Parlement européen : un retour aux affaires presque normal pour les acteurs du Qatargate

Par De notre correspondante à Bruxelles, Solenn Paulic

Des valises pleines d’argent avaient été retrouvées chez elle. La députée grecque Eva Kaili, à l’origine du Qatargate avec l’Italien Pier Antonio Panzeri, va bientôt reprendre le travail au Parlement européen. Un quasi retour à la normale, qui crée un certain malaise.

Six mois après le scandale du Qatargate, les députés européens mis en cause sont revenus, ou s’apprêtent à revenir dans l’enceninte du Parlement, à Bruxelles.
Six mois après le scandale du Qatargate, les députés européens mis en cause sont revenus, ou s’apprêtent à revenir dans l’enceninte du Parlement, à Bruxelles. (Photo d’illustration Olivier Hoslet/EPA)

Elle n’a pas encore été aperçue dans les couloirs mais ce n’est qu’une affaire de jours. À Bruxelles, certains s’attendaient, déjà, la semaine dernière, lors d’une séance plénière, à revoir Eva Kaili, la vice- présidente déchue du Parlement européen (PE), chez qui des valises pleines d’argent ont été retrouvées, en décembre. La socialiste grecque, autorisée, le 25 mai, à retirer son bracelet électronique, avait en effet annoncé son retour. Mais un contretemps l’a empêchée de siéger.

Le Belge Marc Tarabella, lui aussi mis en cause dans le Qatargate et « mouillé » par l’ex-député italien Pier Antonio Panzeri, le « cerveau » supposé du Qatargate, était là, en revanche. Le socialiste a aussi repris le travail et pu voter sur le devoir de vigilance européen ou les munitions pour l’Ukraine. Il avait retrouvé ses fonctions, le 24 mai.

« Hallucinant », « scandaleux »

Les deux élus émargent désormais chez les « non-inscrits ». Et, aux 10e et 15e étage du Parlement, à Bruxelles, où se trouvent les espaces du groupe socialiste et démocrate (S & D), les noms sur les portes de leurs anciens bureaux, par ailleurs toujours scellés, ont été effacés. L’ autre député mis en cause, Andrea Cozzolino, est assigné à résidence en Italie et pourrait bientôt être extradé vers la Belgique.

L’éurodéputée grecque Eva Kaili a annoncé son retour au Parlement européen, après avoir été autorisée à retirer son bracelt électronique.
L’éurodéputée grecque Eva Kaili a annoncé son retour au Parlement européen, après avoir été autorisée à retirer son bracelt électronique. (Olivier Hoslet/EPA)

Dans les couloirs, ces deux retours laissent, en tout cas, un goût étrange. Celui d’Eva Kaili, en particulier, en met certains mal à l’aise. « C’est hallucinant », dit une source du groupe S & D. « C’est scandaleux, oui, même si le plus choquant est d’aller en prison et de rester eurodéputé », dit une autre source, dépitée.

Mais tout le monde ne s’en émeut pas. « On parle d’État de droit à longueur de journée au Parlement européen. Alors, qu’une députée reprenne le travail avant son procès ne me choque pas », réagit un autre parlementaire. Qui se dit, lui, plutôt choqué par le traitement réservé à l’élue grecque par la justice belge, qui l’a longtemps maintenue en détention.

Pour l’élue de La France insoumise, Manon Aubry, l’une des premières à avoir alerté sur l’influence du Qatar, si ces élus ont bien sûr le droit de reprendre leurs fonctions, « on a l’impression, politiquement, d’un retour en arrière de six mois ; les choses se passent comme si de rien n’était ».

Des réformes timides

Et, au-delà de ces retours, c’est surtout le peu d’allant du PE pour instaurer de réelles réformes qui la dérange, la députée estimant qu’aucune leçon n’a été tirée. Les réformes que doit présenter prochainement la Commission européenne pour renforcer la transparence au sein des institutions ne la rassurent pas non plus.

Six mois après la découverte de ce système supposé de corruption des élus par le Qatar et la découverte de valises pleines d’argent, la maison PE ne semble pas en effet avoir effectué de mue. Elle s’occupe plutôt de « mettre la poussière sous le tapis », tacle Manon Aubry.

Les eurodéputés se sont, certes, engagés à être plus transparents sur leurs rendez-vous et à mieux déclarer les voyages ou cadeaux. Ils ont aussi banni tous les groupes d’amitié informels avec les pays tiers et ne pourront plus prendre des emplois secondaires payés pour les pays tiers jugés « à haut risque ».

Mais difficile d’aller plus loin. Certains groupes avaient demandé à ce qu’un élu ne puisse pas devenir lobbyiste pendant deux ans après son mandat : ce sera six mois. Les élus n’ont pas, non plus, voulu s’interdire de cumuler des emplois, au risque des conflits d’intérêt.

La Commission européenne, de son côté, a prévenu que son futur « corps éthique européen » n’aura pas de pouvoirs d’enquête ni de sanction, alors qu’elle a elle aussi été secouée, au printemps, par une affaire. Le directeur général aux Transports a dû démissionner après que les médias ont révélé le nombre de vols gratuits payés pendant des années par QatarAirways, en pleine négociation d’un accord aérien entre l’UE et le Qatar.

La commission essaiera, néanmoins, de fixer des normes éthiques élévées pour toutes les institutions, en se reposant sur un organe où siégeront des acteurs indépendants.

Un scandale de moindre ampleur

Pour Christine Verger, de l’Institut Jacques Delors, il ne faut pas pour autant tout jeter. Tout d’abord, le Qatargate a moins d’ampleur qu’attendu, l’enquête belge semblant en effet au point mort. « On s’attendait peut-être à d’autres révélations ; ces cas révélés sont regrettables mais cela reste très limité dans un Parlement de 705 députés ».

Mais la chercheuse estime surtout que les réformes de transparence provoquées par le Qatargate ne peuvent avoir qu’un effet limité sur ces affaires de corruption, qui pouront toujours se dérouler en dehors du Parlement européen.

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Et le Parlement n’a peut-être pas non plus la possibilité, structurellement, d’aller aussi loin que le voudraient certains. Déjà parce que « les États membres ont 27 traditions parlementaires différentes » et qu’il serait, par exemple, difficile d’interdire à un eurodéputé de cumuler un emploi avec son mandat « si un député de son propre pays peut le faire ».

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