« Oui, définitivement oui, c’est un accord historique pour l’Union européenne. Même si, à la fin de quatre jours de négociations, des compromis ont été nécessaires, ils sont finalement minimes par rapport au grand changement que ces négociations apportent.

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Ce plan de relance est révolutionnaire, aussi bien sur son contenu que sur sa méthode d’application. Tout d’abord, sa dimension budgétaire n’a rien à voir avec tout ce qui a été proposé auparavant. Les propositions faites dans le passé étaient, en comparaison, beaucoup plus timides. En termes quantitatifs donc, l’Europe se montre à la hauteur du défi qui s’annonce pour les pays membres faisant face à une récession économique.

Sur un plan qualitatif ensuite, le contenu de cet accord, à travers un mécanisme d’union fiscale, constitue une immense avancée pour l’Europe. Il n’est plus question de transferts budgétaires mais d’une mutualisation de la dette s’étalant sur plusieurs années, donc renforçant les liens entre les États membres. Personne ne pourra plus dire "on donne de l’argent aux autres", nous sommes désormais entrés dans une logique d’"ensemble, on fait", et ça, c’est une avancée très importante, c’est un pas de plus en direction d’une union plus intégrée et plus forte.

C’est l’Europe de la solidarité qui naît aujourd’hui !

Je constate aussi que la répartition de ce fonds n’est pas établie en fonction d’une hiérarchie des pouvoirs des États membres, mais plutôt sur la base de leurs besoins. Ainsi, plus un pays est touché, plus il pourra recevoir d’argent. C’est l’Europe de la solidarité qui naît aujourd’hui ! Une Europe qui n’avait pu émerger avant, tant elle butait sur le véto britannique.

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Au demeurant, ces négociations nous ont démontré un autre grand changement : contrairement à ce qui se passait dans le passé, aujourd’hui le droit de veto n’existe plus. Les Néerlandais ont bien essayé de faire obstacle à l’accord, mais ils ont échoué. Quand des grands pays européens sont d’accord et ont une volonté, ils avancent, nous le constatons.

Dans cet accord, le seul aspect que je considère, potentiellement, comme un point faible, c’est qu’il laisse trop de pouvoir au Conseil européen par rapport à la Commission. Je vais suivre de près comment cette relation entre les deux institutions évolue mais il me paraît essentiel, désormais, que le pouvoir d’interdiction des États membres diminue.

Enfin, il faut rappeler les forts enjeux qui existaient autour de ce plan de relance. Comme l’a dit Jacques Delors le 28 mars dernier, l’Europe court un "danger mortel" lié à la montée des populismes. Ces négociations auraient pu se révéler désastreuses. Au final, dans cette crise, l’Union européenne avance vers plus de solidarité. »

(1) Enrico Letta, est également président de l’Institut Jacques Delors et doyen de l’École des affaires internationales de Sciences-Po Paris (PSIA).