Réduire la dépendance européenne au gaz russe : l'arlésienne jusqu'à quand ?

Lancé sous Merkel et opérationnel depuis octobre 2021 le gazoduc Nordstream2 a été arrêté par Olaf Scholz le 22 février 2022, deux jours avant l'invasion russe. ©AFP - John MACDOUGALL
Lancé sous Merkel et opérationnel depuis octobre 2021 le gazoduc Nordstream2 a été arrêté par Olaf Scholz le 22 février 2022, deux jours avant l'invasion russe. ©AFP - John MACDOUGALL
Lancé sous Merkel et opérationnel depuis octobre 2021 le gazoduc Nordstream2 a été arrêté par Olaf Scholz le 22 février 2022, deux jours avant l'invasion russe. ©AFP - John MACDOUGALL
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Sécuriser l'approvisionnement énergétique de l'UE en réduisant sa dépendance aux combustibles russes, c'est un objectif depuis 20 ans, et depuis la guerre en Ukraine la volonté des 27 réunis à Versailles.

Dans 6 pays d’Europe, Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays Bas, les industries du charbon et de l’acier sont aujourd’hui liées par une solidarité de production et de travail.... La communauté européenne du charbon et de l’acier est la première réalisation concrète dans cette marche vers les Etats Unis d’Europe. Montage sur les étapes de la création de la Communauté du Charbon et de l'Acier (CECA)

1951, il y a 70 ans naissait la CECA.

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La sécurité énergétique fut à la base de la construction européenne, mais paradoxalement ce n’est qu’en 2007 que leT raité de Lisbonne a reconnu l’énergie comme une compétence partagée. 

Compétence partagée, cela veut dire que la loi de l'Union Européenne prévaut mais que les Etats restent maîtres à bord si elle n'a pas légiféré.  

Pour l'énergie, l'UE s'est occupée du fonctionnement du marché intérieur, de l’interconnexion des réseaux, de la diversification des sources, mais les Etats restent souverains sur l'essentiel, c'est à dire leur mix énergétique, l'exploitation de leurs ressources, et leurs approvisionnements.  

Quand l’Allemagne décide en 2011 d’abandonner le nucléaire, cela a un impact direct sur la quantité d’énergie produite en Europe, mais c’est elle seule qui décide.  Quand elle s’associe au gazoduc Nordstream 2 opéré par Gazprom, le géant russe du gaz, aucun débat n’a lieu entre les Etats Membres.  

A lire/ écouter (février 2019) : Gazoduc Nord Stream 2: peut-on faire confiance à l'Allemagne pour défendre les intérêts européens ?

"La politique énergétique de l’Union Européenne souffre d’un vice de construction et d’insuffisances structurelles", constatait Jacques Delors en 2015, dans une tribune finissant par "il n’y a plus de temps à perdre".  A lire aussi pour un état des lieux de la situation : De la communauté européenne de l'énergie à l'Union de l'énergie : une proposition politique pour le court et le long terme.  

Plus de temps à perdre pour se défaire de notre dépendance aux gaz, pétrole et charbon russes, aujourd'hui c'est ça l'urgence, mais il suffit de chercher un peu pour voir que c'est officiellement urgent depuis plus de 20 ans. On ne compte pas les rapports (i ci notamment un rapport du Sénat en 2005, i ci un autre rapport du Sénat en 2009), les articles, et même les documents officiels de l'UE alertant sur cette dépendance dangereuse. 

En 2000, la Commission européenne publie un Livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE. 40% des importations de gaz viennent de Russie, relève-t-elle, cela pose des risques « économiques, sociaux, écologiques, et physiques » pour l’Union européenne. Aujourd'hui le degré de dépendance est le même. 40%.  

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La Commission propose alors d’obliger les pays membres à constituer des stocks stratégiques de gaz, comme ils le font pour le pétrole. 22 ans plus tard, elle fait exactement la même proposition.  

2006, deuxième livre vert pour une stratégie européenne pour une énergie, sure, compétitive et durable.  2006, c’est aussi l’année du premier avertissement. La Russie coupe le gaz à l’Ukraine. Autriche, Slovaquie, Pologne, Hongrie sont touchés par ricochet.  

2009, nouvel avertissement. Cette fois, la Russie accuse l’Ukraine de ne pas payer son gaz, nouvelle coupure. Dans les pays baltes, de nombreux foyers passent un hiver sans chauffage.  Ce que nous craignons aujourd'hui nous l'avons donc déjà vécu en partie à ce moment là. 

La commission européenne lance alors l’idée d’une Union de l’Energie. La diversification des approvisionnements s’intensifie, les énergies renouvelables se développent et remplacent le charbon, mais toujours pas le gaz russe. En 2014, la Russie annexe la Crimée.  

Des sanctions économiques sont décidées. Comme aujourd’hui, elles excluent le gaz russe.  

A lire/ écouter (bulle éco d'avril 2018): Syrie, Russie, Cuba... efficaces, les sanctions économiques ?

La commission publie à nouveau une " Stratégie européenne pour la sécurité énergétique". 

Les choix nationaux concernant le bouquet ou les infrastructures énergétiques ont une incidence sur les autres États membres et sur l'Union dans son ensemble. Les États membres devraient améliorer leur information mutuelle et celle de la Commission, lorsqu'ils définissent leur stratégie de politique énergétique à long terme et préparent des accords intergouvernementaux avec des pays tiers. Il faut redoubler d'efforts pour améliorer les synergies entre les objectifs énergétiques et la politique extérieure et l'UE doit s'adresser à ses partenaires en parlant d'une seule voix. Conclusion de la Stratégie européenne pour la sécurité énergétique de 2014

Et pourtant, un an plus tard, Gazprom s’allie à Shell, l’allemand EON, et l’autrichien OMV pour lancer la construction de Nord Stream 2, un gazoduc reliant directement la Russie à l'Europe de l'ouest via l'Allemagne.  Le Français Engie rejoint le projet un peu plus tard.  

Embarquer les industriels ouest européens dans Nord Stream 2, ce fut le coup de génie de Gazprom et de Poutine. Après ça, aucun pays à l'Ouest ne s'est plus opposé à ce projet, pour ne pas pénaliser ses entreprises. Ce fut une folie, une erreur majeure. Jean Marc Vinois, Directeur du marché intérieur de l’énergie au sein de la Direction générale pour l’énergie de l'UE de 2011 à 2014, aujourd'hui conseiller à l'Institut Delors. 

En 2018, en réponse à une question d'un eurodéputé, la Commission reconnait ouvertement être contre Nord Stream 2 car "Nord Stream 2 ne contribuait pas aux objectifs de la politique énergétique de l’UE tels que la sécurité énergétique ou la diversification des approvisionnements et, pour cette raison, ne soutenait pas sa construction". Elle est totalement impuissante.    

"L'Allemagne a fait le pari de la diplomatie par le commerce. La dépendance aux euros du gaz et du pétrole devait "domestiquer" la Russie " explique Thomas Pellerin-Carlin, Directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques Delors. Pari tragiquement perdu.   

Indépendance en vue pour 2027, mais pas made in pour le gaz

Alors que l'argent des européens sert à financer les bombes russes qui tombent sur l'Ukraine, en France le 10 mars, la Garde Républicaine accueille les 27 pour le sommet de Versailles. Cette fois c'est décidé, ils vont le faire, d'ici 5 ans, espèrent-ils dans la déclaration finale, s'en sera fini de la dépendance aux fossiles de ce voisin belliqueux.  

Clairement, la donne a changé. Nord Stream 2 est mis sur pause, et même Shell a promis cette semaine de ne plus s'approvisionner en gaz et pétrole russe.  Mais l'entreprise ne dit pas, si ce NE PLUS, vaut aussi pour les commandes passées, or la plupart des contrats d'achat de gaz sont à long terme, 10-15 ans. 

En septembre dernier, le groupe hongrois MVM a signé un contrat avec Gazprom jusqu'en 2036

Et Engie ? Interrogée, l'entreprise ne répond pas à la question, 20% de ses ventes mondiales de gaz viennent de Russie. L'allemand Eon? Il dit acheter sur le marché européens de gros, où il n'y pas de certification d'origine pour le gaz. Autrement dit pas de mention Gaz Made in Russia.  

E.ON n'a plus de contrats d'achat à long terme directement avec les producteurs de gaz. En général, la part des importations de gaz russe en Allemagne et en Europe est élevée. Néanmoins, nous ne recevons aucun certificat d'origine pour le gaz acheté sur les marchés de gros. Réponse d'E.on à mes questions sur leurs contrats à long terme. 

De la volonté de ne plus importer du gaz russe, à la possibilité matérielle de le faire, il y a donc pour l'Union européenne encore beaucoup d'obstacles techniques et juridiques à franchir... 

Les nommer serait déjà un premier pas, mais à Versailles personne n'a évoqué ces contrats de gaz privés. Ce fut un impensé total.  En amont de ce sommet, j'ai sollicité Bercy, l'Elysée, la Commission européenne, le Ministère de la transition, pour leur demander s'ils avaient une vision claire des engagements des entreprises privées européennes en Russie. Du laconique: "on regarde, on revient vers vous" de l'Elysée (j'attends encore à ce jour 12 mars, mais ne désespère pas d'avoir un jour une réponse), au dénégation de Bercy sur l'aspect crucial de ce problème dans un premier temps, puis dans un deuxième temps l'idée que l'on touchait là au secret des affaires, il semble que la question ne soit pas encore à l'ordre du jour. 

Pour le moment on en est toujours pas encore là.

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