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Pologne: «Respectons les valeurs propres à chaque pays membre de l'Union européenne !»

«La primauté du droit européen s'articule avec l'exercice de la subsidiarité, qui peut aussi à l'inverse justifier l'action européenne.»
«La primauté du droit européen s'articule avec l'exercice de la subsidiarité, qui peut aussi à l'inverse justifier l'action européenne.» Adobe Stock

FIGAROVOX/TRIBUNE - Le juge constitutionnel polonais s'est prononcé contre la suprématie absolue du droit européen. Le directeur de l'Institut Jacques Delors, Sébastien Maillard, défend la primauté du droit européen avec le principe de subsidiarité, qui marque une préférence de l'action à l'échelon national, en dehors des compétences exclusives de l'UE.

Sébastien Maillard est directeur de l'Institut Jacques Delors.


La Pologne s'est mise dans une position juridique intenable dans l'Union européenne. Le jugement de son tribunal constitutionnel s'attaquant à la primauté du droit européen, principe consacré par la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE, a jeté un trouble envers l'intention de ce pays de se maintenir dans l'Union. L'intégration des États membres dans un ordre légal propre est inhérente à leur adhésion. Dynamiter le droit européen, c'est dynamiter l'Union. Les constitutions nationales restent au sommet de leur ordre juridique interne, pour la plupart, comme en France. Mais, en remettant soudainement et directement en cause des passages aussi fondamentaux des traités européens que le premier article du traité de l'UE et son article 19 sur la Cour européenne de justice, le jugement polonais s'en prend à une hiérarchie des normes entre droit européen et lois nationales, déjà parfois chahutée par d'autres cours constitutionnelles, en particulier celle de Karlsruhe en Allemagne. Répondant de surcroît à une demande du gouvernement Morawiecki, qui instrumentalise ainsi son tribunal, il ressemble à une forme de Polexit juridique qui est politiquement inconcevable. Europhiles, les Polonais dans leur grande majorité n'ont nulle envie de quitter l'UE. De leur côté, les Vingt-Six autres n'ont à l'évidence aucun intérêt à s'amputer de nouveau d'un membre majeur de leur Union.

Bien qu'il ne soit pas encore entré en vigueur, ce jugement marque le point culminant d'une détérioration de la relation entre Varsovie et Bruxelles, qui a multiplié ces dernières années les recommandations et poursuites. Jusqu'à actuellement suspendre l'approbation du plan de relance polonais et le transfert de fonds européen, dont on voit mal comment le pays pourrait à terme se passer. Le mécanisme conditionnant les versements au respect de l'État de droit est un nouvel outil de pression, qui frappera au portefeuille.

Le respect de l'État de droit, c'est celui des principes constitutifs d'une démocratie libérale que sont l'indépendance de la justice, les libertés d'expression et de la presse, la liberté académique et le respect de l'opposition.

Sébastien Maillard

Mais il ne faut pas attendre de miracles politiques de ces procédures, vécues comme l'obtention d'aveux par asphyxie financière. L'âpre bataille juridique cache une guerre culturelle, dans laquelle le PiS polonais et Viktor Orban en Hongrie veulent entraîner les Européens. Pour la prévenir, les institutions de l'Union doivent aussi clarifier leurs intentions et hiérarchiser leurs priorités.

Tout d'abord, en distinguant l'État de droit des «valeurs». Le respect de l'État de droit, c'est celui des principes constitutifs d'une démocratie libérale que sont l'indépendance de la justice, les libertés d'expression et de la presse, la liberté académique et le respect de l'opposition. La Charte européenne des droits fondamentaux stipule ceux que tout citoyen européen, où qu'il soit dans l'Union, doit se voir garanti, à l'instar de l'égalité entre femmes et hommes. Sur tous ces principes, l'Union doit être intraitable. Ces exigences font partie du contrat européen conclu par tout membre rejoignant l'UE. Elles forment le noyau central des principes communs à toute l'Union.

Introduit dans le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité marque une préférence par défaut d'agir à l'échelon national tant que l'échelon européen ne peut pas mieux réaliser cette action, hormis les compétences exclusives dévolues à l'Union.

Sébastien Maillard

Au-delà, les valeurs inhérentes aux sujets sociétaux, touchant parfois aux choix individuels les plus intimes, varient dans l'espace européen, d'un État à l'autre, et dans le temps, d'une génération à l'autre. «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», observe Blaise Pascal. En écho à la devise européenne, l'unité de notre Charte ne fait pas obstacle à une diversité de préférences collectives, qui peuvent être ici progressives, là conservatrices, et ne sont par essence jamais figées. Leur évolution se situe d'abord dans un champ politique national et ne saurait s'imposer juridiquement de l'extérieur, au risque d'être contreproductive. Comme le souligne le président de la Cour de justice de l'UE, Koen Lenaerts : «Le pluralisme signifie que chaque société nationale reste libre d'évoluer différemment selon sa propre échelle de valeurs». Sa Cour, précise-t-il, «ne cherche pas une définition générale qui reviendrait à imposer une notion uniforme de la moralité publique aux États membres, car cela serait contraire au pluralisme sur lequel est fondée l'Union».

L'outil possible de clarification est le principe de subsidiarité, cher à Jacques Delors. Introduit dans le traité de Maastricht, il marque une préférence par défaut d'agir à l'échelon national tant que l'échelon européen ne peut pas mieux réaliser cette action, hormis les compétences exclusives dévolues à l'Union. L'ambiguïté à appliquer ce principe ne doit pas faire obstacle à l'attachement politique que lui portent des États membres aussi différents que les Pays-Bas et la Pologne. La primauté du droit européen s'articule avec l'exercice de la subsidiarité, qui peut aussi à l'inverse justifier l'action européenne. Le prochain Conseil européen des 21 et 22 octobre devrait en réaffirmer l'importance, tout en soulignant celle incontournable de l'État de droit, du plein respect du droit européen et de l'autorité de la Cour européenne de justice sans laquelle l'Union s'ensauvagerait.

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26 commentaires
  • liseur

    le

    Il ne faut pas se raconter d'histoires. En conditionnant l'octroi de fonds européens à l'obéissance aveugle de la Pologne, l'UE a montré son vrai visage. Il en restera des traces. On nous raconte que le peuple polonais ne serait pas sur la même ligne que ses dirigeants. On verra ça lorsque l'UE imposera à la Pologne d'accepter sur son sol les millions d'immigrés africains qui se préparent à traverser la méditerranée.

  • Goldorak2

    le

    Mort à l'UE. Ce sont les élus du peuple qui doivent dire le droit. Pas les fonctionnaires européens indépendants.

  • EugénieEtcheverry

    le

    Lire sur Figaro Vox Par Max-Erwann Gastineau Publié le 12/10/2021 à 12:09. "Le droit européen doit-il prévaloir sur la souveraineté et l'identité de ses membres "

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