POLITIQUE - Deux consonnes et deux voyelles, c’est l’acronyme de l’avant présidentielle. La PFUE, pour présidence française de l’Union européenne débute samedi 1er janvier dans un contexte pour le moins tendu, des menaces russes aux portes de l’Ukraine à la déferlante Omicron.
La France succède ainsi à la Slovénie et va, plus précisément, présider pour six mois le Conseil de l’UE, lequel représente les intérêts des 27 États membres face à la Commission et au Parlement européens. Elle va devoir jouer de son influence pour faire avancer certains sujets et dégager des compromis à 27.
Un exercice d’“honnête courtier”, certes très encadré et qui lui interdit d’être à la fois juge et partie, qui pourrait, malgré tout, devenir un tremplin pour Emmanuel Macron sur la scène nationale à quatre mois de la grande élection en France.
Des priorités et un rythme effréné
Concrètement, les ministres français présideront les réunions de leurs homologues européens dans leur domaine de compétence (agriculture, santé, intérieur...). Le chef de l’État a déjà mis en avant trois priorités -des salaires minimums dans toute l’UE, la régulation des géants du numérique et une taxe carbone aux frontières- sur lesquelles il peut espérer des résultats. Le tout, pour un objectif: rendre “l’Europe puissante dans le monde”.
C’est la première fois depuis 2008 (la 13e depuis 1958) que ce rôle, périlleux -puisqu’il doit prendre en compte les aspirations des différents États membres- revient à la France. Un exercice qui va se télescoper cette fois-ci avec le scrutin présidentiel des 10 et 24 avril prochain... comme ce fut déjà le cas en 1995, à quelques nuances près. François Mitterrand tirait alors sa révérence après deux mandats -Jacques Chirac lui succédera en mai- là où Emmanuel Macron sera très probablement candidat à sa réélection.
“La France aura (de facto) une période très courte pour la présidence, et un agenda très ambitieux. Trois mois, c’est très, très bref. Ça va être très sportif”, observe Claire Demesmay, chercheuse au centre franco-allemand Marc-Bloch auprès de l’AFP, alors que le volontarisme affiché du chef de l’État a déjà pu créer quelques crispations.
Il faut dire qu’Emmanuel Macron, déjà élu sur une ligne pro-européenne en 2017, compte bien investir à fond son nouveau rôle, comme le montre la longue conférence de presse qu’il consacrait à ce sujet au début du mois de décembre.
Une rampe de lancement pour Macron
“Cette présidence lui offre une plateforme bienvenue pour mettre en avant son bilan européen”, estime Claire Demesmay, ou “se distinguer de certains de ses concurrents et porter de nouvelles revendications, de nouvelles idées”. “Il ne peut pas arriver au premier tour, le 10 avril, sans avoir obtenu quelques résultats de sa présidence européenne. C’est la difficulté pour lui, mais ce peut être aussi une vraie chance”, confirme Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques Delors à Paris, toujours à l’AFP.
Le sommet des chefs d’État et de gouvernement informel des 10 et 11 mars en France, qui doit aborder la réforme du pacte de stabilité et de croissance, un thème cher à l’Élysée, peut aussi s’avérer “un coup de maître politique”, ajoute le chercheur: “faire une démonstration de force de son leadership européen, entouré de ses homologues à un mois du premier tour, ça peut conforter sa stature.”
Les crises offrent aussi une tribune de premier plan. En 2008, Nicolas Sarkozy s’était posé en leader de l’Europe lors de la crise financière déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers et l’offensive militaire russe en Géorgie.
Emmanuel Macron pourrait faire entendre la voix de l’Europe dans les négociations russo-américaines à venir sur l’Ukraine et la sécurité en Europe. “L’Histoire lui offre peut-être une chance (de faire) émerger une vision européenne” sur ces enjeux, souligne Michel Duclos, ancien ambassadeur, dans une tribune au quotidien français L’Opinion.
“Plus de Robert Schuman, moins de Victor Hugo”
Reste que ce pari pro-européen n’est pas sans risque dans un pays parmi les plus eurosceptiques du continent, où l’UE reste perçue comme distante et bureaucratique. Seuls 29% des Français souhaitent ainsi plus d’intégration européenne, contre 50% des Italiens et 43% des Allemands, selon une étude EuropaNova réalisée pour le Journal du Dimanche.
Emmanuel Macron va aussi devoir faire montre de doigté vis-à-vis de partenaires qui se montreront “sévères” s’ils perçoivent des “tentatives d’instrumentalisation de la présidence à des fins électorales”, avertit Pierre Sellal, ex-représentant de la France auprès de l’UE. L’Allemagne, où le nouveau chancelier Olaf Scholz vient tout juste de succéder à Angeka Merkel, pourrait vite se sentir bousculée alors qu’elle présidera elle-même le G7 en 2022.
Comme un ultime avertissement, un collège d’experts recommandait à la France, fin novembre, de faire montre de “moins d’effet de style”, de “plus d’humilité” et de “plus de concertation en amont” des discussions officielles.
“Le rôle proactif de la France et du président de la République est reconnu, mais peut faire l’objet de critiques et provoquer des blocages”, expliquait-il dans ce rapport de 300 pages, commandé par le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune. En un mot: faire “plus de Robert Schuman, moins de Victor Hugo.”
À voir également sur Le HuffPost: Macron tance les candidats qui attaquent l’Europe