont ancrées dans l’histoire de notre dépendance à l’énergie. On imagine par exemple que l’une des solutions consiste à électrifier certains usages comme les transports. Mais il est à mon avis bien plus urgent de changer nos habitudes de mobilité plutôt que de construire de nouvelles centrales.

Lire aussi : Objectif 2050, choisir le bon mix. Selon le travail de prospective sans précédent réalisé par le gestionnaire du réseau électrique RTE, pour respecter ses objectifs de neutralité carbone en 2050, la France va devoir développer les énergies renouvelables à un rythme inédit. Et peut-être relancer le nucléaire.

Un article issu du n°1260 de Science & Vie
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