Quels plans de relance pour sauver l'économie mondiale?

Grand Format Série

Keystone - KIMIMASA MAYAMA

Introduction

Pour sortir de la crise économique mondiale engendrée par la pandémie de coronavirus, plusieurs pays ont déclenché des plans de relance exceptionnels. Comment savoir s'ils seront efficaces ? Les sommes faramineuses débloquées seront-elles investies à bon escient ? Quels enseignements tirer de l’histoire pour ne pas creuser la dette ? L'émission Tout un monde tente d'y répondre dans une série de cinq épisodes, allant du New Deal de Roosevelt au Green Deal européen, en passant par les stratégies de la Chine et du Japon.

Épisode 1
Le New deal de Roosevelt, une référence

AP Photo/Keystone

Le New Deal, lancé dans les années 30 par Franklin Roosevelt, reste aujourd’hui encore une référence en matière de plan de relance. À son ascension au pouvoir en 1933, le président américain doit faire face à une économie dévastée par le krach boursier de 1929. Le pays traverse la "Grande Dépression", lors de laquelle une personne sur quatre est au chômage.

Roosevelt lance alors ce programme de prêts et de dépenses, à une échelle jamais vue auparavant, qui finance des créations d'emplois massives, notamment dans les travaux publics, les infrastructures, les arts et la culture.

"Roosevelt est un grand réformateur social, explique Nicole Bacharan, historienne spécialiste des Etats-Unis. Il crée l’Etat providence et lui donne un rôle tout à fait nouveau, à savoir celui d’investir de l’argent public dans des travaux. L’Etat devient un grand employeur et crée des programmes sociaux pour la santé, le chômage, la vieillesse."

Le New Deal est à l'origine du système de retraite aux Etats-Unis et a permis de créer le gendarme boursier américain, la SEC (Securities and Exchange Commission).  Malgré les milliards de dollars injectés, le marasme économique ne prendra fin qu'avec la mobilisation massive des industries du pays pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pragmatisme et audace

Dès le lendemain de son investiture, le président prend une mesure forte pour relancer le système bancaire, alors en déroute. "C’est ce qui s’appelle "les vacances bancaires" :  presque tout le secteur est fermé pendant une ou deux semaines, pour faire le nettoyage", raconte Cédric Tille, professeur d’économie au Graduate Institute de Genève. "Une fois le système bancaire nettoyé, le pays peut repartir de l’avant. Cela constitue la première grosse action pour permettre à l’argent de circuler à nouveau, qui a été également un facteur pour rétablir la confiance."

Durant les 100 premiers jours de son mandat, Franklin Roosevelt a fait adopter une quinzaine de lois majeures, dépensé d’importantes sommes et établi des mesures d’urgence. "Roosevelt, qui incarne le dynamisme, a redonné de l'espoir à un pays qui allait très mal, explique Nicole Bacharan. Il a envoyé un nombre colossal de lois et de propositions au Congrès. Certaines sont passées, d'autres pas. Il a essayé des programmes, a gardé ceux qui fonctionnaient et abandonné les autres. C’est un grand pragmatique ; il prend la crise à bras-le-corps et décide de faire tout ce qu'il faut."

Une démarche empirique et audacieuse, ajoute Cédric Tille. "Franklin Rossevelt propose d’oser, d’essayer de nouveaux outils, même s’il y a le risque qu’ils ne soient pas les bons. Il ne reste pas les bras croisés. Cette attitude d'audace a été très utile."

Soutien financier à la culture

Au-delà de l’économie et des infrastructures, le New Deal était une vision globale de la société.  Pour la première fois, le gouvernement subventionne l’art et la culture, en partant du principe que les artistes sont des travailleurs comme les autres. "S'intéresser aux artistes et les embaucher sur des crédits d'État n’est pas une idée qui vient naturellement", explique Jean Kempf, professeur de civilisation américaine à l’Université Lyon 2.

"D’abord, Roosevelt pense au fait que la culture est un employeur important dont les travailleurs peuvent aussi accomplir d'autres tâches et avoir une utilité sociale directe. Ensuite, il pense au fait que la culture va participer à la cohésion nationale et au soutien du moral du peuple."

Mais cet activisme de l’Etat rencontre des résistances de la part des milieux économiques. Les agences fédérales nouvellement créées, et dont la plupart existe encore aujourd’hui, font l’objet de vives critiques de la part du parti républicain. Mais au sein de la population américaine, le "New Deal" est apprécié, comme en témoigne la réélection massive de Roosevelt en 1936, avec 523 voix au collège électoral contre 8 seulement à son adversaire républicain.

Enseignements de l'Histoire

Aujourd’hui, le New Deal a laissé plusieurs enseignements, dont l'idée que l'Etat a une responsabilité et doit agir rapidement face à une crise, mais également qu'il doit avoir une vision à long terme sur la manière de gérer les investissements, estime l’historienne Nicole Bacharan. "Le pragmatisme et une vision durable sont les meilleurs enseignements qui puissent être tirés du New Deal."

Pour le professeur d’économie Cédric Tille, la leçon à tirer de cette histoire est "le rôle actif de l’Etat pour lancer une tendance. Actuellement la grosse tendance est l’investissement vert, l’innovation en efficience énergétique, qui est le gros défi de la planète". Et le climat, estime l’économiste, est un défi plus important que la dette publique pour les générations futures.

>> Ecouter l'épisode sur le New Deal de Roosevelt de la série "Plans de relance" dans l'émission Tout un monde :

Franklin Delano Roosevelt
Tout un monde - Publié le 22 mars 2021

Épisode 2
En Chine, le plan de relance permanent

James Zhu

La Chine et son économie fonctionnent très différemment des systèmes libéraux où les plans de relance sont exceptionnels. Il s'avère ainsi compliqué de l'analyser par le prisme de terminologies occidentales, avertit Michael Pettis, professeur de finance à l’Université de Pékin, pour qui l’économie chinoise fonctionne grâce à un plan de relance permanent.

Chaque année, au mois de mars, les autorités chinoises annoncent le taux de croissance du Produit Intérieur Brut pour l’année à venir, et y parviennent systématiquement. Dans un système libéral, cela serait bien plus complexe.

Le professeur de finances explique que la Chine connaît deux types de croissance. La première, générée par la consommation, les exportations et les investissements, ne constituent la plupart du temps qu'une infime part. "Il y a ensuite la croissance dont la Chine a besoin pour des raisons politiques, qui lui permet d’assurer un faible niveau de chômage et de stimuler l’activité économique des différentes provinces. C’est une sorte de PIB fixé artificiellement."

Lire aussi: La Chine se fixe un objectif de croissance modeste pour 2021

Production plutôt que consommation

Pour atteindre le niveau de ce PIB fixé, le gouvernement investit massivement, dans l’immobilier ou les infrastructures par exemple, afin d’engendrer cette fameuse croissance. Dans les systèmes libéraux, l’activité économique dépend généralement de la demande, dont l'importance entraîne une création de richesses et un accroissement de l’économie. L’objectif final des plans de relance vise ainsi à stimuler la consommation.

En Chine, l’activité économique est créée par l’investissement même. Le gouvernement dépense pour augmenter la croissance. En cas de crise, comme celle du coronavirus, la Chine stimule la production sans se préoccuper de la demande. Ce modèle débouche évidemment sur une surproduction.

Il y a deux ans, le ministère du rail a par exemple déclaré qu'il faisait face à un grand problème, raconte Michael Pettis. Chaque ville de taille moyenne étant désormais connectée au réseau ferroviaire, il était devenu difficile de justifier l’investissement dans l’extension du rail, moteur d’une partie de la croissance économique.

"Si vous annonciez, en Suisse, que l’ensemble des localités étaient desservies par le rail, ce serait un triomphe, pas un problème. Le fait qu’il s’agit d’un problème en Chine souligne le véritable objectif de la construction du rail dans ce pays : c’est un moyen de générer davantage d’activité économique."

Face à la saturation dans le pays, les autorités cherchent des alternatives, comme les nouvelles routes de la soie, permettant d'exporter le modèle d'investissement dans les infrastructures qui commençaient à s'essouffler en Chine, explique Jean-François Dufour, directeur de la société de conseil "DCA Chine Analyse".

"L’autre idée est de basculer sur le digital et l’industrie 2.0 pour éviter à la fois l’effet de saturation, mais aussi de faciliter la transition vers une industrie plus moderne, ce qui reste le grand objectif stratégique des autorités chinoises à l’horizon 2050."

Trois pics d'investissements

Trois interventions dans l’histoire de la Chine peuvent toutefois être qualifiées de plans de relance. Après la crise financière asiatique de 1998, Pékin a ouvert davantage les vannes pour limiter les dégâts. En 2008, avec la crise des subprimes, le Parti communiste a débloqué plus de 580 milliards de francs, dette que la Chine ne parvient toujours pas à éponger. En 2020, suite à la pandémie de Covid-19, une intervention accrue a également été nécessaire.

Jean-François Dufour appuie la formule de Michael Pettis selon laquelle "il existe un plan de relance permanent, dont ces trois événements sont des pics parce que la conjoncture a nécessité d’appuyer sur l’accélérateur."

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Une dette faramineuse

Reste l’inquiétude liée à la dette engendrée par ce pilotage permanent de l’économie. Celle de la Chine dépasse de 300% son PIB. Malgré les déclarations des autorités, le désendettement a été mis entre parenthèses. Face aux tensions avec les Etats-Unis et la crise sanitaire, la priorité du parti est de garantir sa domination sur le court terme.

Personne, ni en Chine, ni ailleurs, ne sait où se trouve la limite du système, estime Jean-François Dufour. "En sachant que chaque gouvernement qui arrive gère la crise de manière immédiate en répercutant sa gestion à long terme sur ceux qui suivront, personne n’est capable de s’engager sur la solidité de l’économie chinoise à l’horizon 2050." À l’inverse, il existe depuis 20 ans des prédictions sur un effondrement imminent, mais qui n’arrive pas."

La Chine défie ainsi les prédictions et règles du jeu, entre autres parce qu’aucun pays n’a intérêt à lui demander des comptes ou à voir son économie s’effondrer, ce qui aurait des conséquences néfastes à l’international. Le monde participe ainsi à l’expérience économique chinoise, en attendant de voir où cela va mener.

>> Ecouter l'épisode sur le système économique chinois de la série "Plans de relance" dans l'émission Tout un monde :

Les signaux d'alerte sur la l'économie chinoise ont été nombreux ces derniers temps. [WU HONG]WU HONG
Tout un monde - Publié le 23 mars 2021

Épisode 3
Green deal, ou le plan vert européen

Europedirect-reims.fr

Lancé en décembre 2019, le pacte vert de l’Union européenne vise à reverdir l’économie du Vieux-Continent, en mettant le climat au centre des politiques publiques. Son premier objectif est la neutralité carbone d’ici 2050.

Depuis la crise du coronavirus, l'UE a lancé en 2020 un plan de relance nommé NextGenerationEU, et qui prévoit une somme de 750 milliards d'euros. Ce dernier fait partie des instruments pour une Europe plus verte, explique Thomas Pellerin-Carlin, qui dirige le centre Energie de l'institut Jacques Delors.

"C'est un plan qui vise à donner 350 milliards d'euros aux différents États membres, somme qui doit être utilisée selon certains critères. Un tiers de l’argent doit servir à la transition écologique, comme des subventions pour l'achat de véhicules électriques, le déploiement de pistes cyclables, la rénovation d'écoles, bâtiments, logements." Ce plan de relance est le premier que l’UE lance en commun, et tous ses membres font preuve de solidarité. La priorité est donnée à des investissements sur le long terme afin d’adapter l'économie à la transition énergétique.

>> Lire aussi : Un fonds de relance de 750 milliards d'euros pour l'économie européenne

Des fonds pas suffisants

L'Union européenne a pris la bonne direction, même si les fonds dédiés à la transition écologique sont encore insuffisants, estime la députée européenne française Marie Toussaint, co-fondatrice de l'organisation "Notre affaire à tous", qui milite pour une justice climatique. "Selon une estimation de la Cour des comptes européenne elle-même, nous aurions besoin de trois fois plus que ce qui est aujourd'hui sur la table. Il faudrait ainsi utiliser l’intégralité de l’argent pour la transition."

Marie Toussaint craint que les fonds européens ne soient pas utilisés uniquement pour financer des politiques publiques favorables à l’écologie. "Certaines mesures visent le renflouement d’Air France KLM ou de l’industrie automobile en Allemagne." Chaque Etat membre doit présenter son propre plan de relance, qui sera validé ou non par l'UE afin d’être financé.

La députée estime qu’il n’existe pas encore une vraie réforme de la finance et de son fonctionnement. "Cela devrait être une opportunité de sortir d'une approche de la croissance purement économique et financière, qui vise à plus de production et qui consomme la planète pour pouvoir financer les États et les services publics."

>> Lire aussi : L'Europe veut allier relance économique et transition écologique

Le tabou autour de la croissance

Renoncer à la croissance est une idée très taboue, qui n’est pas à l’ordre du jour de l’UE. Pour l'économiste et philosophe Sophie Swaton, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Lausanne, il n’est pas possible de se passer de croissance dans le système actuel, même si elle pointe les lacunes de cet indicateur.

" La croissance est mesurée selon les quantités produites. Le critère, à savoir le prix, est uniquement matériel. Par exemple, lorsque les quantités de cigarettes vendues augmentent, l’indicateur sur la santé n'est pas pris en compte. Si pour évaluer la croissance d'une industrie, on ne regarde que le volume créé, sans prendre en compte son impact, on oublie un paramètre." Sophie Swaton déplore également que la connexion entre ce qui est produit et la ressource nécessaire à sa production soit négligée.

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Le paradoxe de la croissance verte

Mais est-ce vraiment écologique de vouloir à tout prix augmenter le PIB grâce aux énergies vertes, ou la croissance verte est-elle en fait du "green washing"?  Pour la philosophe, "si on estime pouvoir croître sans impacter sur le capital naturel, c'est du greenwashing. Ce serait comme produire une pizza de plus en plus grosse avec moins d'ingrédients, ce qui est impossible. La croissance verte, si elle n'est pas assortie d'une réflexion pour réduire les flux de matière, n'est pas une croissance durable."

>> Ecouter l'épisode sur le pacte vert de l'UE de la série "Plans de relance" dans l'émission Tout un monde :

Le pacte vert de l'Union européenne. [KEYSTONE - Martin Ruetschi]KEYSTONE - Martin Ruetschi
Tout un monde - Publié le 24 mars 2021

Épisode 4
Japon, des plans de relance faramineux

Keystone - KIMIMASA MAYAMA

Vu d’Occident, le Japon est connu, au fil des crises, pour avoir lancé des plans de relance aux montants faramineux. Mais ceux-ci ont-ils atteint leurs objectifs de bien-être social ?

C’est dans les années 90 que la crise financière asiatique éclate, entraînant la fusion de plusieurs banques et une dégradation nette de la structure sociale japonaise. Depuis, les très nombreux et coûteux plans de stimulation économiques des gouvernements successifs, presque tous de droite, n’ont pas réussi à la redresser.

Rien d’étonnant à cela, explique l’économiste Noriko Hama : "Il n’y a pas de réussite de ces plans de relance dans un sens social parce que ce n’était pas le but original. Ces politiques n’étaient pas pensées pour sauver les faibles, pour rééquilibrer la balance et faire tourner l’économie de façon saine."

Malgré son image de pays riche, le Japon a une dette d’Etat de plus de 200% de son Produit Intérieur Brut. Mais celle-ci est en grande partie détenue localement, notamment par la banque centrale qui rachète les bons du trésor dans le but de rassurer et d’inciter à investir.

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La politique des "abenomics"

"L’épargne des ménages au Japon dépasse les 16’000 milliards de francs suisses, ce qui est énorme, explique Noriko Hama. On peut donc considérer ce pays comme immensément riche. Pourtant le taux de pauvreté y est très élevé, de l’ordre de 15%. Tant que ce problème n’aura pas été résolu, l’économie ne sera pas saine."

Depuis 2012, et jusqu’à la crise du coronavirus, le précédent Premier ministre japonais Shinzo Abe avait mené une politique nommée "abenomics", dont l’un des piliers consistait en des incitations budgétaires massives. Seulement les deux autres piliers qu’étaient la politique monétaire et les réformes structurelles n’avaient pas suivi. Tous les résultats jugés positifs obtenus par ces abenomics se sont ainsi effondrés avec la crise du coronavirus.

L'obsession de la croissance

Les Jeux olympiques de Tokyo prévus en 2020 et l’Exposition universelle d’Osaka 2025 ravivent chez les politiques la nostalgie de ces deux mêmes évènements déjà organisés par le pays en 1964 et 1970, et qui avaient entraîné une forte croissance économique.

"Pour le bien-être social, il faudrait redistribuer, et non pas investir dans les ponts ou les routes, estime l’économiste. Mais les dirigeants politiques restent obsédés par le mythe de la croissance, l’idée que leur rôle est de faire grossir l’économie, et que cette économie forte renforce leur assise politique. Ils ne sortent pas de cette boucle idéologique."

L’actuel Premier ministre Yoshihide Suga répète au peuple japonais la même théorie : "Essayez par vous-même, si vous n’y arrivez pas, demandez à vos proches, et si vous n’y arrivez pas avec l’aide de votre entourage, en tout dernier ressort, l’Etat vous aidera."

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Si le pays a annoncé vouloir investir massivement dans le bien-être de la planète, l’objectif reste de s’appuyer sur les industries vertes pour doper l’économie, souligne Noriko Hama. "Le but annoncé est un verdissement de l’économie pour augmenter la croissance. Alors que c’est l’inverse qui serait nécessaire pour atteindre la neutralité carbone. Il me semble qu’il y a là une importante contradiction."

Ainsi, le PIB est toujours pris en compte comme indicateur majeur de santé de la nation, ce qui entretient une obsession de la croissance pour laquelle le Japon a lancé tous ses plans de relance des dernières décennies.

>> Ecouter l'épisode sur la stratégie du Japon de la série "Plans de relance" dans l'émission Tout un monde :

Le Japon conserve pour un temps sa place de deuxième économie mondiale.
Tout un monde - Publié le 25 mars 2021

Épisode 5
Croissance, dette et contrôle étatique

Keystone - AP Photo/Mark Lennihan, File

Depuis la pandémie de coronavirus, jamais les plans de relances n’ont été aussi massifs. Des milliers de milliards de dollars, d’euro, de francs, de yuan sont débloqués. Mais ces sommes sont-ils justifiées ? Quel type de croissance visent-elles ? Faut-il s’inquiéter de la dette? Et du rôle de l’Etat, très actif et omniprésent dans l’économie mondiale ? Trois économistes ont répondu à ces questions.

Personne ne met en doute la nécessité des plans de relance. Le défi économique de la pandémie est tel que seuls les Etats peuvent y répondre.  Il faut amortir les pertes de secteurs entiers de l’économie pour qu’ils puissent survivre et redémarrer le moment venu.

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Trop d'argent débloqué?

L’interrogation porte davantage sur les montants absolument sans précédents de ces plans. Pour Jean-Pierre Danthine, professeur à l’EPFL, ancien vice-président de la Banque Nationale Suisse, "le risque qu’un plan de relance soit trop généreux n’est pas si grave du moment que les investissements qu’il soutient sont productifs". Il souligne qu’il est très important de "cibler les investissements de manière très rigoureuse pour s’assurer qu’il y ait un bénéfice pour la société à l’avenir."

Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFRAP, l’institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, se montre plus sceptique et craint le gaspillage de derniers publics : "on risque de voir de nombreux milliards se perdre dans les dépenses de fonctionnement administratives, ou certains projets ne verront jamais le jour en raison de la complexité de leur mise en œuvre."

Outre le soutien aux entreprises et aux emplois pénalisés par la pandémie, les plans de relance, par leur caractère massif, représentent une opportunité d’aller au-delà de l’aide d’urgence. Marie Owens Thomsen, économiste chez Lombard Odier, relève les sommes allouées aux projets verts et durables : "elles sont historiques, mais insuffisantes à la fois. Les Nations Unies ont estimé, fin 2020, que 18% seulement des dépenses étaient consacrées au développement d’une économie plus durable. C’est sans précédent, mais en deçà des montants qui seraient nécessaires pour remplir les objectifs de l’Accord de Paris."

Une dette qui se creuse

Ces milliards de la relance vont creuser la dette publique. Ce n’est pas inquiétant pour des pays comme la Suisse, l’Allemagne ou les Pays-Bas, constate Agnès Verdier-Molinié, "mais la dette est inquiétante pour des pays comme la France qui ont l’habitude de pratiquer le "quoi qu’il en coûte", même en dehors de la crise". Dans l'Hexagone, relève-t-elle, la dette a doublé en moins de 20 ans pour passer à 120% du PIB. "Et il suffit que les taux remontent pour se retrouver dans une situation très délicate".

L’ancien vice-président de la BNS, Jean-Pierre Danthine, relativise. "Si la dette est creusée via des investissements productifs, ce n’est pas un grand problème. La productivité des investissements permettra de la rembourser ultérieurement." Il souligne également le rôle des banques centrales qui "peuvent absorber temporairement une partie de cette dette et minimiser l’impact sur les taux d’intérêts." L'économiste met en garde contre un retour trop rapide à la rigueur budgétaire. "La Suisse est dans une situation confortable et peut se donner un horizon de remboursement de la dette à 25 ans ou même davantage."

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Le rôle omniprésent de l'Etat

Depuis le début de la pandémie, on a vu les Etats augmenter leur contrôle, sur le plan sanitaire mais aussi dans l’économie. Pour Marie Owen Thomsen, "cette tendance est renforcée par les événements actuels qui nous ont montré que nos économies n’étaient pas suffisamment résilientes pour faire face à cette double crise, la pandémie et le changement climatique."

Pour Agnès Verdier-Molinié, c’est "normal que l’Etat, qui a demandé à l’économie de fermer, assume le coût de ses décisions". Mais elle ne croit pas "au grand retour de l’Etat. C’est au contraire le moment de se poser la question de sa réorganisation et de freiner l’action de la bureaucratie dans la vie publique."

Jean-Pierre Danthine estime de son côté que "le rôle de l’Etat dans la conjoncture actuelle est parfaitement conforme à la théorie économique classique. C’est clairement au niveau collectif le plus élevé,  à savoir la nation, voire même dans des accords multilatéraux, que l’on peut réagir à un choc systémique global." Et de relever que le défi climatique "justifie également une réponse collective au niveau planétaire". Dans ce contexte-là, le rôle de l’Etat va se renforcer, conclut-il.

>> Ecouter l'analyse de trois économistes dans la série "Plans de relance" de l'émission Tout un monde :

La présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, signe le plan de relance après son approbation, 10.03.2021. [AP/Keystone - Alex Brandon]AP/Keystone - Alex Brandon
Tout un monde - Publié le 26 mars 2021