► « Il faut renforcer la cohésion des États membres »

Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques-Delors

La tonalité des propos de Xi Jinping à l’occasion du centenaire du Parti communiste chinois (PCC) a été particulièrement martiale. Pékin est désormais totalement décomplexée dans l’expression de ses ambitions. Face à cela, l’agenda européen est plus clair depuis deux ans, quand la Chine a été caractérisée à la fois comme « partenaire », « concurrent » et « rival systémique ». Cette évolution a été rendue possible par le rapprochement franco-allemand : Berlin, un temps peu sensible à la dimension de rivalité avec la Chine, s’est rapproché des positions françaises qui mettent l’accent sur la notion de concurrence équitable. Des mesures ont déjà été adoptées pour contrer les distorsions commerciales, protéger les savoir-faire technologiques et assurer une concurrence équitable entre entreprises européennes et chinoises. Le renforcement du contrôle des investissements étrangers a déjà été mis en place, tandis que le contrôle des subventions est en cours d’adoption.

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Tout l’enjeu consiste à renforcer la cohésion des États membres par rapport à l’objectif d’« autonomie stratégique ouverte » fixé par la Commission. Une attitude qui vise à garder les marchés ouverts, mais avec davantage d’instruments de correction. La « méthode Barnier » employée pendant le Brexit peut être source d’inspiration : c’est grâce à un travail de consolidation des intérêts des 27 que les négociations ont pu être menées efficacement. Ce portage politique fait encore défaut par rapport à la Chine, avec un poids encore trop important des approches bilatérales. Nous avons besoin de plus de transparence et de concertation entre États membres. De manière concrète, l’UE a publié un rapport sur les dépendances stratégiques, passant en revue 5 000 produits et les situations dans lesquelles la dépendance vis-à-vis de la Chine est problématique. Les États-Unis mènent le même travail de cartographie, avec une approche plus orientée vers la relocalisation de la production, tandis que l’UE table sur la diversification de ses approvisionnements.

Le Conseil du commerce et des technologies, proposé par les Européens en décembre 2020 à l’administration Biden, vise à lancer des chantiers de coopération sur des sujets tels que les normes numériques et la résilience des chaînes de valeur. Cette coopération pourrait aussi permettre, par rapport à l’enjeu central des semi-conducteurs, de réduire la dépendance vis-à-vis de la Chine. L’UE a maintenant une conscience plus aiguë de ses fragilités et des objectifs à atteindre pour discipliner le capitalisme d’État chinois. Elle cherche à concilier le nécessaire accès au marché chinois et le renforcement de sa propre résilience économique. Les alliances européennes nouées pour les batteries et l’hydrogène reflètent déjà l’inflexion de la stratégie du Vieux Continent vers une recherche d’autonomie plus volontariste. La conscience de l’Europe est éveillée, mais sa cohésion reste à renforcer.

► « L’UE doit prouver qu’elle est capable de résister »

François Godement, conseiller pour l’Asie à l’Institut Montaigne

Le discours prononcé jeudi 1er juillet par Xi Jinping est avant tout imprégné de la notion d’un renforcement constant, qui rend inéluctable une supériorité de la Chine dans le rapport de force. Le président chinois entend poursuivre le système communiste, et il a besoin d’une forme de conflictualité extérieure pour entretenir le soutien au parti sur la base du patriotisme. Tout l’endoctrinement est fondé sur la fusion des destins de la nation chinoise et du PCC. En même temps, il semble que Xi Jinping ne soit pas un joueur prêt à prendre de trop grands risques, seulement des risques mesurés, des conflits calculés et des escalades contrôlées.

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La volonté européenne de compartimenter les relations avec la Chine, en distinguant la concurrence stratégique et le conflit systémique de la coopération dans des domaines d’intérêts communs, avait une validité à l’époque de ses prédécesseurs. C’est différent avec Xi Jinping et son État-parti qui établissent un lien entre l’économie et la politique, menacent et punissent les Australiens, et répliquent aux sanctions européennes en frappant les quatre principaux groupes politiques au Parlement européen.

Les Européens ne sont donc pas maîtres du jeu et de l’escalade éventuelle. Xi Jinping perçoit les démocraties occidentales comme fragiles, divisées et divisibles. À condition de rester « implacable », la Chine, selon lui, gagnera cette compétition. Face à ce défi, les Européens sont passés des illusions et de l’impréparation à un réalisme défensif, mais ce n’est pas suffisant. Sur le plan stratégique, l’Europe est encore prisonnière de ses limites et n’a pas la capacité d’inquiéter la Chine, du fait de son interdépendance économique, de l’absence de pilotage économique européen unitaire et de capacités militaires limitées dans l’Indo-Pacifique.

L’Europe doit prouver qu’elle est capable de résister. L’unité d’action entre partenaires européens est essentielle, de même que la coordination avec les États-Unis et le Japon. Par exemple, sur la question de la transparence sur les origines des investissements financiers directs, pour contrer l’acquisition de technologies sensibles ou duales, sur les places offshore ou sur les restrictions aux exportations technologiques dans les domaines critiques. Les Européens ont également des cartes à jouer en Afrique et en Amérique latine sur des sujets comme les remises de dette, ou comme fournisseurs de sécurité.

→ ÉDITO. Totalitaire

Ce tournant est difficile car il n’y a pas plus antithétique au fondement de la construction européenne que le culte des rapports de force. Si l’Union européenne a cru qu’elle allait pouvoir servir de modèle à un monde multilatéral de règles et de négociation, elle n’est pas servie par la Chine.