L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, que la Commission européenne veut adopter avant la fin de l’année, rencontre une forte opposition des mondes agricole et politique en France. À l’heure où les États-Unis et la Chine remettent le protectionnisme au goût du jour, ce traité est-il anachronique ? Pas selon Elvire Fabry, spécialiste de la géopolitique du commerce à l’institut Jacques-Delors, qui y voit une nécessité pour assurer l’avenir du commerce européen.

Propos recueillis par Apolline Guillot.

 

L’accord de libre-échange avec le Mercosur (qui regroupe l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay), en négociation depuis plus de vingt ans, est-il un héritage du « monde d’avant » ?

Elvire Fabry : Au contraire ! L’accord est plus actuel que jamais. L’Europe, prise en étau entre la Chine et les États-Unis, a besoin de nouveaux débouchés. Nous sommes à un tournant : la mondialisation se réorganise sous l’impulsion de la Chine et des États-Unis, la confiance dans le commerce international s’érode faute d’un cadre et de règles stables permettant d’assurer un commerce équitable.

Côté Chine, le capitalisme d’État bâti par Xi Jinping depuis 2012 crée des distorsions de concurrence considérables au sein de son marché intérieur, mais également sur le marché européen et dans les pays tiers. En effet, d’une part les entreprises chinoises sont subventionnées, mais de l’autre les entreprises étrangères sont pénalisées et soumises à des réglementations spécifiques. Par exemple, une entreprise voulant s'installer en Chine peut être contrainte à s’associer à une entreprise chinoise au sein d’une joint venture ou à faire des transferts de technologies. De plus, le pays est devenu très offensif sur le plan des exportations car son marché intérieur n’absorbe plus sa capacité de production – en particulier dans le secteur de véhicules électriques ou des technologies vertes.

Côté États-Unis, le repli protectionniste se renforce. Donald Trump, obsédé par le déficit commercial américain, avait amorcé une politique tarifaire très agressive vis-à-vis de la Chine pour qu’elle s’engage à importer plus de biens américains. Joe Biden, lui, a maintenu une politique protectionniste, sans engager les États-Unis dans de nouvelles négociations commerciales et en ciblant les secteurs technologiques chinois. Il a interdit les exportations de semi-conducteurs vers la Chine, l’échange des savoir-faire, puis les échanges ont été restreints dans le secteur des technologies vertes, de l’IA… Tout est bon pour freiner la capacité d’innovation chinoise.

Ce faisant, les États-Unis sont de plus en plus dans ce qu’on appelle le « decoupling », ou « découplage ». Sans toutefois l’assumer pleinement : le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis de Biden, Jake Sullivan, disait que les États-Unis essayaient simplement d’ériger des barrières de protection sur des périmètres restreints, bien précis – « small yard with high fences ». C’est la stratégie du « de-risking » (« atténuation des risques »), c’est-à-dire la réduction des dépendances excessives pouvant faire l’objet de coercition. C’est ce que fait l’Europe, par exemple : elle commerce avec la Chine, mais elle se cherche des plans B. Sauf que si Trump met en application ses promesses de campagne (+60 % de droits de douane sur toutes les importations chinoises), ce sera plutôt un big yard with high fe…

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