Pour la France, la Russie doit être un partenaire pour garantir la paix

Martin Michelot

Chercheur associé à l’Institut Jacques-Delors

Sans être un ennemi, la Russie reste une menace pour les pays de l’Otan, mais une menace aux formes variables. S’il existe bien une question territoriale – pour les pays Baltes, la Pologne, la Bulgarie ou la Roumanie – et si l’Otan se prépare donc pour répondre à une éventuelle invasion, la menace véritable, aujourd’hui, est d’abord de « basse intensité » – on pense en particulier à la désinformation ou aux cyberattaques visant à dresser les peuples les uns contre les autres, et à saper la confiance des Européens dans l’Otan et dans leurs institutions nationales.

L’organisation travaille sur tous ces défis actuels. Mais Emmanuel Macron réfléchit aussi à ce que l’Otan peut être dans dix ans. Si la Russie a alors abandonné sa posture agressive par rapport aux territoires européens, l’Otan serait amenée à jouer un tout autre rôle. Même si on peut voir dans cette approche une forme de naïveté, on ne peut blâmer le président français de mettre en avant des idées nouvelles.

Le point de départ du raisonnement d’Emmanuel Macron est qu’on ne peut plus compter sur les États-Unis pour assurer les garanties de sécurité en Europe. Même en cas de défaite de Donald Trump à la présidentielle américaine, l’an prochain, le pivot vers l’Asie, engagé sous Barack Obama, semble irréversible. Fort de ce constat, il devient impératif de minimiser les risques de conflit sur le continent européen. Or, pense le président français, on ne peut garantir la sécurité et la paix en Europe sans que la Russie soit un partenaire.

En toile de fond, pour Paris, pèse aussi la question de la Syrie, et plus généralement du Proche-Orient, où la Russie est très présente. Il faut donc absolument coopérer avec Moscou pour arriver à une solution ou à un compromis pour que la stabilité dans la région soit assurée. La priorité pour Paris est d’éviter un nouvel été 2015, avec un million de réfugiés sonnant à la porte du continent européen.

Cette question revient régulièrement dans le débat et la France peut compter sur plusieurs alliés. De manière générale, il s’agit d’abord des pays du sud de l’Europe, pour lesquels la menace russe est plus lointaine. La Grèce et l’Italie sont, sur ce dossier, les partenaires principaux de Paris. Si ces pays peuvent faire en sorte que l’Otan reconfigure sa doctrine pour travailler plus à la stabilité du Proche-Orient, ils serviront leurs intérêts.

Étonnamment, Emmanuel Macron a cité Viktor Orban, le premier ministre hongrois, possible pont avec Moscou pour établir un dialogue de confiance avec Poutine. Au sein de l’Otan, la Norvège n’est pas un allié, mais un partenaire de la France pour ouvrir quelques portes. Il y a par ailleurs un consensus sur le fait que la garantie de sécurité américaine n’est plus ce qu’elle était. Les Allemands, également relativement ouverts au dialogue avec la Russie, partagent cette idée.

Recueilli par Gilles Biassette

----

Pour l’Allemagne, la sécurité de l’Europe centrale est incontournable

Daniela Schwarzer

Directrice de l’Institut allemand pour la politique étrangère (DGAP), à Berlin

Oui, la Russie reste une menace pour l’Europe ainsi que pour les États-Unis. Elle a changé des frontières en Europe par des moyens militaires en annexant la Crimée en 2014. Elle a donc violé le droit international, et continue à intervenir en Ukraine. Les autres pays d’Europe centrale et de l’Est craignent pour leur sécurité. La Russie reste par ailleurs une menace, car elle intervient de plus en plus au sein de l’Union européenne avec la manipulation d’informations, l’intervention dans des élections. Elle utilise des moyens pour déstabiliser les démocraties au sein de l’UE – ainsi qu’aux États-Unis, où la Russie a perturbé les élections en 2016.

En France, on observe pourtant une nouvelle tendance consistant à vouloir sortir de la logique de la guerre froide. L’Union européenne, elle, reste dans ce schéma qui oppose l’Ouest à la Russie. En fait, la situation est plus complexe. La relation transatlantique ne semble plus aussi stable que par le passé, et la Chine risque d’intervenir davantage, peut-être en s’alliant avec la Russie. Cela pousse la France à vouloir repenser la relation avec Moscou.

En Allemagne, cette prise de position du président Macron a créé la surprise car on a surtout retenu l’idée qu’il fallait revoir la relation avec la Russie. Tout le volet lié à la garantie de sécurité pour les pays d’Europe centrale et de l’Est est passé au second plan, même si le président français les a inclus après sa rencontre, jeudi 28 novembre, avec le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg. Or, pour l’Allemagne, ce volet est très important.

Sur le fond, il y a, à mon avis, des points communs entre Paris et Berlin sur ce dossier. Des deux côtés on pense qu’il faut rester ferme face à la violence, face à l’annexion militaire de la Crimée. En même temps, les deux reconnaissent qu’il faut engager un dialogue. Le fait que la concertation sur l’Ukraine, entre Paris, Kiev, Berlin et Moscou, reprenne le 9 décembre, après une très longue pause, entre dans cette logique.

Du côté allemand, on constate, par ailleurs, et depuis longtemps, la nécessité d’inclure les pays d’Europe centrale et de l’Est dans ce débat sur l’Otan et la Russie. L’Allemagne cherche à éviter que le sujet ne divise les Européens. Elle en a été consciente plus tôt que la France, et elle a engagé un dialogue plus intense depuis longtemps. La France fait toutefois des efforts actuellement. On le voit, entre autres, avec la tournée du président français dans la région. Il y a donc des convergences de position.

Sur la question du terrorisme, que Paris souhaite mettre au cœur des priorités de l’Otan, la France trouvera probablement un soutien de l’Allemagne, qui partage cette priorité du point de vue politique. Toutefois, comme elle n’a pas la même expérience que la France, l’urgence est ressentie différemment.

Recueilli par Delphine Nerbollier (à Berlin)