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Réduire de 15 % la consommation d’énergie ? Le Japon l’a fait, on vous raconte comment

Face aux risques de pénurie d’électricité et de gaz cet hiver, l’Europe cherche à réduire de 15 % sa consommation d’énergie. C’est ce que le Japon a fait en 2011 après la catastrophe de Fukushima. Une campagne réussie grâce à un élan national en faveur de la sobriété, entre néons éteints, ascenseurs à l’arrêt et nouveau dress code au bureau.

Aude Le Gentil , Mis à jour le
La Tour de Tokyo éteinte après 21 heures, le 22 mars, après une alerte sur l’approvisionnement du réseau électrique.
La Tour de Tokyo éteinte après 21 heures, le 22 mars, après une alerte sur l’approvisionnement du réseau électrique. © Charly Triballeau/AFP

Sobriété. C’est l’injonction du moment en Europe, face aux risques de pénurie d’électricité et de gaz cet hiver. Pour les limiter, la Commission européenne a proposé un plan visant à réduire de 15 % la consommation d’énergie dans le continent jusqu’en mars prochain. En France, le gouvernement détaillera le 6 octobre sa feuille de route pour remplir l’objectif fixé par Emmanuel Macron de baisser la consommation de 10 % d’ici à 2024. Inatteignable ? En 2011, le Japon l’a fait, après la catastrophe de Fukushima. Une mobilisation nationale à base d’éclairage éteint, de chauffage minimal et de chemises à fleurs.

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Les campagnes « setsuden »

Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 déclenche un tsunami qui ravage les côtes orientales de l’archipel et entraîne l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Dans la foulée, le gouvernement démarre une série d’inspections drastiques dans les centrales, puis décide, sous la pression de la population, de sortir du nucléaire. À l’époque, 30 % de l’électricité japonaise provient des 54 réacteurs présents dans 18 centrales. Le risque de black-out est réel. Dans les jours qui suivent le drame, Tokyo est plusieurs fois plongée dans le noir lors de coupures programmées.

Lire notre antisèche - C’est quoi, Fukushima ?

C’est à ce moment là que le mot « setsuden » entre dans la vie des Japonais. Il signifie « économies d’électricité » et désigne la grande campagne de sobriété lancée par le gouvernement. Une loi oblige les grandes entreprises à restreindre leur usage électrique de 15 % en journée pendant l’été, sous peine d’une amende. Pour les particuliers et les PME, tout repose sur les efforts volontaires.

Clim’ à 28 °C et horaires décalés dans les usines

À tous les étages, les usages superflus sont chassés. Dans les bureaux et les bâtiments publics, la climatisation est limitée à 28 °C (dans un pays où le mercure dépasse régulièrement les 40 °C l’été) ; le chauffage à 20 °C. À Tokyo, la carte postale d’une mégapole illuminée est ternie : les enseignes, vitrines, grands écrans et bureaux s’éteignent la nuit ; des ascenseurs, escalators et tapis roulants sont mis à l’arrêt. Les ascenseurs sont arrêtés sitôt le dernier employé parti. Le ministère de l’Environnement demande à ses collaborateurs d’apporter leur gourde afin de débrancher les distributeurs de boissons fraiches.

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Les entreprises sont mises à contribution, comme le raconte Reuters . Les industries sont invitées à se coordonner pour ne pas faire fonctionner leurs chaînes en même temps. Durant l’été 2021, le constructeur automobile Nissan Motor décale les horaires dans ses usines pour soulager le réseau aux heures de pointe. Les magasins Lawson et le métro de Tokyo remplacent leurs ampoules par des LED. Les équipes professionnelles de base-ball et de football cessent de jouer la nuit sous des projecteurs. Certaines compagnies y voient un levier de communication : le prêt-à-porter met en avant des silhouettes arborant guêtres et superposition de pulls ; Uniqlo fait un carton avec ses vêtements thermiques.

Informations en temps réel et mitaines au bureau

L’idée est de changer durablement les habitudes. Ainsi, le gouvernement promeut la campagne « Super Cool Biz » pendant l’été et « Super Warm Biz » pendant l’hiver. Elle consiste à assouplir le dress code en entreprise : les employés peuvent tomber la veste et la cravate pour arborer une « kariyushi », les chemises à fleurs d’Okinawa, ou bien à porter pull et mitaines. Rester tard au bureau pour se faire bien voir n’est plus encouragé, du moins officiellement.

Le « setsuden » passe aussi par une mobilisation des citoyens, à travers l’information et la pédagogie. Les écrans publicitaires sont éteints, à l’exception de quelques-uns qui diffusent en temps réel des informations sur la situation du réseau. Dès que la consommation atteint 97 % des capacités de production disponibles, les citoyens et les entreprises sont invités à reporter leurs usages.

Ainsi, les habitants sont incités à éviter d’utiliser de l’électroménager aux heures de pointe, à éteindre la lumière, à privilégier les douches, à opter pour des appareils moins énergivores… S’ajoutent des écogestes spécifiques au pays du soleil levant : désactiver le bouton « maintenir au chaud » des autocuiseurs de riz et les fonctionnalités des toilettes haute technologie comme le siège chauffant.

Les autorités vont loin dans les recommandations. « Utilisez des bouillotes et des chaufferettes, descendez du métro une station plus tôt et faites un peu de course à pied, vous aurez chaud », comme le rapporte à l’automne 2011 la correspondante du Point au Japon. L’exécutif va jusqu’à conseiller de… ne pas dormir seul ! Pour expliquer cette mobilisation nationale, la journaliste met en avant plusieurs points : la sensibilisation à la sobriété avait commencé plusieurs années auparavant, mais surtout, le traumatisme de Fukushima a fait comprendre aux Nippons qu’ils n’avaient « plus le choix ».

20 % de consommation en moins pendant les pics

Bilan ? Une baisse de 20 % de la consommation pendant les pics à l’été 2011, indique l’Institut Jacques-Delors dans une note , ainsi qu’une diminution de 7,6 % en général à l’échelle du pays. En parallèle, l’archipel augmente ses importations de gaz pour alimenter ses centrales thermiques. Le black-out est évité et la chasse au gaspillage permet de contenir la hausse des émissions de CO2 liée à ce recours accru aux fossiles.

Lire aussi - Climat, guerre en Ukraine : comment inscrire la sobriété énergétique dans le temps

À l’automne, les mesures les plus drastiques sont abandonnées. Mais la promotion de la sobriété perdure et les campagnes « setsuden » se succèdent jusqu’en 2015, tandis que les autorités cherchent à améliorer l’efficacité énergétique et à développer le renouvelable.

Le retour du « setsuden » et du nucléaire 

Ce second volet, celui d’une transformation structurelle vers la décarbonation, n’aura peut-être pas été suffisant. Car, comme l’Europe, l’archipel fait aujourd’hui face à une flambée des prix de l’énergie et à des difficultés d’approvisionnement depuis la guerre en Ukraine, notamment en gaz naturel liquéfié. La canicule a aussi pesé sur le réseau.

Cet été, le « setsuden » a donc fait son retour au Japon. L’atome aussi. Fin août, le Premier ministre, Fumio Kishiada, a annoncé une réflexion sur la construction de « réacteurs nucléaires de nouvelle génération, dotés de nouveaux mécanismes de sécurité » et sur le redémarrage de centrales. Sur 33 réacteurs théoriquement opérationnels, seuls 10 sont en service. Ils ont produit moins de 4 % l’électricité japonaise l’an dernier.

Lire aussi - Énergie : les Européens se ruent vers le gaz naturel liquéfié… mais il n’y en aura pas pour tout le monde

Pour cet hiver, les craintes sont ravivées. Selon L’Opinion , une étude s’attend à ce qu’1,1 million de foyers tokyoïtes subissent des coupures. D’après le ministère japonais de l’Économie, cité par L’Express , les perspectives en termes de marges d’électricité disponible sont « les plus sombres depuis 2012 ». Alors bouillottes et mitaines vont ressortir des placards.

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