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Rapport

Migrations : le manque de solidarité délétère de l’UE

Dans un rapport publié mardi, l’Institut Jacques Delors regrette le déficit de «dynamique politique» de l’Union européenne sur les migrations et l’asile, et demande de l’ambition à Emmanuel Macron qui prendra les rennes de l’UE en janvier. Parmi les pistes proposées, la mise en place d’un visa pour la recherche d’emploi,
par Thibaut Sardier
publié le 7 décembre 2021 à 8h00

Impasse à Lesbos, tensions à la frontière Pologne-Bélarus, naufrage au large de Calais... L’actualité tragique aux frontières de l’Europe rappelle – faute de consensus entre les Etats-membres – les manquements des politiques européennes en matière de migrations. Surtout lorsqu’il s’agit de les traiter sous l’angle de la solidarité. Pourtant, au total, plus de 50 000 personnes auraient trouvé la mort aux frontières de l’Europe depuis 1993. «Aucune dynamique politique ne semble aujourd’hui se dessiner», confirme l’Institut Jacques Delors dans un rapport publié le 6 décembre, deux jours avant qu’Emmanuel Macron ne présente les grandes lignes de sa politique pour la présidence française de l’Union européenne (du 1er janvier au 30 juin 2022). «A mi-chemin entre le réalisme désespérant et l’idéalisme improductif» – comprendre, pas nationalistes ou souverainistes, mais loin d’être «no border» pour autant –, les auteurs constatent que faute d’orientations communes, les Européens laissent s’accumuler des situations problématiques au regard des droits fondamentaux : refoulement injustifié de demandeurs d’asile à certaines frontières, longueur des procédures, accords avec des pays hors-UE pour «dissuader» les candidats à la migration, ou encore «survalorisation» des discours sécuritaires au détriment de la solidarité.

C’est un blocage politique devenu structurel qui explique cette situation. Au lendemain de la «crise» migratoire de 2015, des négociations entre pays européens ont été lancées par les institutions de l’UE. En septembre 2020, elles ont pris la forme d’un Pacte européen sur la migration et l’asile, toujours en cours de discussion du fait de désaccords insurmontables entre Etats. Résultat, les derniers textes a avoir fait consensus en matière d’asile remontent à 2013. Ils sont peu opérationnels en cas de circonstances exceptionnelles, comme on l’a vu en août avec les débats sur l’accueil en Europe d’Afghans fuyant le régime taliban. «Il faut une nouvelle directive sur la solidarité en cas de crise, climatique ou sanitaire par exemple, avec un dispositif temporaire plus contraignant pour les Etats», explique à Libé le président du groupe de travail et coordinateur du rapport, Jérôme Vignon. Le pacte de 2020 prévoit des initiatives en ce sens, qui n’ont pas encore été discutées au Conseil des ministres européens.

Mieux appliquer les procédures d’accueil des exilés

Le contexte et les acteurs de la campagne présidentielle qui débute en France ne devraient pas aider à investir sereinement la question des migrations. Pourtant, les auteurs du rapport appellent Emmanuel Macron à «résister à la tentation d’abandonner complètement le dossier» et notamment les négociations sur le dossier clé des demandes d’asile. Jusqu’ici, les accords de Dublin prévoient que les exilés effectuent leurs démarches dans le premier pays européen où ils sont enregistrés, soit dans la majorité des cas les Etats d’Europe du Sud. «Or, les Etats de première entrée n’instruisent pas toujours correctement les demandes d’asile, estimant que pour eux, le compte n’y est pas», commente Vignon. Mieux répartir l’effort d’accueil permettrait de mieux appliquer les procédures d’accueil des exilés, mais aussi de mieux gérer le cas de refus et le retour vers le pays d’origine.

Le rapport s’inquiète aussi des personnes éligibles à la réinstallation, c’est-à-dire des réfugiés qui résident dans des pays non européens où ils ne peuvent être accueillis durablement. Les pays de l’UE ne se bousculent pas pour tenir leurs engagements : «1,47 million de réfugiés sont aujourd’hui éligibles à la réinstallation. Cependant, en partie à cause de la pandémie de coronavirus, seuls 26 000 réfugiés ont été conduits vers un pays tiers sûr [en 2021]», explique le document. Le texte invite les Etats membres à développer cet accueil sans l’utiliser comme levier de négociation avec les pays en question, et sans sélectionner les réfugiés qui ont tous droit à une protection, indépendamment de leur âge, de leur genre ou de leur capacité à travailler ou non.

Information claire sur les besoins de main d’œuvre sur le continent

Parmi ses propositions, le rapport de l’Institut Jacques Delors veut organiser des voies d’immigration légale. Il remet donc sur la table l’idée d’un visa pour la recherche d’emploi. «Il n’est pas possible d’entrer légalement dans l’UE pour chercher un emploi, alors même que les besoins des Etats-membres convergent de plus en plus», dit Jérôme Vignon. Demandé auprès des autorités consulaires avant le départ, ce document serait obtenu à condition de disposer d’un billet aller-retour ainsi que «des ressources suffisantes pour la durée du séjour». Mission impossible pour des migrants économiques qui, précisément, n’ont pas de tels moyens ? «Cette condition n’est pas disproportionnée par rapport à ce qu’exigent les passeurs», répond Vignon. Le coordinateur du rapport explique qu’une telle mesure ne pourra voir le jour qu’après une harmonisation des conditions minimales d’accès au marché du travail européen (existence d’un contrat de travail, désignation d’un employeur...), assortie d’une information claire sur les besoins de main d’œuvre sur le continent. Sans cela «l’UE ne sera pas en mesure d’attirer les travailleurs migrants dont elle a besoin», prévient le chercheur Yves Pascouau.

Prenant la mesure du retard accumulé, le texte appelle à faire feu de tout bois pour l’élaboration de réponses communes. Si les négociations sur le Pacte patinent, des initiatives pour lutter contre les passeurs peuvent être lancées. La réforme de Schengen assurant la libre circulation en Europe, que doit présenter la Commission européenne ce jeudi, est une autre piste. «Il faut aussi créer des mécanismes de coopération renforcée entre les pays qui veulent aller plus loin sur l’asile», conclut Jérôme Vignon. A partir du 1er janvier, la balle est entre les mains de la France.

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