Pascal Lamy : « Il faut conclure l'accord Mercosur pour des raisons géoéconomiques et géopolitiques »
Depuis la COP28 de Dubaï, l'ancien commissaire européen au Commerce et directeur général de l'OMC plaide pour l'accord entre l'UE et le bloc d'Amérique du Sud, qui peine à aboutir. Selon lui, le texte ancre la légitimité du Nord à poser des conditionnalités vertes dans un traité commercial.
Par Karl De Meyer
Comment lisez-vous le blocage de l'accord commercial UE-Mercosur intervenu au cours du week-end dernier ?
J'ai l'impression d'un grand jeu de mistigri. Le président brésilien Lula ne sait pas bien s'il est le leader de l'environnement des pays du Sud, auquel cas il lui faudrait accepter de prendre des engagements verts, ou s'il est du côté de ceux pour qui le Nord ne doit pas trop pressurer le Sud.
En Argentine, le président sortant dit que c'est au nouveau de signer , et le nouveau réplique que c'est le sortant qui l'a négocié. Le Paraguay, qui va prendre en janvier la présidence du Mercosur, ne fait pas du sujet une priorité. Emmanuel Macron trouve le texte insuffisant. Cerise sur le gâteau : en Belgique, les Flamands sont pour mais les Wallons sont contre.
Sur le fond, est-ce un bon accord ?
L'UE et le Mercosur devraient le signer pour des raisons géopolitiques et géoéconomiques . Pour l'UE, il s'agit du premier et seul accord en cours avec un groupe important de pays du Sud qui comprend des engagements environnementaux. Ces pays du Sud reconnaissent donc que le Nord a une légitimité à mettre des conditionnalités vertes dans un accord commercial.
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Du côté du Mercosur, ces pays ont intérêt à se présenter en leaders du Sud et à montrer qu'ils n'ont accepté que ce qu'ils ont bien voulu intégrer dans le texte. Et donc qu'ils ont surmonté ce qui est souvent présenté contre l'impérialisme réglementaire du Nord.
L'accord dans sa forme actuelle serait-il ratifiable en Europe, compte tenu de la sensibilité de l'opinion au libre-échange dans plusieurs Etats membres ?
L'équilibre du texte est bon. Ce que l'Europe gagne sur les services, les biens industriels et l'ouverture des marchés publics vaut bien quelques tonnes de boeuf. Je vois bien, en France , se dessiner un front entre certains Verts et certains milieux agricoles. Je respecte leurs considérations, mais la politique consiste à faire des choix. Or là, on doit choisir entre une stratégie de long terme et des réflexes de court terme.
Ce que l'Europe gagne sur les services, les biens industriels et l'ouverture des marchés publics vaut bien quelques tonnes de boeuf
Pourquoi la Commission européenne a-t-elle signé si peu d'accords commerciaux depuis son entrée en fonction en 2019 ?
C'est l'effet logique du Pacte vert européen. On a signé ou renouvelé des accords avec des pays comme la Nouvelle-Zélande et le Chili qui ont le même point de vue idéologique que nous sur l'importance de l'environnement. L'UE, avec son marché intérieur, crée un effet de levier majeur en mettant au moins une partie des engagements unilatéraux des Etats, dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat de 2015, dans des accords commerciaux. Elle les rend ainsi beaucoup plus contraignants. En ce sens, c'est une garantie de plus à la mise en oeuvre de l'accord de Paris.
Karl De Meyer (Bureau de Bruxelles)