Sa maintenance achevée, le gazoduc Nord Stream 1 reprend du service… Répit de courte durée pour l’Europe ?
Les livraisons de gaz depuis la Russie vers l’Europe ont repris jeudi 21 juillet via le gazoduc Nord Stream 1. Le pipeline, qui subissait une maintenance annuelle depuis le 11 juillet, pourrait cependant continuer de tourner au ralenti. A terme, une future fermeture du robinet par la Russie n’est pas à exclure.
Les Européens poussent un ouf de soulagement temporaire. Comme prévu sur le papier, le gazoduc Nord Stream 1 a recommencé à livrer des molécules de gaz au continent à partir de 7 heures du matin jeudi 21 juillet. L’incertitude régnait depuis plusieurs jours sur la reprise de l’activité de ce pipeline capable de transporter 55 milliards de mètres cubes de gaz naturel entre la Russie et l’Allemagne via la mer Baltique. L’installation était à l’arrêt depuis le 11 juillet pour une maintenance de routine.
Dans un contexte où «la Russie utilise le gaz comme arme» selon les termes de Thierry Bros, chercheur à Sciences Po Paris et à l’Oxford Institute for Energy Studies, rien ne certifiait que la Russie allait rouvrir le robinet. En amont de cette maintenance, le géant russe Gazprom, justifiant des ennuis techniques, n’avait-il pas sabré de 60% ses acheminements via Nord Stream entre mi-juin et mi-juillet ? «Au cours du mois précédant la maintenance, le débit de Nord Stream 1 était d'environ 66 millions de mètres cubes (MMC) par jour, alors qu'il a toujours fonctionné à une capacité nominale de 167 millions de mètres cubes par jour», rappelait sur le réseau social LinkedIn Tom Marzec-Manser, analyste pour la société d’information spécialisée Icis. Jeudi 21 juillet dans la matinée, les flux du gazoduc évoluaient dans un premier temps à un rythme de 48 millions de mètres cubes par jour, avant d’accélérer à 65 milllions de mètres cubes par jour.
Mais jusqu’à quand cela va-t-il durer? La question est en droit d’être posée alors qu’une turbine Siemens réparée au Canada est toujours bloquée dans le pays en raison des sanctions à l’encontre de la Russie, adoptées suite à la guerre en Ukraine. Cette turbine, que Gazprom décrit comme essentielle au fonctionnement d'une station de compression de gaz du Nord Stream, devrait prochainement être réinstallée sur le gazoduc. Si ce n’est pas le cas, le président Poutine a déjà prévenu que les livraisons pourraient à nouveau baisser à partir du 26 juillet. «Ce ne sera que 30 MMC par jour», a-t-il assuré en marge d’une visite en Iran, où il se trouvait à l’occasion d’un sommet entre la Russie, la Turquie et l’Iran officiellement à propos de la Syrie même si le sujet de la sécurité énergétique a été largement débattu.
«Relancer le gazoduc pour le recouper, plus tard»
Contacté par L’Usine Nouvelle en pleine maintenance du Nord Stream 1, le chercheur à l’Ifri Marc-Antoine Eyl-Mazzega affirmait que «la meilleure stratégie pour la Russie serait de relancer le gazoduc pour le recouper, plus tard. Cela déjouerait tous les pronostics ! Et permettrait à la Russie de continuer à vendre son gaz pour ensuite pleinement exercer sa capacité de nuisance à l’approche de l’hiver.» Le prix du gaz s’est en effet envolé ces derniers mois. Il a d’abord augmenté à partir du printemps 2021 en raison de la reprise de la demande mondiale au sortir de la crise du Covid, avant d’exploser tous les records suite à la guerre en Ukraine. Les prix sont en hausse en raison du contexte géopolitique, qui inquiète les acteurs du marché et laisse planer un doute sur la sécurité en approvisionnement du continent européen.
Le président russe en est conscient et l’a rappelé lors d’une conférence de presse depuis Téhéran mardi 19 juillet. «Au premier semestre de l'année dernière, le gaz en Europe coûtait 250 euros pour 1 000 mètres cubes. Ces jours-ci, c’est plutôt de l’ordre de 1 700 euros pour 1 000 mètres cubes.»
Actuellement, «les stockages européens sont remplis autour de 66%, ce qui représente 45 jours de consommation de gaz pour l’hiver», précise à L’Usine Nouvelle Phuc-Vinh Nguyen, expert en politique énergétique à l’Institut Jacques Delors. La Commission européenne a fixé comme objectif aux Etats membres un remplissage des installations de stockage souterrain de gaz à hauteur de 80% minimum de leur capacité avant le 1er novembre 2022. Pour y parvenir, il faudra continuer d’acheter du gaz massivement auprès d’autres partenaires : Norvège, Etats-Unis, Qatar, États du Golfe, Algérie, Egypte. Un accord a été signé le lundi 18 juillet avec l'Azerbaïdjan, avec pour ambition de «doubler les livraisons de gaz de l'Azerbaïdjan à l'UE en quelques années».
Diversifier les approvisionnements et économiser l’énergie
Mais trouver de nouveaux fournisseurs pourrait ne pas suffire. C’est pourquoi la Commission européenne a présenté mercredi 20 juillet son plan «Économiser l'énergie pour un hiver sûr», qui vise notamment une réduction de 15% la consommation de gaz dans l’Union européenne (UE) entre le 1er août et le 31 mars 2023 alors que «douze États membres [sont] touchés par une interruption partielle ou totale de l'approvisionnement en gaz russe», a rappelé dans son discours la présidente de la Commission, l’allemande Ursula von der Leyen, insistant sur l’«esprit de solidarité» européen.
Le paquet ne fait toutefois pas l’unanimité. Notamment parce qu’il pourrait imposer une réduction obligatoire de la demande de gaz de tous les Etats membres en cas de «risque substantiel d’une pénurie sévère de gaz» ou de «demande en gaz exceptionnellement élevée». Dans la foulée de la proposition, l’Espagne n’a pas tardé à ruer dans les brancards. «Les familles espagnoles ne subiront pas de coupures de gaz ou d'électricité dans leur logement» et «l'Espagne défendra la position de l'industrie espagnole», a réagi la ministre de la transition écologique, Teresa Ribera, lors d’une conférence de presse.