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Décryptage

Politique étrangère : un leadership européen retrouvé, une stratégie mondiale infructueuse

L'AUDIT DE LA FRANCE. Impliquée, pro-active, audacieuse, arrogante, les adjectifs ne manquent pas pour qualifier la politique extérieure du président sortant. Si l'Europe, sa terre de prédilection, s'est laissée gagner par son influence, sa gestion des affaires du monde se révèle plus inégale.

Emmanuel Macron a réussi à imposer avec la chancelière Angela Merkel le principe d'une émission de dettes communes à l'échelon européen.
Emmanuel Macron a réussi à imposer avec la chancelière Angela Merkel le principe d'une émission de dettes communes à l'échelon européen. (JC Tardivon/SIPA)

Par Catherine Chatignoux

Publié le 17 mars 2022 à 11:47Mis à jour le 18 mars 2022 à 11:20

« Merci de m'avoir tant appris », confiait en ce 3 novembre 2021 Emmanuel Macron à la chancelière Merkel en la recevant à Beaune pour ses adieux politiques. « Merci d'avoir accepté ce jeune président impétueux qui voulait tout bousculer […] merci de cette patience et de cette indulgence à mon égard. » Rare moment d'humilité pour un président qui a plutôt renvoyé une image d'arrogance durant son quinquennat. Mais qui illustre bien l'intensité que ce président aura mise depuis le premier jour dans sa relation avec l'Allemagne avec la claire intention de la bousculer.

« Sur l'Europe, il y a un activisme nouveau. Jamais avant lui on avait autant insisté sur l'Europe puissance », estime Frédéric Encel tout récemment couronné par le prix du livre géopolitique 2022 pour son ouvrage « Les Voies de la puissance ». C'est un Européen plus engagé que ses prédécesseurs et qui n'a pas l'Europe honteuse. Avec ses premiers discours enthousiastes à la Sorbonne en septembre 2017 puis à Athènes en décembre , il a repris « une idée française qu'il a portée sous un jour nouveau. Avec un narratif, une ossature intellectuelle, il a renouvelé le cadre conceptuel du projet européen », analyse Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques-Delors.

Plans sur la comète

Les premiers temps, son appel à une « refondation de l'Europe », une Europe qui saurait se doter d'une autonomie stratégique pour se départir du duel sino-américain ne rencontre pas un franc succès. Son premier partenaire, l'Allemagne, n'a nul besoin de cette ambition pour tirer profit du projet européen. « Emmanuel Macron a tiré de grands plans sur la comète qui ne rencontraient pas beaucoup d'échos en Europe, mais le contexte géopolitique a servi sa vision d'une Europe puissance », estime Yves Bertoncini, président du Mouvement européen France.

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En révélant les lacunes sanitaires, industrielles et sécuritaires de l'Europe, la pandémie de Covid-19 et plus encore l'agression de l'Ukraine par la Russie ont ouvert les yeux des Européens et fait apparaître la pertinence de ses propositions en faveur d'une plus grande indépendance stratégique et d'une véritable puissance économique du continent. Emmanuel Macron s'est ainsi peu à peu emparé du leadership européen que l'Allemagne d'Angela Merkel, quoique première puissance économique de l'Union, avait délaissé par manque d'envie.

Un registre trop naïf

« Dans le discours, explique Thomas Gomart, directeur de l'Ifri, Emmanuel Macron affiche une forme de clairvoyance sur l'état du monde qui explique qu'il ait pris très au sérieux les questions militaires alors que la France se désarmait. Il a essayé de faire comprendre à ses voisins européens qu'ils évoluaient dans un registre trop naïf. » Il a fallu la guerre en Ukraine pour les dessiller.

Son coup de maître, c'est l'adoption par les Vingt-Sept en juillet 2020 d'un plan de relance européen de 750 milliards d'euros, inédit par son ampleur et les modalités de son financement, un endettement commun des pays européens.

Montrer les dents

Il a fallu des mois à la France pour convaincre Angela Merkel et son ministre des Finances, Olaf Scholz, du bien-fondé de ce plan destiné à faire repartir l'Europe du bon pied après le choc de la pandémie. Mais peu à peu, la petite musique de la souveraineté européenne est devenue plus familière aux oreilles des Allemands et les ambitions françaises ont été partagées à Berlin comme quand il s'est agi de montrer les dents - sur le plan commercial face à la Chine.

L'influence de la France à Bruxelles, négligée jusque-là, s'en est trouvée revigorée. D'autant que le président français a oeuvré habilement à l'installation de l'Allemande Ursula von der Leyen à la tête de la Commission et du Belge Charles Michel au Conseil européen, deux postes clés de l'Union européenne. Deux personnalités dont il a fait des proches et qui sont à son écoute.

Il a eu moins de chances - ou de savoir-faire - dans ses relations avec les « autoritaires » de la planète même s'il a mis un point d'honneur à maintenir le dialogue avec tous ses interlocuteurs. On se souvient de sa première poignée de main, virile, avec Donald Trump, peu après son élection, et, plus récemment, de son tête-à-tête surréaliste avec Poutine au Kremlin de part et d'autre de cette interminable table en marbre. Le dialogue n'a pas porté ses fruits.

Contrat du siècle

Il a eu beau inviter Poutine à Versailles en mai 2017 puis à Brégançon à l'été 2019 pour tenter de le modérer et Trump pour le défilé du 14 juillet, l'ambiance a rapidement tourné à l'aigre. Donald Trump n'a pas renoncé à sa décision de sortir des Accords de Paris sur le climat avant de dégainer ce qui se révélera son arme favorite, les sanctions douanières dont la France a été l'une des cibles favorites.

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La relation avec le cousin américain ne s'est pas améliorée autant que prévu après la victoire de Joe Biden. La rationalité qui a fait son retour à la Maison-Blanche avec le nouveau président a valu à Paris un revers diplomatique sans précédent avec l 'annulation du « contrat du siècle » de sous-marins à 50 milliards d'euros avec l'Australie qui a préféré renouer, pour assurer sa sécurité, avec les Etats-Unis. A peine la plaie cicatrisée, Emmanuel Macron s'est tourné vers son allié indien pour renforcer l'axe Paris-New Delhi et sauver ce partenariat stratégique indo-Pacifique, grand dessein du quinquennat. Le rapprochement a toutefois ses limites puisque l'Inde a fait partie de la minorité de pays qui - avec un autre « allié » de la France au Moyen-Orient, les Emirats arabes unis - se sont abstenus de dénoncer l'agression de la Russie en Ukraine aux Nations unies, le 26 février.

Volonté disruptive

Dans l'ensemble, « Emmanuel Macron a eu une approche classique de la politique étrangère française à laquelle s'est ajoutée une volonté disruptive visant à restaurer une diplomatie à l'influence déclinante », analyse Thomas Gomart. Ses initiatives personnelles n'ont pas toujours été bien inspirées. Au Liban, sa prétention à vouloir régler à distance une crise qui le dépassait complètement s'est soldée par un fiasco. « L'échec est apparu d'autant plus patent que son implication était forte », souligne Frédéric Encel. Le jeune président a fait preuve d'« un volontarisme qui s'est souvent manifesté de façon solitaire, au point d'irriter ses partenaires », constate aussi Thomas Gomart.

Un président « engagé et pro-actif » pour les uns, trop « audacieux » et « arrogant » pour les autres, mais qui a sans doute redonné à la France un peu d'audience et d'influence dans le monde.

Catherine Chatignoux

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