Que sont les accords de libre-échange au cœur de la crise agricole ?

Les tracteurs des agriculteurs sur l'A4 au niveau de Jossigny, à l'est de Paris, ce lundi. ©AFP - Bertrand GUAY
Les tracteurs des agriculteurs sur l'A4 au niveau de Jossigny, à l'est de Paris, ce lundi. ©AFP - Bertrand GUAY
Les tracteurs des agriculteurs sur l'A4 au niveau de Jossigny, à l'est de Paris, ce lundi. ©AFP - Bertrand GUAY
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La mobilisation des agriculteurs continue partout en Europe, et au cœur de la crise, il y a les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne. De quoi s’agit-il exactement et pourquoi posent-ils problème ?

Avec l’un des sujets au cœur de la crise agricole : les accords de libre-échange, vous avez forcément lu ou entendu ça dans les discours. De quoi s’agit-il précisément et quels sont les enjeux derrière ?

Ça ne date pas d’hier, l’Union Européenne passe de nombreux accords commerciaux avec plusieurs pays dans le monde, ce qui explique pourquoi elle est 2ème exportatrice mondiale, derrière la Chine. On vend certains de nos produits et services, et en échange, on ouvre nos portes et on achète certains de leurs produits, notamment agricoles. Le tout sans trop de contraintes, en tout cas de moins en moins, comme l'explique l’économiste de l’Aitec Maxime Combes :

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"Les accords de libre échange visent de plus en plus à supprimer les droits de douane, augmenter les quotas d'importation et tendent à essayer de réduire les exigences normatives sur les produits importés ou exportés"

Assouplissement total, c’est déjà un problème, et la situation s’est tendue parce qu’un accord super important est en pleine négociation, celui avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), importante région agricole : l’Union européenne veut qu’il soit ratifié avant les élections en juin, mais une partie des agriculteurs pense que ce géant du sud va les écraser, et en plus de façon déloyale : "Le problème c'est que ça permet d'importer des produits qui sont déjà produits sur le territoire européen et ne le sont pas nécessairement dans les mêmes conditions sociales et environnementales, donc on met en concurrence des produits dont les coûts de production ne sont pas les mêmes et vont tendre à évincer des marchés les moins compétitifs"

Les moins compétitifs, il le précise parce qu’une autre partie du monde agricole français et européen (les céréales ou le vin par exemple) voit elle ces accords d’un très bon œil car ils leur permettent d'exporter encore plus. Illustration d’une éviction potentielle avec un autre accord dans le tas, un accord avec la Nouvelle-Zélande qui vient d’être ratifié : "Par exemple l'accord avec la Nouvelle Zélande va clairement faire disparaitre, sans doute, les derniers producteurs d'agneau en Europe. On peut considérer que ce n'est pas très important car en retour on va vendre des voitures ou des services à la Nouvelle-Zélande sauf que celles et ceux qui sont impactés par cette mondialisation là considèrent que ce n'est pas ce qui devrait être fait et aujourd'hui les populations considèrent qu'il vaudrait mieux consommer local, et ça ne peut pas se faire dans un marché mondialisé tel que le prévoit les accords de libre-échange"

Mais la tendance n’est pas là, puisque si on ne regarde que la France, la quantité de produits agricoles importés a été multipliée par deux en 20 ans, c’est même quatre fois plus pour la viande. En fait les accords s’accumulent depuis des années, et les agriculteurs ont le sentiment d’être sacrifiés... au nom de quoi ?

"C'est clairement du business, et c'est un choix. On considère que les impacts sur le monde agricole européen sont de nature moins importante que ce que l'économie européenne tend à gagner avec ces importations"

En plus de pouvoir offrir des produits moins chers aux consommateurs, cela rentre aussi dans l’équation, et pas forcément toujours de moins bonne qualité, Maxime Combes souligne, sans aucune langue de bois, que certaines pratiques profiteraient presque de la crise actuelle pour se blanchir, d’ailleurs la FNSEA s’engouffre dans la brèche en demandant de baisser les normes chez nous et utiliser de nouveaux produits phytosanitaires :

"En fait ça laisse entendre que l'agriculture européenne n'a rien à se reprocher, que l'agriculture française est au top alors qu'on vend aussi de la merde en Europe"

Et c’est important de ne pas l’oublier non plus. Ce qui pose problème, c’est de faciliter l’arrivée de produits qu’on sait déjà faire, qu’on a déjà, et dans de meilleures conditions, parce qu’il y a aussi la dimension écologique bien sûr, et là encore c’est à côté de la plaque pour Sylvie Matelly, économiste directrice de l’Institut Jacques Delors : "Le libre-échange en général c'est des logiques productivistes, des logiques de réduction des prix pour le consommateur qui sont relativement peu cohérentes avec la lutte contre le changement climatique et la neutralité carbone. C'est vrai que dès le moment où on s'est fixés des objectifs de lutte contre le réchauffement climatique on aurait dû adapter nos négociations d'accords commerciaux à cet objectif-là"

Avec certaines clauses. C’est pour cela que le gouvernement français d’ailleurs s’est finalement opposé à l’accord avec le Mercosur, mais ce n’est pas lui qui a la main, c’est l’Europe, et les négociations se passent à Bruxelles (sans ministre du commerce extérieur puisque nous n’en avons plus à l’heure actuelle). Que peut-il se passer, vu l’ampleur de la mobilisation en Europe ?

"On ne sait pas du tout. Ce que l'on voit c'est que même si les décideurs politiques avancent sur ces accords, on voit qu'il y a quand même une forte réticence de la société civile à soutenir ces accords-là, donc ça fera comme d'autres accords, il y aura des freins majeurs et il y a 27 départs de feu possible"

L’embrasement qui guette, et qui a déjà bien commencé.

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