Présidence française de l’Union européenne : plus de théâtre politique que d’impact réel pour Paris, Emmanuel Macron ou Bruxelles<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen lors d'une réunion au Parlement européen. La présidence française de l’Union européenne va débuter le 1er janvier 2022 pour six mois
Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen lors d'une réunion au Parlement européen. La présidence française de l’Union européenne va débuter le 1er janvier 2022 pour six mois
©OLIVIER HOSLET / POOL / AFP

Argument de campagne présidentielle ?

La présidence française de l’Union européenne va débuter le 1er janvier 2022 pour six mois, et s’étalera donc pendant l'élection présidentielle. Emmanuel Macon recevra les commissaires européens la première semaine de janvier. Le chef de l’Etat a organisé une réunion ce jeudi à l’Elysée pour préparer cette séquence stratégique. Emmanuel Macron va-t-il pouvoir capitaliser sur cette présidence française sur la scène européenne ?

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

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Sébastien Maillard

Sébastien Maillard

Sébastien Maillard, Directeur de l'Institut Jacques Delors, a été journaliste à La Croix.

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Atlantico : Les premières informations concernant le planning et les sujets abordés lors de la présidence française du conseil de l’Union européenne commencent à circuler. Que nous apprennent ces éléments de l’orientation qui va être donnée par la France à cette présidence tournante ?

Sébastien Cochard : Plutôt que de me lancer dans un inventaire à la Prévert de listes de sujets micro-technocratiques que les ministères lancent dans la presse ces dernières semaines, je voudrais rappeler ici que, en réalité, une présidence tournante de l'UE n'a pas un grand impact et donc n'a pas une grande importance sur le fond. Les processus législatifs de l'Union sont lents et entièrement contrôlés dans leur contenu par la Commission européenne, qui dispose du monopole de l'initiative législative. En effet, seule la Commission peut faire une proposition de loi européenne, qui n'est ensuite modifiée en aval qu'à la marge par le Conseil (que la France va donc présider au premier semestre 2022) et le Parlement européen. Si les modifications du Conseil et du Parlement dévient trop par rapport aux intentions de la Commission (ce qui est très rare) et que celle-ci ne peut les contre-amender lors de la négociation en "trilogue", la Commission a toujours la possibilité de retirer son texte. Toute législation européenne ne peut ensuite, une fois adoptée, qu'être modifiée à l'initiative de la Commission européenne -et tout domaine qu'elle touche est à jamais retiré du champ sur lequel un Etat membre peut légiférer.

Dans l'UE, le pouvoir effectif est ainsi presque entièrement dans les mains de la Commission européenne -le Conseil ne compte qu'à la marge, le Parlement encore moins. La présidence tournante du Conseil (dénommée pompeusement "présidence de l'Union Européenne") n'a donc au total qu'un rôle de "maître d'hôtel" qui au mieux accélère plus ou moins la célérité de la livraison de certains plats préparés depuis quelques années (notamment en établissant l'ordre du jour des réunions des différentes formations du Conseil -à l'exception des Sommets eux-mêmes, qui relève des responsabilités du président du Conseil européen Charles Michel) et le cas échéant rajoute un tout petit peu de sel ou de poivre au passage, grâce à sa fonction de représentation du Conseil dans les trilogues, et ce malgré la théorique obligation de neutralité que doit montrer le pays qui occupe la présidence.

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Sébastien Maillard : A ce stade, il y a surtout des dates de réunions interministérielles. Celles-ci sont tout à fait normales lors d’une présidence du conseil de l’Union européenne. En revanche, ce qui sort plus de l’ordinaire c’est le sommet défense, prévu à Toulouse, qui était une idée de la Commission européenne. Il avait été annoncé par Ursula von der Leyen durant le discours sur l’Etat de l’Union.  Autre élément, le sommet Afrique-UE. Ce n’est pas une première mais ce n’est pas innocent que cela tombe pendant la présidence française qui est très engagée sur le continent et veut attirer l’attention. L’un des mots d’ordre sera la notion de Puissance. Il y a cette idée que l’Union européenne doit prendre son destin en main, parler d’une seule voix et avoir une stratégie commune. On sait qu’Emmanuel Macron aura à cœur de défendre ce leadership européen.

La France veut également avoir des résultats concrets sur Schengen. Elle ne veut pas la fin de Schengen mais que le système refonctionne à nouveau avec une libre circulation à l’intérieur et des frontières extérieures mieux contrôlées. C’est quelque chose qui se trouve en tête de l’agenda pour la présidence française du conseil de l’Union européenne. Il faut resituer cela dans une réforme plus large : le pacte d’asile et migration qu’avait proposé la Commission et qui est au point mort. 

Un autre point intéressant du calendrier est que l’ensemble des réunions doivent avoir lieu au premier trimestre, avant le 15 mars. C’est la particularité de cette présidence puisqu’après cela les ministres devront respecter la période de réserve électorale.

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Faut-il voir dans les sujets mis-en-avant la recherche d’un intérêt européen ? Français ? Ou de l’intérêt personnel d’Emmanuel Macron ?

Sébastien Cochard :  Parmi les sujets qui pourraient occuper le devant de la scène, l'on peut sans doute souligner la finalisation du "Digital Services Act" et les (lents) travaux en co-décision des propositions législatives de la Commission européenne du "Fit for 55". En ce qui concerne la législation européenne sur les services numériques, il semblerait que la France souhaite pousser activement pour que la Commission européenne se retrouve chargée de faire la police des réseaux sociaux afin d'éradiquer le "discours de haine" (concept de novlangue orwellienne qui désigne pudiquement la censure à l'encontre des idées "populistes"). Le rationnel que la presse internationale met en avant est intéressant : il s'agirait ainsi de dessaisir les autorités nationales des Etats membres "illibéraux", comme la Pologne et la Hongrie, de leurs éventuelles responsabilités dans ce domaine. Aucun intérêt français ici, juste une pierre de plus à l'édifice globaliste de contrôle des esprits.

Sur la réduction de 55% (par rapport à 1990) des émissions à horizon 2030, au sein du fatras de mesures législatives proposées par la Commission européenne et qui répondent, le doigt sur la couture du pantalon, à la pression néo-colonialiste globale sous le prétexte d'une urgence climatique, l'on peut en revanche compter (à moins d'un n-ième revirement dans ce domaine du Président) sur la France pour légitimement pousser la reconnaissance de l'utilité du développement de l'énergie nucléaire, sans garantie de succès du fait de l'opposition allemande. La France recevra au moins le soutien sur ce point de la présidence suivante de l'UE, qui sera assurée par la République tchèque. Mais, encore une fois, l'influence du pays qui détient la présidence tournante sur le contenu du "train législatif" sur les rails de son cheminement pluri-annuel entre les institutions de l'UE est de toute manière minimal.

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Sébastien Maillard : Rappelons que la date de la présidence française a été déterminée avant l’élection d’Emmanuel Macron qui n’a fait qu’en hériter. Ensuite, les priorités que la France a posées rejoignent ses priorités pour l’Europe. Les deux ne sont pas à opposer. Si la France sort gagnante, l’Europe en sera renforcée et la France également. Enfin, il est évident que la présidence tournante du conseil de l’UE est toujours l’occasion de mettre en avant des sujets qui lui sont chers. La Slovénie l’a fait avec les Balkans. La France va, par ailleurs, avoir aussi à cœur de mettre en avant la place du français dans l’UE, la place de Strasbourg. Ce sont les priorités françaises de toujours.

Le hasard du calendrier veut que cette présidence tournante se déroule parallèlement à l’élection présidentielle française. Dans quelle mesure Emmanuel Macron va-t-il pouvoir capitaliser sur cette position ?

Sébastien Cochard : La "PFUE" (puisqu'il est de bon ton de se gargariser pompeusement d'acronymes), qui n'a pas grande influence sur le fond des sujets, n'est ainsi qu'un spectacle de théâtre, ce qui sied bien à notre Président. Elle lui donnera l'occasion, en pleine période électorale, de s'afficher en tant que "président de l'Europe" et de lancer en grande pompe médiatique de grands chantiers législatifs qui, pour certains, chercheront à plaire démagogiquement à l'électorat national eurosceptique et, pour d'autres, continueront de dorer le blason européiste de M. Macron. On ne change pas un "en même temps" qui gagne.

Sébastien Maillard : Electoralement, la difficulté est que les priorités définies aboutissent à des résultats. Il y a de très lourds dossiers qui vont avancer de quelques crans pendant les six mois mais ils étaient déjà dans les tuyaux avant et ils le seront encore après. Emmanuel Macron a besoin de succès, de textes qui vont à leur terme. Schengen fait partie des priorités sur lesquelles il a besoin de réussite. Je pense qu’il espère aussi arriver à ses fins sur l’encadrement du salaire minimum en Europe. Si ça ne se fait pas là, il faudra un certain temps pour que le sujet revienne sur la table par les présidences à venir des autres pays.

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Comme le rappelle Politico, les règles du CSA permettront à Emmanuel Macron de s’exprimer sur le sujet sans décompte du temps de parole, dans le même temps les ministres devront respecter un droit de réserve à l’approche de l’élection, ce qui a resserré le calendrier. Quel impact cela va-t-il avoir sur le traitement des sujets abordés ?

Sébastien Cochard : Le CSA est très fort pour inventer des règles ad hoc à l'évidence partisanes, comme on l'a vu récemment sur l'éviction de Eric Zemmour de son émission sur CNews, suivie quotidiennement par un million de personnes. En l'espèce, cette décision de ne pas décompter le temps de parole du Président dès lors qu'il s'exprimerait sur un sujet lié à la présidence française de l'UE est proprement ahurissante. ll n'y a bien sûr aucune raison objective d'ériger le sujet européen en impératif téléologique absolu, qui par sa nature incontestable serait ainsi retiré du champ du débat politique. La tenue des élections en avril rend en tout cas tout à fait possible que l'alternance démocratique mette en place, à partir du mois de mai, un gouvernement de convictions politiques radicalement différentes. Cela pourrait rendre l'exercice intéressant, pour les deux derniers mois de la PFUE, en particulier si ce nouvel exécutif cherche à donner la priorité au contrôle des migrations d'origines extra-européennes.  

Sébastien Maillard : Ce n’est pas la première fois qu’il y a des élections pendant une présidence tournante. Par ailleurs, cela ne veut pas dire que tout doit être bouclé en trois mois, cela signifie simplement que les réunions importantes doivent se tenir dans les trois mois, mais la présidence va bien durer six mois. A partir du 15 mars, tout le travail politique aura été fait et il pourra être digéré et repris sur le plan diplomatique et technocratique. Le travail législatif pourra se poursuivre mais sans le portage politique. La représentation française à Bruxelles continuera le travail législatif à la suite de l’impulsion politique donnée.

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