Cette semaine s’annonce cruciale pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC) alors que son conseil général, l’organe suprême de l’institution multilatérale, se réunit du lundi 9 au mercredi 11 décembre sur fond de bras de fer avec les États-Unis.

Depuis des mois, l’administration américaine se refuse à nommer de nouveaux juges au sein de l’Organe de règlement des différends (ORD), la « cour d’appel » d’une OMC qui joue un peu le rôle de gendarme du commerce mondial.

Le risque de « représailles incontrôlées »

Or, il y a urgence : le mandat des précédents juges arrive à son terme le 10 décembre et faute de renouvellement dans les temps, ce tribunal d’experts serait, au moins provisoirement, hors service. Une situation qui « pourrait ouvrir la porte à une plus grande incertitude et des représailles incontrôlées », a prévenu le directeur de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevêdo.

Créée en 1995 pour prendre le relais de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce - plus connu sous l’acronyme anglais de GATT - l’Organisation mondiale du commerce réunit 164 pays signataires qui négocient les règles du commerce international et s’engagent à les respecter.

En cas de litige entre États membres, ceux-ci se soumettent à une procédure complexe d’arbitrage dont le dernier niveau dépend de l’ORD qui rend des avis contraignants. « Ce système de règlement des contentieux permet d’éviter le far west commercial », souligne Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors.

Trump envenime les choses

Mais le dispositif est depuis des années sous le feu des critiques de l’administration américaine. L’ex-président démocrate Barack Obama avait déjà bloqué la nomination de juges. L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, en 2017, n’a fait qu’envenimer les choses.

Les États-Unis dénoncent notamment les rémunérations trop élevées des juges, le dépassement du délai de 90 jours pour rendre des avis et, surtout, le fait que ces jugements violent trop souvent, selon Washington, la souveraineté nationale.

L’approbation provisoire, la semaine dernière, du budget 2020 de l’OMC a été l’occasion pour les États-Unis d’emporter une première victoire. Menaçant de suspendre sa contribution - la première, à hauteur de 12 % - si d’importantes coupes budgétaires n’étaient pas engagées, l’administration américaine a eu gain de cause.

La Chine et l’Europe pour cibles

Le budget, qui doit encore être adopté par consensus par le conseil général, prévoit bien de réduire les fonds alloués à l’ORD et la rémunération des juges. Mais la détermination de Washington a sapé le fonctionnement de l’institution semble entière.

À moins d’un accord surprise d’ici au 11 décembre, cette situation fragiliserait un peu plus le multilatéralisme déjà mis à rude épreuve par le président américain. Après quelques mois de trêve, Donald Trump a brutalement relancé les hostilités commerciales, ces derniers jours, en ciblant la Chine, mais aussi ses alliés européens.

La bataille des tarifs engagée avec Pékin pourrait redémarrer le 15 décembre, date à laquelle les États-Unis menacent de mettre en place une taxe supplémentaire de 15 % sur les produits importés de Chine qui y échappent encore.

Menace de surtaxes sur les produits français

Donald Trump pourrait également ouvrir un autre front avec la France, à la suite de la décision de Paris de mettre en place sur taxe sur les GAFA comme on appelle les géants du numérique américains. En représailles, Washington envisage, dès la mi-janvier, de surtaxer jusqu’à 100 % des produits « made in France » - du roquefort aux sacs à main - qui représentent 2,4 milliards de dollars d’exportations.

Dans ce contexte, la paralysie de la cour d’appel de l’OMC fait que la guerre commerciale pourrait devenir la règle. Pour éviter un tel scénario, Bruxelles veut encore croire qu’une solution à l’amiable est possible. « Nous demeurons d’avis que l’OMC est le lieu où régler tout différend commercial », a plaidé Daniel Rosario, le porte-parole de la commission européenne.

Dans le cas contraire, Paris espère que le nouvel exécutif européen mettra en place « une riposte forte ».