Treize ans que cela n’était pas arrivé. La France va assurer à partir du 1er janvier et jusqu’au 30 juin 2022 la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne (UE). Emmanuel Macron aurait pu choisir de passer son tour, pour ne pas télescoper cet agenda avec celui de l’élection présidentielle. Mais celui qui avait choisi en 2017 de célébrer sa victoire au son de l’hymne européen a préféré y voir une coïncidence propice.

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Aux premiers pas de la CEE, lorsqu’elle ne comptait que six adhérents, la France assumait la fonction tous les trois ans. Aujourd’hui, elle doit laisser les 26 autres capitales prendre leur tour. Paris, qui aura la main sur l’agenda du Conseil de l’UE au premier semestre 2022, devra attendre 2035 avant que cette charge ne lui revienne à nouveau. Et pour obtenir des avancées, Emmanuel Macron ne dispose en réalité que d’un petit trimestre, avant que l’élection présidentielle ne l’oblige à la réserve.

Des ressources enviées

Thierry Chopin, conseiller spécial à l’Institut Jacques-Delors, a présidé un comité de réflexion indépendant sur la façon dont la France devrait appréhender l’exercice. Paris n’aura selon lui aucun avantage institutionnel par rapport à un autre État membre. Mais il insiste sur les spécificités de notre pays. « Du fait de son poids démographique et politique, de son statut de pays fondateur, de son administration puissante, Paris a une bonne capacité à pousser des priorités législatives et techniques », souligne-t-il.

La France, qui en est à sa treizième présidence, a indéniablement plus d’expérience que la Roumanie ou la Croatie, qui ont connu leur première expérience en 2019 et 2020. Et la France dispose de ressources enviées, souligne Olivier Costa, spécialiste des institutions européennes au Centre Émile-Durkheim.

« Lorsque le Luxembourg prend la fonction, même en tant que pays fondateur, il doit s’appuyer sur les effectifs du secrétariat général du Conseil de l’UE, il y a nécessairement quelque chose qui lui échappe. La France n’en a pas besoin, ce qui fait une grosse différence dans la prise en main de l’agenda », explique-t-il.

Les voyants sont au vert

La force d’une présidence dépend aussi de la configuration politique du moment. « Elle reste efficace à condition que personne ne vienne lui torpiller le travail », résume Olivier Costa. Sur ce plan, les voyants sont plutôt au vert pour Emmanuel Macron. Son principal interlocuteur, le président du Conseil européen Charles Michel (un belge francophone) est de la même famille politique libérale.

Ce dernier, tout comme la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, doit en partie son poste au président de la République, qui par ailleurs entretient de bonnes relations avec la présidente de la BCE, Christine Lagarde.

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Paris dispose enfin d’un solide réseau au Parlement européen. Le groupe Renew Europe s’y est imposé comme force pivot entre le Parti populaire européen (droite) et S & D (sociaux-démocrates). Un macroniste du premier cercle, Stéphane Séjourné, vient d’en prendre la tête. Tous les pions sont donc en place.

Les Britanniques, sortis du jeu européen, ne peuvent plus jouer les empêcheurs de tourner en rond. L’Allemagne du chancelier social-démocrate Olaf Scholz attend beaucoup de la conférence sur l’avenir de l’Europe, qui doit rendre ses conclusions en mai. Et Paris vient de se rapprocher de Rome, avec le traité du Quirinal.

Présidence française de l’UE : comment Paris peut relancer son influence en Europe

Une perte d’influence progressive

Voilà de quoi compenser une perte d’influence. Au fil des élargissements, le déclin de la langue française s’est en effet confirmé. En 1999, 34 % des documents de la Commission étaient initialement en français. Vingt ans plus tard, cette proportion a chuté à 3,7 %.

« Les Français ont tendance à maximiser leur importance », constate Emmanuel Rivière, président du centre Kantar sur le futur de l’Europe. Pourtant, une enquête pour le German Marshall Fund, dévoilée cet été, invite à la modestie (1). Nos partenaires donnent de moins en moins de crédit à la voix de la France. Seule une étroite minorité (7 %) considère dans les pays sondés que la France est le pays le plus influent d’Europe. Un an auparavant, c’était dix points de plus. À présent, c’est l’Allemagne (60 %) qui mène la danse.

Depuis 2008, la présidence tournante de l’UE a également perdu de sa substance. Il y a treize ans, Nicolas Sarkozy était le dernier Français à animer les sommets européens en qualité de président du Conseil européen. Après lui, le traité de Lisbonne a instauré une fonction de président du Conseil à part entière, occupée aujourd’hui par Charles Michel.

« À l’époque, Nicolas Sarkozy avait assuré une médiation importante pour un cessez-le-feu en Géorgie. C’est une chose qu’Emmanuel Macron ne pourrait plus faire aujourd’hui », commente Christian Lequesne, professeur à Sciences Po.

Position surplombante

La volonté de la France d’exercer une forme de leadership reste néanmoins attendue en Europe. « Son aptitude à prendre des initiatives est reconnue », confirme Thierry Chopin. « Mais elle peut aussi faire l’objet de critiques, voire de suspicion, et provoquer des blocages lorsque sa position un peu trop surplombante génère une forme de ressentiment », prévient-il.

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Le ton jupitérien d’Emmanuel Macron et son goût pour les grands discours inspirés n’aident pas. Dans la pratique, pourtant, le président français a été soucieux d’instaurer un dialogue avec chacun. Lundi 13 décembre, le locataire de l’Élysée a honoré sa promesse de visiter tous les pays membres de l’UE durant son mandat.

Il s’est rendu à Budapest, qui était la dernière capitale manquante, rencontrer le premier ministre hongrois Viktor Orban, chef de file des « nationalistes » eurosceptiques, meilleur ennemi sur la scène politique européenne et lui aussi candidat à sa réélection en avril.

« La logique de “confessionnal” en bilatéral avec les autres pays est primordiale, pour inspirer confiance. Lors de la présidence française de 2000, sous le tandem Chirac-Jospin, Paris s’était vu reprocher de ne traiter qu’avec trois ou quatre grandes capitales », rappelle Olivier Costa.

« Faire moins de Victor Hugo, plus de Robert Schuman »

Maintenir le lien ne suffit pas. Encore faut-il être précis dans les échanges. Or, la France aurait tendance à défendre de grands principes sans en livrer les implications, estime Thierry Chopin. « C’est ce que nous avons résumé dans notre rapport par la formule “faire moins de Victor Hugo, plus de Robert Schuman” ».

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En d’autres termes, pour le collectif de chercheurs, nos partenaires attendent de la France qu’elle mette son souffle lyrique entre parenthèses, et qu’elle fasse la démonstration qu’elle peut contribuer au projet européen par des initiatives concrètes.

Thierry Chopin prend pour exemple le concept d’« autonomie stratégique » : « Il y a un besoin de lever l’ambiguïté et de montrer que le projet visant à rompre les dépendances européennes extérieures vis-à-vis de certaines puissances (États-Unis, Chine) ne doit pas conduire à opérer un nouveau transfert de dépendance, interne cette fois, et notamment vis-à-vis de la France. »

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Un calendrier perturbé par les élections en France

♦ 6-7 janvier. Emmanuel Macron reçoit à Paris la Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen et qui compte au total 27 commissaires.

♦ 19 janvier. Discours du président français devant le Parlement européen à Strasbourg.

♦ 11 février. Sommet international sur les océans à Brest.

♦ 17-18 février. Somment UE-Union africaine à Bruxelles.

♦ 24-25 mars. Sommet des chefs d’État et de gouvernement, consacré au « nouveau modèle de croissance et d’investissement » européen.

♦ 10 et 24 avril. Élection présidentielle en France.

♦ Mai. Cérémonie de clôture de la conférence sur l’avenir de l’Europe (date encore non précisée).

♦ 12 et 19 juin. Élections législatives en France.

♦ 23-24 juin. Sommet des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles.

(1) Enquête réalisée sur 11 000 personnes dans 11 pays : France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Pologne, Espagne, Suède, Royaume-Uni, Turquie, Canada et États-Unis.