"La Chine joue et profite de nos divisions internes"
- Publié le 20-02-2019 à 19h36
Le 21e Sommet bilatéral entre l'Union européenne et la Chine se tiendra ce mardi à Bruxelles. Entre autres, au menu des discussions, les relations économiques entre les deux entités, intimement liées par d'importants échanges commerciaux : l'UE est le premier partenaire commercial de la Chine et la Chine le second de l'Europe.
Et, plus précisément, ce seront les problèmes de réciprocité des échanges qui seront évoqués. "Les dirigeants de l'UE et de la Chine chercheront à renforcer la coopération bilatérale. Ils débattront des relations bilatérales en matière de commerce et d'investissement, y compris le traitement équitable et non discriminatoire de leurs agents économiques", est-il indiqué sur le site internet du Conseil. Car en effet, la Chine, contrairement à l'Europe, n'ouvre pas grand les bras aux investisseurs étrangers. Elle conditionne leur installation sur le sol chinois à des partenariats avec des entreprises locales ou à la cession de brevets.
Autre sujet de négociation : les généreuses subventions accordées par Pékin à certaines de ses entreprises pour en faire des champions mondiaux, chose interdite ou alors très strictement réglementée au sein de l'Union européenne. De quoi fausser les règles du jeu du commerce mondial.
L'UE "espère" convaincre la Chine
A l'issue du Conseil européen (qui réunit les chefs d'Etat et de gouvernement) des 21 et 22 mars, préparatoire à ce sommet, une feuille de route a été rédigée et Donald Tusk, le président du Conseil a déclaré avec prudence : "Il s'agit de nous attacher à mettre en place une relation équilibrée, qui assure une concurrence loyale et des règles du jeu équitables. Dans ce contexte, nous espérons convaincre la Chine d'inclure les subventions à l'industrie en tant qu'élément essentiel de la réforme de l'Organisation mondiale du commerce" .
" Les investissements étrangers et l'accès des E uropéens au marché chinois, c'est un dossier qui traîne depuis trop longtemps , même s'il n'y aura pas de négociations sur ce point demain. Le reste des discussions se passe au sein de l’Organisation mondiale du commerce " , commente Pascal Lamy, qui fut le patron de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013 et aujourd'hui président du think tank européen Institut Jacques Delors.
" L 'attitude chinoise a changé " , poursuit-il. " Jusqu'en 2008, la Chine avait enclenché un processus lent mais constant d'ouverture de son marché et de réforme de son économie mais son attitude s'est durcie, suite à la crise et à l'arrivée de Xi Jinping à la présidence, dont l'approche est plus traditionnelle. Trente pour-cent des entreprises chinoises sont sous contrôle d'Etat et, dans une économie aussi grosse que celle-ci, ça ne va pas car la concurrence est faussée à l’intérieur comme à l’extérieur. "
Comment parler d'une même voix quand les intérêts divergent ?
Voilà pour les enjeux. Reste à savoir si les Etats membres vont parler d'une seule et même voix. Avant le sommet, la Commission européenne avait insisté sur le fait qu'"en l'absence d'une totale unité, ni l'UE ni aucun de ses États membres n'est réellement en mesure de parvenir à ses fins avec la Chine".
Les intérêts des uns et des autres divergent. Quand la France et l'Allemagne, se sentant menacées par l'appétit chinois, plaident pour un rééquilibrage des rapports, l'Italie, après la Grèce, le Portugal, la Hongrie, la Pologne, a signé fin mars un protocole d'accord avec Pékin portant sur les Routes de la soie, ce projet démesuré de construction de routes et voies ferroviaires, de rachat de ports afin de relier la Chine avec à peu près le reste du monde et acheminer massivement ses produits d'exportation.
" Dans l a feuille de route établie il y a quinze jours par l'UE, la Chine est qualifiée à la fois de partenaire et de rival. Les Européens ont enfin un logiciel articulé et uni face à la Chine, alors que Pékin essayait jusqu'ici plutôt de nouer des partenariats avec des Etats membres ( l' Italie, les pays de l'Est). Si l'UE veut avoir du poids face à la Chine, elle doit parler d'une seule voix " , signale Pascal Lamy.
La fermeture chinoise semble totale
Y aura-t-il une déclaration commune à l'issue du sommet ? Rien n'est moins sûr. Selon des sources européennes citées par l'AFP vendredi, Donald Tusk "a recommandé aux États membres de rejeter le projet de déclaration du sommet UE-Chine tel qu'il est actuellement, étant donné que la Chine n'a pas répondu aux principales attentes et demandes de l'UE". Les Chinois refuseraient de garantir "un accès au marché et des conditions de concurrence égales" pour les entreprises européennes opérant chez eux et ils ne s'engageraient nullement à réformer leur politique de subventions aux entreprises.
Que peut-on attendre de ce sommet entre la Chine et l'Union européenne ?
Entretien avec Elvire Fabry, chercheuse à l'Institut Jacques Delors.
Réciprocité dans l'accès aux marchés, subsides d'Etat aux entreprises chinoises : les points économiques au menu du Sommet UE-Chine semblent les mêmes depuis des années. Pourquoi ?
On a effectivement le sentiment d'un agenda qui se répète d'une année à l'autre. La cause est à chercher du côté de l'inertie chinoise dans ces dossiers. Concernant les investissements européens en Chine, il y a beaucoup d'impatience chez les Européens. Et sur la question de la réciprocité, ce qui est différent aujourd'hui, c'est leur mobilisation. La prise de conscience des Européens vient de l'impact des Nouvelles routes de la soie, qui a joué le rôle d'un signal d'alerte. Les Chinois ont investi dans quatorze ports européens, dont six en tant qu'investisseur majoritaire. Il y a donc raison à mieux en anticiper l'impact, surtout quand ce sont des entreprises d'Etat chinoises qui investissent dans ces infrastructures.
Les Européens ont adopté une attitude nouvelle, passant d'une approche plutôt coopérative à une approche plus défensive. La Commission européenne est plus claire sur une position beaucoup plus offensive afin de se prémunir davantage de l'inertie de la Chine en matière de réformes.
L'Europe va-t-elle réellement parler d'une seule voix à ce sommet, alors que les intérêts des uns et des autres ne sont pas semblables ?
La cohésion, c'est toute la question. C'est ce à quoi appelle la Commission européenne. Sur la question de l'ouverture des marchés chinois, les Etats membres ont des intérêts convergents. Mais la position de l'Italie (faisant référence à la signature du protocole d'accord avec la Chine, NdlR) a agacé. La Chine joue et profite de nos divisions internes.
Quelles pourraient être les conclusions du sommet ?
Ce n'est pas évident... Donald Tusk n'entend pas signer une feuille de route insipide; il faudra de la substance. Donc on peut imaginer qu'on préférera peut-être ne rien signer plutôt que de donner aux Chinois le signal de "business as usual". Pourtant, l'échéance est courte : les Routes de la soie avancent, la réalité des investissements chinois en Europe est là, tout comme celle des distorsions chinoises de marché.